Intervention de Jean-François Rapin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 novembre 2017 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « recherche et enseignement supérieur » et articles 57 octies et nonies - examen du rapport spécial

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

Je vais vous présenter les sept programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur » consacrés à la recherche.

En préambule, je souhaitais vous faire part de mon scepticisme concernant la maquette budgétaire de ces programmes, qui présente un caractère administratif très marqué, avec une logique de financement par ministère, alors que l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) devait conduire à une approche plus globale et interministérielle. Il s'ensuit un manque de transparence, encore accru par le rôle des programmes d'investissement d'avenir en matière de recherche, qui limite la capacité d'arbitrage et d'amendement du Parlement.

La somme des budgets des programmes relatifs à la recherche devrait atteindre 11,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement en 2018, soit une hausse de 3,6 %, atteignant 394,4 millions d'euros, en autorisations d'engagement et surtout de 4,6 %, c'est-à-dire de 512,3 millions d'euros, en crédits de paiement, par rapport aux crédits votés par le Parlement en loi de finances pour 2017. Les crédits consacrés à la recherche représenteront ainsi près de 3 % des dépenses du budget général de l'État en 2018.

Ces hausses sont significatives dans un contexte budgétaire qui demeure contraint. Il était temps que le budget de la recherche soit considéré comme prioritaire, au même titre que ceux de la sécurité, de la justice ou de l'éducation, car il s'agit d'une dépense d'avenir par excellence.

Le montant total des crédits alloués aux programmes qui dépendent du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire les programmes 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 193 « Recherche spatiale » s'établira en 2018 à 8 345,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 8 391,8 millions d'euros en crédits de paiement, soit une forte hausse atteignant respectivement 365,4 millions d'euros, ou 4,4 %, et 501,3 millions d'euros, ou 6 %, par rapport à 2017. C'est un effort d'autant plus considérable que les crédits de ces programmes seront abondés de façon significative pour la deuxième année d'affilée.

Ces augmentations concerneront en particulier les moyens de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, qui retrouveront un niveau inédit depuis 2011.

La hausse de 41,9 millions d'euros des crédits de l'action 14 du programme 172, qui porte les subventions pour charges de service public destinées à financer les moyens généraux des organismes de recherche dépendant du ministère, c'est-à-dire, entre autres, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a pour objet de compenser les diverses mesures salariales décidées par le précédent Gouvernement en faveur des fonctionnaires.

Les directeurs des organismes de recherche ont attiré mon attention sur deux questions qui faisaient toujours l'objet de discussions au sein du Gouvernement au moment de leurs auditions : l'impact sur la masse salariale de ces organismes du report partiel du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations », ou PPCR, annoncé par le ministre de l'action et des comptes publics et la compensation de la hausse de la CSG pour les chercheurs. Je comptais interroger Mme la ministre en séance sur ces deux points, mais le Sénat a d'ores et déjà et déjà été entendu puisque l'Assemblée nationale a voté la nuit dernière, à l'initiative du Gouvernement, des augmentations de crédits permettant de régler ces questions.

Les auditions que j'ai menées m'ont permis de prendre conscience de l'ampleur du recours aux contrats à durée déterminée dans les organismes de recherche. Il y a là un enjeu social très important, auquel nous devons être attentifs, car il paraît difficile de demander à des chercheurs de très haut niveau de se consacrer sereinement à leurs travaux alors qu'ils se trouvent dans une situation de précarité. Nombre de CDD se termineront en 2019, et les directeurs d'organismes craignent de devoir intégrer ces chercheurs dans leurs effectifs, ce qu'ils auront des difficultés à faire à moyens constants.

Enfin, je souligne l'effort budgétaire très important qui sera consenti en 2018 en faveur des très grandes infrastructures de recherche et des organisations internationales relatives à la recherche. Je pense notamment à la hausse des financements destinés à l'Agence spatiale européenne, ou ESA, qui porte le projet Ariane 6, à l'organisation pour la recherche nucléaire, le CERN, au réacteur thermonucléaire expérimental international, ITER, et à l'Organisation européenne de satellites météorologiques, Eumetsat.

Le Gouvernement s'est incontestablement attaché cette année à améliorer la sincérité du budget de la recherche sur ce point, pour mettre fin à la pratique, dénoncée ces dernières années par mon prédécesseur Michel Berson, qui consistait à sous-budgétiser les crédits nécessaires au respect des engagements de la France puis à puiser dans la réserve de précaution pour y faire face en fin d'année. Parfois même, la solution retenue était tout simplement de laisser s'accumuler les dettes auprès des organisations internationales de recherche, je songe en particulier à la dette de la France vis-à-vis de l'Agence spatiale européenne.

La plupart des autres programmes de la mission, qui ne dépendent pas du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, verront en revanche leurs moyens stagner, voire diminuer en 2018.

Il en ira notamment ainsi des programmes 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », 191 « Recherche duale (civile et militaire) » et 186 « Recherche culturelle et culture scientifique ».

Cette tendance morose connaît deux exceptions. Le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricole », qui porte notamment les crédits de l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, mais aussi ceux des écoles d'enseignement supérieur agricoles et vétérinaires, verra ses crédits augmenter de 2 % afin notamment de répondre aux besoins des filières agricoles en cadres de haut niveau.

Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » bénéficiera de la budgétisation des crédits relatifs à la recherche et développement dans le domaine de l'aéronautique civile, portés jusqu'en 2016 par les deux premiers programmes d'investissement d'avenir, pour un montant de 135 millions d'euros en autorisations d'engagement. Le fait que l'État apporte de nouveau une aide précieuse à un secteur décisif pour l'avenir de notre industrie, après le trou d'air de 2017, constitue une excellente nouvelle.

J'en viens à présent à un sujet qui intéressait beaucoup mon prédécesseur : le financement de la recherche par projets. Cette mise en concurrence a vocation à dynamiser la recherche, sans pour autant constituer son unique mode de financement, puisque les crédits récurrents des organismes de recherche demeurent largement majoritaires. L'ANR, créée en 2005, a précisément pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets dans notre pays, en répartissant les crédits d'intervention qui lui sont alloués.

À partir de 2009, cette dotation, portée par le programme 172, a progressivement diminué. La baisse s'est accélérée à partir de 2013, lorsque le précédent Gouvernement a décidé de réduire cette enveloppe au profit des subventions aux organismes de recherche. Elle a atteint un point bas en 2015, à 510,7 millions d'euros, contre 850 millions d'euros en 2008, montant qui représente la limite d'efficacité du dispositif. Parallèlement, le taux de sélection des projets s'est effondré de 20 % à 11 %, entraînant des effets délétères sur les équipes de chercheurs des organismes de recherche.

Michel Berson s'était beaucoup inquiété de la réduction de la dotation budgétaire de l'ANR, susceptible de venir menacer la viabilité du système français de financement sur projets, qui constitue un levier d'excellence très performant et de plus en plus utilisé dans le monde entier.

Le précédent gouvernement avait enfin décidé de mettre fin à ce mouvement de baisse en allouant des crédits supplémentaires à l'ANR, d'abord timidement en 2016, puis de façon plus significative en 2017. Cette hausse va nettement s'amplifier en 2018, puisque les moyens budgétaires de l'ANR s'élèveront à 736,1 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une augmentation de 32,7 millions d'euros, ou 4,7 %, et à 773,2 millions d'euros en crédits de paiement, soit une forte hausse de 133,9 millions d'euros, ou 20,9 %, par rapport à 2017.

L'ANR n'avait plus bénéficié d'autant de crédits depuis 2011. Alors que le nom de son nouveau président-directeur général sera rendu public dans les tout prochains jours, je me réjouis que l'État ait enfin pris conscience du fait que cette agence constituait son principal outil pour dynamiser et orienter la recherche dans notre pays et qu'il fallait absolument cesser de la sacrifier à des objectifs budgétaires à court terme.

Peut-on pour autant considérer que l'objectif fixé par le nouveau Président de la République de donner à l'ANR des moyens dignes de ceux de ses homologues étrangers est atteint ? Assurément pas encore. Michel Berson estimait qu'un budget de 850 millions d'euros au minimum serait nécessaire pour retrouver des taux acceptables de sélection des projets. Il manque 80 millions d'euros pour atteindre ce niveau.

Selon les jurys de sélection, 25 % des projets présentés à l'ANR mériteraient d'être financés. Un budget d'un milliard d'euros serait donc probablement nécessaire pour cesser de rejeter d'excellents travaux et pour se rapprocher des standards européens en la matière. La marche est encore haute : le taux de sélection devrait être de 15 % environ en 2017 et, dans le meilleur des cas, de 16 % en 2018.

En ce qui concerne les financements européens sur projets compétitifs, les premiers chiffres de programme-cadre « Horizon 2020 » pour la recherche en Europe ne sont guère flatteurs pour notre pays et tendent à montrer que le recul de la France en matière de recherche au niveau européen s'amplifie.

Les participations françaises représentent un total de 2,7 milliards d'euros, soit 10,6 % des financements disponibles, contre 11,3 % pour l'ensemble du septième programme-cadre de recherche et développement technologique, ou PCRDT. On observe en outre une diminution inquiétante des projets retenus à participation française, à 22,1 % contre 27,7 % sous le septième PCRDT ainsi que de la part relative des participations françaises dans les projets retenus, de 9 % contre 9,4 %.

Si l'Allemagne et la Grande-Bretagne obtiennent traditionnellement plus de financements européens que la France, celle-ci est désormais rattrapée par les Pays-Bas et surtout dépassée par l'Espagne, qui bénéficie d'une dynamique très positive, depuis 2015. Inspirons-nous de cette politique ouvertement volontariste, qui incite fortement les équipes publiques et privées à se tourner vers l'Europe ! Il est sans doute nécessaire de renforcer notre pilotage de la participation aux programmes de recherche européens...

Enfin, le crédit d'impôt recherche continuera en 2018 à représenter à lui seul 90 % des dépenses fiscales des programmes relatifs à la recherche de la mission. Pour 2018, la dépense fiscale liée au crédit d'impôt recherche augmenterait sensiblement par rapport à 2017 pour atteindre 5 802 millions d'euros, soit une hausse de 1,7 %. Le dispositif a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation, compilées dans une revue de la littérature rendue publique en avril 2017 par l'Observatoire français des conjonctures économiques.

On peut conclure à un effet positif de ce crédit d'impôt sur les dépenses de recherche des entreprises. En son absence, il est probable que la part de la recherche privée aurait reculé au cours des dernières années. Il a permis de stabiliser l'effort de recherche en France, même s'il provoque également d'indiscutables effets d'aubaine.

En outre, si la réforme du crédit d'impôt recherche survenue en 2008 n'a pas eu d'effets très significatifs sur les dépôts de brevets, elle a favorisé en revanche l'emploi des chercheurs par les entreprises.

En 2000, il avait été décidé que l'effort de recherche de chaque État membre de l'Union européenne devait atteindre 3 % du PIB d'ici à 2020. La France et l'Allemagne y consacraient alors l'une et l'autre 2,15 % de leur PIB. En 2018, selon l'indicateur 4.1 de la mission, la France devrait consacrer 2,24 % de son PIB à la recherche seulement, quand l'Allemagne est parvenue à dépasser les 3 %.

Les responsables des organismes de recherche font valoir que l'avenir de la recherche française, en particulier son rayonnement dans le monde, se jouera dans les prochaines années. Pour ne pas se laisser distancer dans la compétition internationale, pour rester la cinquième puissance scientifique mondiale, la France doit se donner pour ambition d'atteindre ce taux, en consacrant 2 % du PIB à la recherche privée et 1 % à la recherche publique. Pour cette dernière, passer de 0,8 % actuellement à 1 % représente un effort important, mais indispensable.

En dépit des contraintes budgétaires fortes, il ne peut y avoir d'économies sur la recherche publique, notamment fondamentale, car c'est elle qui permet le développement de la recherche appliquée et qui conduit aux innovations de rupture.

Je suggère que notre commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui bénéficie de hausses de crédits importantes dans un contexte budgétaire général qui reste difficile.

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