Je salue la présence parmi nous de nos collègues Laure Darcos, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur la recherche, Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la même commission sur l'enseignement supérieur et Nelly Tocqueville, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la recherche en matière de développement durable.
La mission « Recherche et enseignement supérieur » représente plus de 6 % des crédits du budget général, avec 27,7 milliards d'euros inscrits en crédits de paiement pour 2018. Par rapport à 2017, ils progressent de 2,66 %.
Cependant, cette progression concerne en priorité le bloc « recherche », les crédits destinés à l'enseignement supérieur augmentent, eux, de 0,42 % en crédits de paiement.
Le soutien à la recherche et à l'enseignement supérieur dépasse en partie les crédits portés par la mission. Outre les crédits budgétaires, un important montant de dépenses fiscales est rattaché à titre principal à la mission. Elle constitue la quatrième mission du budget général par le montant des dépenses fiscales engagées, dont le montant reste stable. Ces quinze dépenses fiscales représenteraient un coût de 6,5 milliards d'euros en 2018, soit l'équivalent de plus de 23 % des crédits de la mission. Le crédit d'impôt en faveur de la recherche concentre 89 % de ce montant.
De plus, plus de la moitié des crédits du troisième volet du programme d'investissements d'avenir, ou PIA 3, est directement destinée à soutenir l'enseignement supérieur et la recherche soit 5,4 milliards d'euros, dont près de 340 millions d'euros en 2018.
Ces éléments complémentaires doivent être pris en compte pour une analyse globale de l'effort public en direction de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je constate néanmoins que les crédits prévus dans le cadre du budget triennal des années 2018 à 2020 pour la mission progressent de 2,2 %, contre 3 % en moyenne pour l'ensemble des dépenses du budget général. J'y vois un paradoxe, pour un gouvernement désireux de préparer l'avenir.
Je signale en outre le niveau élevé et croissant des charges à payer de la mission depuis 2010, qui ont été multipliées par plus de trois sur cette période. Elles représentent ainsi plus de 7 % des crédits de la mission, hors titre 2. Elles se concentrent sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ainsi que sur le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques universitaires ».
Le ministère explique cette évolution par le poids d'opérations immobilières centrales et locales. Au-delà de la technique budgétaire, cette caractéristique soulève des questions sur la soutenabilité budgétaire de la mission, c'est pourquoi je consacre un développement spécifique sur ce risque dans le rapport.
Les crédits destinés à l'enseignement supérieur s'élèvent à 16,1 milliards d'euros, répartis sur deux programmes : le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et le programme 231 « Vie étudiante ». Comme pour l'ensemble de la mission, l'essentiel de ces crédits relève des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs, lesquelles représentent 12,52 milliards d'euros, soit 78 % de la dépense.
Ces crédits sont en partie déterminés par le dynamisme naturel des dépenses de personnel et par les décisions prises par l'État en matière de rémunération publique. La masse salariale représente ainsi plus de 11,6 milliards d'euros, soit près des trois quarts des crédits du bloc « enseignement supérieur ». Plus de 60 % de la hausse des crédits de ce bloc entre 2017 et 2018 résulte des décisions prises par l'État en faveur des personnels.
À ce titre, il est inscrit 10 millions d'euros en crédits de paiement pour financer les besoins de couverture du glissement-vieillesse-technicité - ou GVT - des établissements n'ayant pas accédé aux responsabilités et compétences élargies. Il s'agit d'un élément positif, mais qui sera insuffisant, compte tenu de la charge non compensée cumulée depuis 2012, qui s'élève à 60 millions d'euros chaque année.
J'en viens maintenant aux principales observations sur les deux programmes de la mission relatifs à l'enseignement supérieur.
S'agissant du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », l'année 2018 sera marquée par la mise en oeuvre du « Plan étudiants » présenté le 30 octobre dernier par le Premier ministre. L'Assemblée nationale a ainsi adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement majorant de 15,5 millions d'euros les crédits du programme 150. Ce plan se traduit également par d'autres majorations de crédits concernant deux autres missions, « Enseignement scolaire » et « Sport, jeunesse et vie associative ». Au total, il mobilise 20 millions d'euros de crédits en 2018.
Tel qu'il nous est présenté, il traduit une certaine ambition, avec des moyens financiers importants et qui monteront en puissance. Le Premier ministre a ainsi annoncé l'affectation d'environ un milliard d'euros durant le quinquennat, dont 450 millions d'euros au titre du grand plan d'investissement, le GPI, et 500 millions d'euros de crédits budgétaires.
Il faut corriger les échecs du précédent système d'affectation dans le supérieur, qui ont malheureusement marqué l'été. 87 000 candidats étaient encore sans affectation à la mi-juillet 2017 et de nombreuses affectations ont été décidées par tirage au sort. Le Gouvernement entend ainsi définir des « attendus » pour l'accès à chaque filière.
Je soutiens la démarche ayant présidé à la définition rapide de ce plan. Toutefois, il me semble que les crédits prévus pour 2018, à hauteur de 15,5 millions d'euros, sont trop faibles pour concrétiser sa mise en oeuvre dès la rentrée 2018-2019. Au-delà de l'accompagnement financier, seule la mise en place d'une professionnalisation de l'orientation, avec un module de plusieurs semaines appuyé sur une analyse du marché du travail et des perspectives de carrière, assurera le succès de la réforme.
Après les annonces, tout reste à construire, je serai donc vigilant quant à sa mise en oeuvre effective.
La deuxième remarque porte sur la situation budgétaire de certaines universités, qui se servent des attributions d'emplois comme variable d'ajustement pour équilibrer leurs budgets. Plus que jamais, il me paraît urgent que des mesures de rattrapage pour les universités sous-dotées soient engagées. J'ajoute que les établissements sont très inquiets de la remise en cause des fonds de la taxe d'apprentissage.
À ce titre, il est prévu la reprise d'une expérimentation de dévolution immobilière. Quatre universités candidates ont été retenues : Aix-Marseille, Bordeaux, Caen et Tours. L'objectif annoncé par le ministère est de parvenir à une dévolution totale du patrimoine avant la fin de l'année 2018.
Cette nouvelle expérimentation se distingue de la première, conduite en 2010-2011, en ce qu'aucune dotation récurrente n'est prévue. Ce choix est logique, dès lors que la généralisation de la dévolution selon ce schéma aurait coûté plus de 850 millions d'euros chaque année ! Toutefois, dans la mesure où il n'y a pas non plus de dotation initiale, il importe de s'assurer que les universités qui bénéficieront de cette dévolution soient en mesure d'entretenir leur parc.
Au-delà de ce risque, sur lequel j'attire votre attention, je suis favorable à la reprise de la dévolution immobilière, qui est susceptible de renforcer l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur.
C'est d'ailleurs dans cette optique que l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du Gouvernement, un article additionnel élargissant le principe de spécialité des établissements d'enseignement supérieur pour leur permettre de mieux valoriser leurs biens immobiliers. Jusqu'à présent, les universités ne pouvaient pas louer leurs bâtiments vides. J'y vois un élément positif, tant pour les universités, qui pourront ainsi accroître leurs ressources propres, que pour la gestion du patrimoine immobilier public, conformément aux recommandations de notre commission.
Le troisième point d'attention relève davantage d'une alerte concernant la dotation à l'enseignement supérieur privé. Ces établissements font face à un « effet de ciseau » : la dotation de l'État a été durement ponctionnée ces dernières années alors que les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à les soutenir.
Les crédits destinés à l'enseignement supérieur privé progressent légèrement en 2018, de 1,26 %, ce qui reste insuffisant, car ils ont diminué de près de 11 % entre 2012 et 2018.
Je résumerai mon propos en deux chiffres : La dotation à l'enseignement supérieur privé représente 0,6 % des crédits du programme 150, alors que ces établissements accueillent 3,5 % des effectifs des étudiants de l'enseignement supérieur.
Entre 2008 et 2017, le montant moyen de la subvention de l'État par étudiant accueilli dans ces établissements est passé de 1 130 euros en 2008 à 707 euros en 2017.
Il convient de rappeler que le Gouvernement s'était engagé à clarifier la situation des établissements d'enseignement supérieur privé à travers la qualification d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général, ou EESPIG. Cinq établissements vont sortir de la liste, faute de répondre aux critères, mais ils continueront à percevoir une partie des aides, par une sortie « en sifflet ». Parallèlement, huit autres établissements vont intégrer la liste, lesquels représentent un plus grand nombre d'étudiants et ont reçu des garanties quant à l'obtention d'un soutien budgétaire.
Il s'ensuit que l'État se trouve dans une impasse s'il entend respecter sa parole.
C'est pourquoi, comme ce fut le cas au cours de l'examen des précédentes lois de finances, je vous présenterai par amendement une mesure tendant à rétablir une certaine forme d'équité, financée sur les crédits destinés au dispositif d'aide à la recherche du premier emploi, l'ARPE, qui n'ont pas été entièrement consommés l'an dernier et dont l'efficacité est douteuse.
Une partie des crédits du programme 150 est destinée à la recherche universitaire, à hauteur de 3,9 milliards d'euros. L'enjeu crucial est d'agir sur le transfert des résultats de la recherche pour une meilleure valorisation des efforts en la matière. C'est pourquoi j'ai travaillé sur les sociétés d'accélération du transfert de technologies, ou SATT, au cours du premier semestre 2017. Créées en 2010 dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, elles visent à répondre à certaines des lacunes du système de valorisation français. Le rapport contient plusieurs recommandations pour renforcer leur rôle.
J'en viens maintenant aux crédits consacrés à la vie étudiante au sein du programme 231, qu'il convient de décrypter. En apparence, leur niveau est stable par rapport à 2017. L'année dernière, à la suite de la création de l'aide à la recherche du premier emploi en août 2016, le précédent Gouvernement avait d'abord envisagé de lui consacrer 92 millions d'euros, pour un nombre de bénéficiaires estimé à 77 000. Outre mes réserves sur ce nouveau dispositif, j'avais alors souligné sa surbudgétisation manifeste. À l'issue de l'examen de la loi de finances pour 2017, 58 millions d'euros avaient finalement été inscrits.
Le projet de loi de finances pour 2018 retient un montant de 43 millions d'euros au titre de cette aide, en retrait de 25 % par rapport à 2017.
La stabilité apparente des crédits du programme repose sur cette diminution de 15 millions d'euros des crédits consacrés à l'ARPE, mais il convient de relever les facteurs de hausse continue de l'enveloppe dévolue aux bourses. Les recommandations que j'avais formulées à ce sujet en 2016 dans un rapport d'information restent d'actualité. J'invite le Gouvernement à s'en saisir. Je rappelle que le nombre d'étudiants qui n'obtiennent pas leur licence en quatre ans est très important et que les contrôles de présence des étudiants boursiers sont insuffisants.
En outre, alors que les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) sont invités à s'adapter à l'évolution du flux d'étudiants, l'obligation qui leur est faite de fonctionnariser leurs emplois risque de créer des rigidités inopportunes dans le contexte actuel.
Pour conclure, un plan de construction de 60 000 nouveaux logements pour les étudiants a été annoncé par le Gouvernement. Prenant le relais du « Plan 40 000 » lancé durant le précédent quinquennat, il doit être financé dans le cadre du grand plan d'investissement. D'après les informations qui m'ont été transmises, 20 000 places ont déjà été identifiées et devraient pouvoir être livrées en 2018, 2019 et 2020.
Compte tenu de toutes ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présente.
- Présidence de M. Éric Bocquet, vice-président -
Je vais vous présenter les sept programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur » consacrés à la recherche.
En préambule, je souhaitais vous faire part de mon scepticisme concernant la maquette budgétaire de ces programmes, qui présente un caractère administratif très marqué, avec une logique de financement par ministère, alors que l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) devait conduire à une approche plus globale et interministérielle. Il s'ensuit un manque de transparence, encore accru par le rôle des programmes d'investissement d'avenir en matière de recherche, qui limite la capacité d'arbitrage et d'amendement du Parlement.
La somme des budgets des programmes relatifs à la recherche devrait atteindre 11,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement en 2018, soit une hausse de 3,6 %, atteignant 394,4 millions d'euros, en autorisations d'engagement et surtout de 4,6 %, c'est-à-dire de 512,3 millions d'euros, en crédits de paiement, par rapport aux crédits votés par le Parlement en loi de finances pour 2017. Les crédits consacrés à la recherche représenteront ainsi près de 3 % des dépenses du budget général de l'État en 2018.
Ces hausses sont significatives dans un contexte budgétaire qui demeure contraint. Il était temps que le budget de la recherche soit considéré comme prioritaire, au même titre que ceux de la sécurité, de la justice ou de l'éducation, car il s'agit d'une dépense d'avenir par excellence.
Le montant total des crédits alloués aux programmes qui dépendent du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire les programmes 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 193 « Recherche spatiale » s'établira en 2018 à 8 345,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 8 391,8 millions d'euros en crédits de paiement, soit une forte hausse atteignant respectivement 365,4 millions d'euros, ou 4,4 %, et 501,3 millions d'euros, ou 6 %, par rapport à 2017. C'est un effort d'autant plus considérable que les crédits de ces programmes seront abondés de façon significative pour la deuxième année d'affilée.
Ces augmentations concerneront en particulier les moyens de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, qui retrouveront un niveau inédit depuis 2011.
La hausse de 41,9 millions d'euros des crédits de l'action 14 du programme 172, qui porte les subventions pour charges de service public destinées à financer les moyens généraux des organismes de recherche dépendant du ministère, c'est-à-dire, entre autres, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a pour objet de compenser les diverses mesures salariales décidées par le précédent Gouvernement en faveur des fonctionnaires.
Les directeurs des organismes de recherche ont attiré mon attention sur deux questions qui faisaient toujours l'objet de discussions au sein du Gouvernement au moment de leurs auditions : l'impact sur la masse salariale de ces organismes du report partiel du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations », ou PPCR, annoncé par le ministre de l'action et des comptes publics et la compensation de la hausse de la CSG pour les chercheurs. Je comptais interroger Mme la ministre en séance sur ces deux points, mais le Sénat a d'ores et déjà et déjà été entendu puisque l'Assemblée nationale a voté la nuit dernière, à l'initiative du Gouvernement, des augmentations de crédits permettant de régler ces questions.
Les auditions que j'ai menées m'ont permis de prendre conscience de l'ampleur du recours aux contrats à durée déterminée dans les organismes de recherche. Il y a là un enjeu social très important, auquel nous devons être attentifs, car il paraît difficile de demander à des chercheurs de très haut niveau de se consacrer sereinement à leurs travaux alors qu'ils se trouvent dans une situation de précarité. Nombre de CDD se termineront en 2019, et les directeurs d'organismes craignent de devoir intégrer ces chercheurs dans leurs effectifs, ce qu'ils auront des difficultés à faire à moyens constants.
Enfin, je souligne l'effort budgétaire très important qui sera consenti en 2018 en faveur des très grandes infrastructures de recherche et des organisations internationales relatives à la recherche. Je pense notamment à la hausse des financements destinés à l'Agence spatiale européenne, ou ESA, qui porte le projet Ariane 6, à l'organisation pour la recherche nucléaire, le CERN, au réacteur thermonucléaire expérimental international, ITER, et à l'Organisation européenne de satellites météorologiques, Eumetsat.
Le Gouvernement s'est incontestablement attaché cette année à améliorer la sincérité du budget de la recherche sur ce point, pour mettre fin à la pratique, dénoncée ces dernières années par mon prédécesseur Michel Berson, qui consistait à sous-budgétiser les crédits nécessaires au respect des engagements de la France puis à puiser dans la réserve de précaution pour y faire face en fin d'année. Parfois même, la solution retenue était tout simplement de laisser s'accumuler les dettes auprès des organisations internationales de recherche, je songe en particulier à la dette de la France vis-à-vis de l'Agence spatiale européenne.
La plupart des autres programmes de la mission, qui ne dépendent pas du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, verront en revanche leurs moyens stagner, voire diminuer en 2018.
Il en ira notamment ainsi des programmes 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », 191 « Recherche duale (civile et militaire) » et 186 « Recherche culturelle et culture scientifique ».
Cette tendance morose connaît deux exceptions. Le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricole », qui porte notamment les crédits de l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, mais aussi ceux des écoles d'enseignement supérieur agricoles et vétérinaires, verra ses crédits augmenter de 2 % afin notamment de répondre aux besoins des filières agricoles en cadres de haut niveau.
Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » bénéficiera de la budgétisation des crédits relatifs à la recherche et développement dans le domaine de l'aéronautique civile, portés jusqu'en 2016 par les deux premiers programmes d'investissement d'avenir, pour un montant de 135 millions d'euros en autorisations d'engagement. Le fait que l'État apporte de nouveau une aide précieuse à un secteur décisif pour l'avenir de notre industrie, après le trou d'air de 2017, constitue une excellente nouvelle.
J'en viens à présent à un sujet qui intéressait beaucoup mon prédécesseur : le financement de la recherche par projets. Cette mise en concurrence a vocation à dynamiser la recherche, sans pour autant constituer son unique mode de financement, puisque les crédits récurrents des organismes de recherche demeurent largement majoritaires. L'ANR, créée en 2005, a précisément pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets dans notre pays, en répartissant les crédits d'intervention qui lui sont alloués.
À partir de 2009, cette dotation, portée par le programme 172, a progressivement diminué. La baisse s'est accélérée à partir de 2013, lorsque le précédent Gouvernement a décidé de réduire cette enveloppe au profit des subventions aux organismes de recherche. Elle a atteint un point bas en 2015, à 510,7 millions d'euros, contre 850 millions d'euros en 2008, montant qui représente la limite d'efficacité du dispositif. Parallèlement, le taux de sélection des projets s'est effondré de 20 % à 11 %, entraînant des effets délétères sur les équipes de chercheurs des organismes de recherche.
Michel Berson s'était beaucoup inquiété de la réduction de la dotation budgétaire de l'ANR, susceptible de venir menacer la viabilité du système français de financement sur projets, qui constitue un levier d'excellence très performant et de plus en plus utilisé dans le monde entier.
Le précédent gouvernement avait enfin décidé de mettre fin à ce mouvement de baisse en allouant des crédits supplémentaires à l'ANR, d'abord timidement en 2016, puis de façon plus significative en 2017. Cette hausse va nettement s'amplifier en 2018, puisque les moyens budgétaires de l'ANR s'élèveront à 736,1 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une augmentation de 32,7 millions d'euros, ou 4,7 %, et à 773,2 millions d'euros en crédits de paiement, soit une forte hausse de 133,9 millions d'euros, ou 20,9 %, par rapport à 2017.
L'ANR n'avait plus bénéficié d'autant de crédits depuis 2011. Alors que le nom de son nouveau président-directeur général sera rendu public dans les tout prochains jours, je me réjouis que l'État ait enfin pris conscience du fait que cette agence constituait son principal outil pour dynamiser et orienter la recherche dans notre pays et qu'il fallait absolument cesser de la sacrifier à des objectifs budgétaires à court terme.
Peut-on pour autant considérer que l'objectif fixé par le nouveau Président de la République de donner à l'ANR des moyens dignes de ceux de ses homologues étrangers est atteint ? Assurément pas encore. Michel Berson estimait qu'un budget de 850 millions d'euros au minimum serait nécessaire pour retrouver des taux acceptables de sélection des projets. Il manque 80 millions d'euros pour atteindre ce niveau.
Selon les jurys de sélection, 25 % des projets présentés à l'ANR mériteraient d'être financés. Un budget d'un milliard d'euros serait donc probablement nécessaire pour cesser de rejeter d'excellents travaux et pour se rapprocher des standards européens en la matière. La marche est encore haute : le taux de sélection devrait être de 15 % environ en 2017 et, dans le meilleur des cas, de 16 % en 2018.
En ce qui concerne les financements européens sur projets compétitifs, les premiers chiffres de programme-cadre « Horizon 2020 » pour la recherche en Europe ne sont guère flatteurs pour notre pays et tendent à montrer que le recul de la France en matière de recherche au niveau européen s'amplifie.
Les participations françaises représentent un total de 2,7 milliards d'euros, soit 10,6 % des financements disponibles, contre 11,3 % pour l'ensemble du septième programme-cadre de recherche et développement technologique, ou PCRDT. On observe en outre une diminution inquiétante des projets retenus à participation française, à 22,1 % contre 27,7 % sous le septième PCRDT ainsi que de la part relative des participations françaises dans les projets retenus, de 9 % contre 9,4 %.
Si l'Allemagne et la Grande-Bretagne obtiennent traditionnellement plus de financements européens que la France, celle-ci est désormais rattrapée par les Pays-Bas et surtout dépassée par l'Espagne, qui bénéficie d'une dynamique très positive, depuis 2015. Inspirons-nous de cette politique ouvertement volontariste, qui incite fortement les équipes publiques et privées à se tourner vers l'Europe ! Il est sans doute nécessaire de renforcer notre pilotage de la participation aux programmes de recherche européens...
Enfin, le crédit d'impôt recherche continuera en 2018 à représenter à lui seul 90 % des dépenses fiscales des programmes relatifs à la recherche de la mission. Pour 2018, la dépense fiscale liée au crédit d'impôt recherche augmenterait sensiblement par rapport à 2017 pour atteindre 5 802 millions d'euros, soit une hausse de 1,7 %. Le dispositif a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation, compilées dans une revue de la littérature rendue publique en avril 2017 par l'Observatoire français des conjonctures économiques.
On peut conclure à un effet positif de ce crédit d'impôt sur les dépenses de recherche des entreprises. En son absence, il est probable que la part de la recherche privée aurait reculé au cours des dernières années. Il a permis de stabiliser l'effort de recherche en France, même s'il provoque également d'indiscutables effets d'aubaine.
En outre, si la réforme du crédit d'impôt recherche survenue en 2008 n'a pas eu d'effets très significatifs sur les dépôts de brevets, elle a favorisé en revanche l'emploi des chercheurs par les entreprises.
En 2000, il avait été décidé que l'effort de recherche de chaque État membre de l'Union européenne devait atteindre 3 % du PIB d'ici à 2020. La France et l'Allemagne y consacraient alors l'une et l'autre 2,15 % de leur PIB. En 2018, selon l'indicateur 4.1 de la mission, la France devrait consacrer 2,24 % de son PIB à la recherche seulement, quand l'Allemagne est parvenue à dépasser les 3 %.
Les responsables des organismes de recherche font valoir que l'avenir de la recherche française, en particulier son rayonnement dans le monde, se jouera dans les prochaines années. Pour ne pas se laisser distancer dans la compétition internationale, pour rester la cinquième puissance scientifique mondiale, la France doit se donner pour ambition d'atteindre ce taux, en consacrant 2 % du PIB à la recherche privée et 1 % à la recherche publique. Pour cette dernière, passer de 0,8 % actuellement à 1 % représente un effort important, mais indispensable.
En dépit des contraintes budgétaires fortes, il ne peut y avoir d'économies sur la recherche publique, notamment fondamentale, car c'est elle qui permet le développement de la recherche appliquée et qui conduit aux innovations de rupture.
Je suggère que notre commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui bénéficie de hausses de crédits importantes dans un contexte budgétaire général qui reste difficile.
Nous avons donné un avis positif sur le budget de la recherche. Il s'agit d'ailleurs plutôt d'un préjugé favorable, en début de quinquennat, car nous apprécions la sincérité budgétaire affirmée ainsi que l'augmentation des budgets, notamment celui de l'ANR. La nomination de son nouveau président-directeur général est très attendue, compte tenu des difficultés qu'a connues l'établissement ces dernières années. Si un taux de succès de 16 % pourrait être atteint en 2018, c'est un taux de 20 % qu'il faut rapidement viser dans les années qui viennent.
Les organismes demeurent dans l'attente d'un plan quinquennal affirmant les ambitions du Gouvernement pour la recherche. Ils rencontrent des difficultés en raison de leurs dépenses de personnel : les départs à la retraite sont nombreux et le glissement-vieillesse-technicité (GVT) n'est pas suffisamment pris en charge par leurs subventions pour charges de service public.
J'ai, par ailleurs, au cours de mes auditions, levé un lièvre concernant l'Inserm. Depuis plusieurs années, les présidents de la République annoncent des plans de santé publique sur chacune des pandémies, comme Zyka, ou, actuellement, la maladie de Lyme, sans y consacrer un centime. Le ministère de la recherche n'en ayant pas les moyens, le ministère de la santé devrait assumer ces coûts, mais refuse de le faire.
J'avais proposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour créer un fonds spécifique à cette fin au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie, mais il a été retoqué au titre de l'article 40. Je vous propose donc de m'aider à rédiger un amendement afin de demander au Gouvernement un rapport sur le sujet.
S'agissant de la maladie de Lyme, en particulier, les associations sont conscientes qu'aucune cohorte n'a été organisée. Il en va de même en ce qui concerne l'augmentation de la vaccination obligatoire. D'ici un an ou deux, l'Inserm devra vérifier qu'aucun effet indésirable important n'est constaté, mais il n'en a pas les moyens. Cela risque d'avoir des répercussions importantes.
Nous saluons surtout la compensation du GVT, elle était très attendue, mais nous regrettons en revanche le montant un peu faible du « Plan étudiants ».
Ce budget reste toutefois marqué par la politique du quinquennat précédent, même si j'ai pris note du travail réalisé cette nuit à l'Assemblée nationale sur le PPCR et sur la CSG. Je m'interroge également quant aux incidences financières du « Plan étudiants ».
Je partage donc la position de ma collègue Laure Darcos, notre avis est favorable, dans l'attente des premiers résultats. Attendons de voir !
Je rapporte le programme 190, dont Jean-François Rapin a dit qu'il faisait exception à la morosité des budgets qui ne relèvent pas du ministère de la recherche. Il est nécessaire que les différents organismes fassent des efforts en matière de fonctionnement en diminuant masse salariale. Je leur ai demandé s'ils pouvaient atteindre leurs objectifs avec moins d'effectifs ; ils m'ont dit souhaiter continuer à développer leurs programmes et considèrent qu'il serait inquiétant que la baisse qui leur est imposée s'installe dans la durée. Il nous font donc veiller à ne pas leur réclamer d'efforts excessifs.
Dans certains domaines, les organismes de recherche ont entamé des recherches en commun. C'est le cas, dans le nucléaire, entre le CEA et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ainsi qu'entre l'Institut français des sciences et technologies des transports (Iffstar), de l'aménagement et des réseaux et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Ces coopérations doivent s'intensifier dans les domaines partagés.
L'appréciation portée sur le programme 190 est donc plutôt positive.
Il y a quelques mois était publiée une étude alarmante sur l'incapacité des universités françaises à attirer les étudiants étrangers d'excellence, comparées aux établissements britanniques, américains et allemands. Le Président de la République avait annoncé un programme sur ce sujet. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Je salue à mon tour la sincérité de ces budgets. Avec 40 000 étudiants de plus en septembre 2018, les difficultés déjà présentes à la rentrée dernière risquent d'empirer. La démographie étudiante reste un problème majeur.
S'agissant des étudiants boursiers, dont un rapport du Sénat avait évalué le coût à 2 milliards d'euros par an, une exigence d'assiduité doit être imposée en contrepartie, car nous savons que beaucoup de boursiers étudiant à l'université ne se rendent pas en cours ou rendent copie blanche. Cela entraîne des coûts importants et provoque une inégalité de traitement par rapport aux étudiants en classes préparatoires, qui doivent, eux, justifier de leur présence à chaque cours.
Je me réjouis de l'augmentation des crédits et de l'effort porté sur la recherche afin d'atteindre les objectifs de Lisbonne. À ce titre, des évolutions du crédit d'impôt recherche sont-elles à l'étude afin de permettre aux entreprises d'atteindre la barre des 2 % du PIB consacrés à la recherche ?
De même, un effort particulier est-il porté sur le numérique, en matière de recherche, essentiel à la transformation de notre industrie et de toute notre économie ?
S'agissant des étudiants, on entend dire que la scolarité dans les Instituts universitaires de technologie (IUT) passerait à trois ans. Les crédits prévus dans ce budget permettent-ils cette évolution, qui risque de provoquer un afflux d'étudiants à venir ? L'idée me semble bonne, malgré les difficultés qu'elle pose à des établissements comme les écoles de commerce.
Je ne peux que regretter l'abandon du recrutement annuel sur de nouveaux postes en enseignement supérieur. Comment mener à bien l'ambition d'accueil individualisé des étudiants en premier cycle ? Qui analysera des dossiers d'élèves de terminale à partir du printemps prochain ? Avec quels crédits et quels effectifs s'effectueront le parcours individuel et les cours de rattrapage, alors que ce budget ne prévoit pas d'augmentation pour le premier cycle ?
Nous sommes très dubitatifs sur le fond de la réforme et franchement opposés à la sélection, et nous ne voyons pas comment mettre en place un meilleur accompagnement dès la rentrée de 2018 sans moyens supplémentaires.
Le programme 150 comprend une masse salariale importante, avec plus de 192 000 emplois, quels en sont les opérateurs ? S'agit-il des universités ou d'autres structures ?
Nous avons entendu les inquiétudes relatives à la démographie étudiante. Pour y répondre, la tentation est de penser en termes de mètres carrés, alors que beaucoup d'étudiants feront défaut durant les trois premiers mois de l'année.
On peut pourtant aussi raisonner en usage d'enseignement. Ce budget prend-il en compte l'impact du numérique et des nouveaux moyens de suivre des cours, comme les MOOC, ou massive open online course, qui ne nécessitent pas de mètres carrés supplémentaires ?
Ce budget est examiné dans un contexte de redéfinition de la stratégie nationale en matière d'enseignement supérieur, qui semble en rupture avec les politiques volontaristes de démocratisation.
Toutefois, l'évolution des crédits consacrés à la vie étudiante est très faible, alors que les conditions de vie des étudiants conditionnent leur réussite, les transferts immobiliers sans dotation présentent une grave atteinte à l'autonomie financière et les crédits relatifs à la recherche culturelle et à la culture scientifique, dont nous savons pourtant qu'elle souffre de manquements en France, diminuent.
Enfin, les moyens consacrés à la recherche devraient être plus abondants dans le contexte actuel.
Madame Darcos, vous avez raison, mais il m'avait semblé délicat de déposer un amendement sur la recherche publique en matière de santé dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale alors que l'on demandait déjà un effort important sur l'Ondam aux professionnels de santé.
La solution serait sans doute de faire en sorte que la recherche, en particulier fondamentale, soit considérée comme une forme de prévention.
J'ai entendu également que le Gouvernement demandait aux grands opérateurs des efforts sur la recherche en matière de pandémies, car il n'est pas exclu qu'un jour, une épidémie d'Ebola, par exemple, se produise en Europe. Il est nécessaire d'y consacrer des moyens, mais chaque année, l'Inserm, comme les autres, constate qu'il ne dispose pas des crédits nécessaires.
On peut demander un rapport, mais beaucoup ne sont pas lus. Si un rapport devait être réalisé, je propose qu'il porte plutôt sur la définition d'une trajectoire de convergence entre recherche fondamentale et prévention.
Monsieur Canevet, il n'y a pas de projet d'extension du crédit d'impôt recherche, ni de nouvelles perspectives à ce sujet. Les 6 milliards d'euros qui lui sont consacrés aujourd'hui représentent un effort important qui a « boosté » la recherche privée.
S'agissant du numérique, il est pris en compte par les crédits du CNRS, du PIA 3 et de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Nous verrons à l'issue de l'année budgétaire si c'est satisfaisant.
Monsieur Karoutchi, les universités doivent travailler sur leur environnement. Nous nous sommes rendus à Oxford et nous avons constaté, outre l'attraction exercée par le prestige de l'institution, la qualité de l'environnement et des moyens offerts aux étudiants. Il faut donc améliorer cet accompagnement. Pour cela, il faudra accepter l'augmentation des droits d'inscription, afin de donner aux établissements la capacité de se doter d'équipements spécifiques pour améliorer la qualité des études.
Nous sommes parvenus cette année à un point de blocage avec le tirage au sort, qui va changer beaucoup de choses sur le fond, car la réforme est devenue indispensable.
Aujourd'hui, 27 % des étudiants seulement réussissent leur licence en trois ans, et 40 % en quatre ans. Que la démocratisation s'accompagne d'une situation aussi catastrophique finit par faire du tort aux étudiants. Il faut changer de modèle et cesser de les stocker dans des formations sans intérêt et sans avenir.
La situation va provoquer une révolution bien au-delà du budget. Il faudra changer les prérequis, améliorer l'orientation et augmenter les places en BTS et en IUT afin de résoudre la problématique des 40 000 étudiants supplémentaires.
Or 15 millions d'euros pour tout cela, ce n'est pas suffisant. Le Gouvernement annonce 1 milliard d'euros sur cinq ans, mais il faut réussir dès la rentrée prochaine. Le ministère devra donc faire plus d'efforts pour résoudre le problème rapidement dans l'intérêt de tous.
Il serait éclairant de connaître les taux d'échec par filière en première année. En faisant semblant d'accueillir tout le monde sans sélection et sans orientation, on provoque un gâchis pour la jeunesse, qui perd des années, et pour les entreprises, qui recherchent des jeunes formés.