Intervention de Philippe Adnot

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 novembre 2017 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « recherche et enseignement supérieur » et articles 57 octies et nonies - examen du rapport spécial

Photo de Philippe AdnotPhilippe Adnot, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

La mission « Recherche et enseignement supérieur » représente plus de 6 % des crédits du budget général, avec 27,7 milliards d'euros inscrits en crédits de paiement pour 2018. Par rapport à 2017, ils progressent de 2,66 %.

Cependant, cette progression concerne en priorité le bloc « recherche », les crédits destinés à l'enseignement supérieur augmentent, eux, de 0,42 % en crédits de paiement.

Le soutien à la recherche et à l'enseignement supérieur dépasse en partie les crédits portés par la mission. Outre les crédits budgétaires, un important montant de dépenses fiscales est rattaché à titre principal à la mission. Elle constitue la quatrième mission du budget général par le montant des dépenses fiscales engagées, dont le montant reste stable. Ces quinze dépenses fiscales représenteraient un coût de 6,5 milliards d'euros en 2018, soit l'équivalent de plus de 23 % des crédits de la mission. Le crédit d'impôt en faveur de la recherche concentre 89 % de ce montant.

De plus, plus de la moitié des crédits du troisième volet du programme d'investissements d'avenir, ou PIA 3, est directement destinée à soutenir l'enseignement supérieur et la recherche soit 5,4 milliards d'euros, dont près de 340 millions d'euros en 2018.

Ces éléments complémentaires doivent être pris en compte pour une analyse globale de l'effort public en direction de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je constate néanmoins que les crédits prévus dans le cadre du budget triennal des années 2018 à 2020 pour la mission progressent de 2,2 %, contre 3 % en moyenne pour l'ensemble des dépenses du budget général. J'y vois un paradoxe, pour un gouvernement désireux de préparer l'avenir.

Je signale en outre le niveau élevé et croissant des charges à payer de la mission depuis 2010, qui ont été multipliées par plus de trois sur cette période. Elles représentent ainsi plus de 7 % des crédits de la mission, hors titre 2. Elles se concentrent sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ainsi que sur le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques universitaires ».

Le ministère explique cette évolution par le poids d'opérations immobilières centrales et locales. Au-delà de la technique budgétaire, cette caractéristique soulève des questions sur la soutenabilité budgétaire de la mission, c'est pourquoi je consacre un développement spécifique sur ce risque dans le rapport.

Les crédits destinés à l'enseignement supérieur s'élèvent à 16,1 milliards d'euros, répartis sur deux programmes : le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et le programme 231 « Vie étudiante ». Comme pour l'ensemble de la mission, l'essentiel de ces crédits relève des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs, lesquelles représentent 12,52 milliards d'euros, soit 78 % de la dépense.

Ces crédits sont en partie déterminés par le dynamisme naturel des dépenses de personnel et par les décisions prises par l'État en matière de rémunération publique. La masse salariale représente ainsi plus de 11,6 milliards d'euros, soit près des trois quarts des crédits du bloc « enseignement supérieur ». Plus de 60 % de la hausse des crédits de ce bloc entre 2017 et 2018 résulte des décisions prises par l'État en faveur des personnels.

À ce titre, il est inscrit 10 millions d'euros en crédits de paiement pour financer les besoins de couverture du glissement-vieillesse-technicité - ou GVT - des établissements n'ayant pas accédé aux responsabilités et compétences élargies. Il s'agit d'un élément positif, mais qui sera insuffisant, compte tenu de la charge non compensée cumulée depuis 2012, qui s'élève à 60 millions d'euros chaque année.

J'en viens maintenant aux principales observations sur les deux programmes de la mission relatifs à l'enseignement supérieur.

S'agissant du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », l'année 2018 sera marquée par la mise en oeuvre du « Plan étudiants » présenté le 30 octobre dernier par le Premier ministre. L'Assemblée nationale a ainsi adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement majorant de 15,5 millions d'euros les crédits du programme 150. Ce plan se traduit également par d'autres majorations de crédits concernant deux autres missions, « Enseignement scolaire » et « Sport, jeunesse et vie associative ». Au total, il mobilise 20 millions d'euros de crédits en 2018.

Tel qu'il nous est présenté, il traduit une certaine ambition, avec des moyens financiers importants et qui monteront en puissance. Le Premier ministre a ainsi annoncé l'affectation d'environ un milliard d'euros durant le quinquennat, dont 450 millions d'euros au titre du grand plan d'investissement, le GPI, et 500 millions d'euros de crédits budgétaires.

Il faut corriger les échecs du précédent système d'affectation dans le supérieur, qui ont malheureusement marqué l'été. 87 000 candidats étaient encore sans affectation à la mi-juillet 2017 et de nombreuses affectations ont été décidées par tirage au sort. Le Gouvernement entend ainsi définir des « attendus » pour l'accès à chaque filière.

Je soutiens la démarche ayant présidé à la définition rapide de ce plan. Toutefois, il me semble que les crédits prévus pour 2018, à hauteur de 15,5 millions d'euros, sont trop faibles pour concrétiser sa mise en oeuvre dès la rentrée 2018-2019. Au-delà de l'accompagnement financier, seule la mise en place d'une professionnalisation de l'orientation, avec un module de plusieurs semaines appuyé sur une analyse du marché du travail et des perspectives de carrière, assurera le succès de la réforme.

Après les annonces, tout reste à construire, je serai donc vigilant quant à sa mise en oeuvre effective.

La deuxième remarque porte sur la situation budgétaire de certaines universités, qui se servent des attributions d'emplois comme variable d'ajustement pour équilibrer leurs budgets. Plus que jamais, il me paraît urgent que des mesures de rattrapage pour les universités sous-dotées soient engagées. J'ajoute que les établissements sont très inquiets de la remise en cause des fonds de la taxe d'apprentissage.

À ce titre, il est prévu la reprise d'une expérimentation de dévolution immobilière. Quatre universités candidates ont été retenues : Aix-Marseille, Bordeaux, Caen et Tours. L'objectif annoncé par le ministère est de parvenir à une dévolution totale du patrimoine avant la fin de l'année 2018.

Cette nouvelle expérimentation se distingue de la première, conduite en 2010-2011, en ce qu'aucune dotation récurrente n'est prévue. Ce choix est logique, dès lors que la généralisation de la dévolution selon ce schéma aurait coûté plus de 850 millions d'euros chaque année ! Toutefois, dans la mesure où il n'y a pas non plus de dotation initiale, il importe de s'assurer que les universités qui bénéficieront de cette dévolution soient en mesure d'entretenir leur parc.

Au-delà de ce risque, sur lequel j'attire votre attention, je suis favorable à la reprise de la dévolution immobilière, qui est susceptible de renforcer l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur.

C'est d'ailleurs dans cette optique que l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du Gouvernement, un article additionnel élargissant le principe de spécialité des établissements d'enseignement supérieur pour leur permettre de mieux valoriser leurs biens immobiliers. Jusqu'à présent, les universités ne pouvaient pas louer leurs bâtiments vides. J'y vois un élément positif, tant pour les universités, qui pourront ainsi accroître leurs ressources propres, que pour la gestion du patrimoine immobilier public, conformément aux recommandations de notre commission.

Le troisième point d'attention relève davantage d'une alerte concernant la dotation à l'enseignement supérieur privé. Ces établissements font face à un « effet de ciseau » : la dotation de l'État a été durement ponctionnée ces dernières années alors que les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à les soutenir.

Les crédits destinés à l'enseignement supérieur privé progressent légèrement en 2018, de 1,26 %, ce qui reste insuffisant, car ils ont diminué de près de 11 % entre 2012 et 2018.

Je résumerai mon propos en deux chiffres : La dotation à l'enseignement supérieur privé représente 0,6 % des crédits du programme 150, alors que ces établissements accueillent 3,5 % des effectifs des étudiants de l'enseignement supérieur.

Entre 2008 et 2017, le montant moyen de la subvention de l'État par étudiant accueilli dans ces établissements est passé de 1 130 euros en 2008 à 707 euros en 2017.

Il convient de rappeler que le Gouvernement s'était engagé à clarifier la situation des établissements d'enseignement supérieur privé à travers la qualification d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général, ou EESPIG. Cinq établissements vont sortir de la liste, faute de répondre aux critères, mais ils continueront à percevoir une partie des aides, par une sortie « en sifflet ». Parallèlement, huit autres établissements vont intégrer la liste, lesquels représentent un plus grand nombre d'étudiants et ont reçu des garanties quant à l'obtention d'un soutien budgétaire.

Il s'ensuit que l'État se trouve dans une impasse s'il entend respecter sa parole.

C'est pourquoi, comme ce fut le cas au cours de l'examen des précédentes lois de finances, je vous présenterai par amendement une mesure tendant à rétablir une certaine forme d'équité, financée sur les crédits destinés au dispositif d'aide à la recherche du premier emploi, l'ARPE, qui n'ont pas été entièrement consommés l'an dernier et dont l'efficacité est douteuse.

Une partie des crédits du programme 150 est destinée à la recherche universitaire, à hauteur de 3,9 milliards d'euros. L'enjeu crucial est d'agir sur le transfert des résultats de la recherche pour une meilleure valorisation des efforts en la matière. C'est pourquoi j'ai travaillé sur les sociétés d'accélération du transfert de technologies, ou SATT, au cours du premier semestre 2017. Créées en 2010 dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, elles visent à répondre à certaines des lacunes du système de valorisation français. Le rapport contient plusieurs recommandations pour renforcer leur rôle.

J'en viens maintenant aux crédits consacrés à la vie étudiante au sein du programme 231, qu'il convient de décrypter. En apparence, leur niveau est stable par rapport à 2017. L'année dernière, à la suite de la création de l'aide à la recherche du premier emploi en août 2016, le précédent Gouvernement avait d'abord envisagé de lui consacrer 92 millions d'euros, pour un nombre de bénéficiaires estimé à 77 000. Outre mes réserves sur ce nouveau dispositif, j'avais alors souligné sa surbudgétisation manifeste. À l'issue de l'examen de la loi de finances pour 2017, 58 millions d'euros avaient finalement été inscrits.

Le projet de loi de finances pour 2018 retient un montant de 43 millions d'euros au titre de cette aide, en retrait de 25 % par rapport à 2017.

La stabilité apparente des crédits du programme repose sur cette diminution de 15 millions d'euros des crédits consacrés à l'ARPE, mais il convient de relever les facteurs de hausse continue de l'enveloppe dévolue aux bourses. Les recommandations que j'avais formulées à ce sujet en 2016 dans un rapport d'information restent d'actualité. J'invite le Gouvernement à s'en saisir. Je rappelle que le nombre d'étudiants qui n'obtiennent pas leur licence en quatre ans est très important et que les contrôles de présence des étudiants boursiers sont insuffisants.

En outre, alors que les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) sont invités à s'adapter à l'évolution du flux d'étudiants, l'obligation qui leur est faite de fonctionnariser leurs emplois risque de créer des rigidités inopportunes dans le contexte actuel.

Pour conclure, un plan de construction de 60 000 nouveaux logements pour les étudiants a été annoncé par le Gouvernement. Prenant le relais du « Plan 40 000 » lancé durant le précédent quinquennat, il doit être financé dans le cadre du grand plan d'investissement. D'après les informations qui m'ont été transmises, 20 000 places ont déjà été identifiées et devraient pouvoir être livrées en 2018, 2019 et 2020.

Compte tenu de toutes ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présente.

- Présidence de M. Éric Bocquet, vice-président - 

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