Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 octobre 2017 à 17h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu la semaine dernière vous parler des crises. Je serai plus technique aujourd'hui pour évoquer les priorités du budget. A priori, je n'ai pas prévu de revenir la semaine prochaine, sauf événement particulier...

Je vais vous présenter ce budget selon les priorités que j'ai la charge de mettre en oeuvre, en précisant chaque fois les crédits associés. Je procéderai ensuite à une description rapide du budget en tant que tel.

La première de nos priorités, c'est la sécurité et la protection des Français en France et dans le monde. Plus largement, il s'agit de notre engagement face aux crises internationales qui affectent nos intérêts, à commencer par la menace terroriste qui pèse sur l'Europe et sur la France. Dans ce domaine, notre action se décline en trois volets : d'abord, assurer la sécurité des communautés françaises à l'étranger ; ensuite, sécuriser les emprises de l'État à travers le monde ; enfin, participer à la sécurité collective.

La protection des communautés françaises à l'étranger est une responsabilité essentielle de mon ministère. Le centre de crise et de soutien (CDCS) est le chef de file en matière d'anticipation et de réaction face aux crises, notamment consulaires. Cette année, le dispositif de crise a été activé à l'occasion des attentats de Londres, de Ouagadougou et de Barcelone, mais aussi en soutien au ministère de l'intérieur, dans le cadre de la gestion des crises dues aux ouragans Irma et Maria. J'ai pu mesurer l'intérêt de cet outil particulièrement efficace en me rendant moi-même à Barcelone pour observer son fonctionnement en élément projeté. Je veux rendre un hommage particulier aux agents mobilisés en cellule de crise, y compris pendant l'été, y compris la nuit, qui sont particulièrement opérationnels. Une visite de parlementaires à ce centre me semblerait une initiative tout à fait positive, notamment à l'égard des agents.

En 2018, le CDCS voit ses moyens confortés dans le cadre du plan de sécurité engagé en 2017. À ce titre, l'augmentation des enveloppes est prévue pour le renouvellement des moyens radio, les biens de première nécessité, les médicaments et les dépenses de crise, ainsi que les subventions aux associations d'aide aux victimes. J'ajoute que le CDCS se transforme en cellule interministérielle d'aide aux victimes en cas d'attentat sur le territoire national.

En matière de sécurité, un deuxième volet concerne la protection de nos emprises. Le plan de sécurité est pérennisé dans ce but : sécuriser nos emprises grâce à des dépenses de gardiennage et de travaux. Plus de 22 millions d'euros seront consacrés à la sécurisation des ambassades, consulats et instituts français, 15 millions d'euros à celle des établissements d'enseignement à l'étranger et un million d'euros à celle des alliances françaises.

Lors de chacune de mes visites, je demande à vérifier la situation sécuritaire, quel que soit l'établissement en cause (siège de l'ambassade, résidence, lycée ou institut), pour m'assurer d'abord que les engagements sont tenus et vérifier, surtout dans les pays susceptibles d'être victimes d'attentats ou d'interventions violentes, que l'ensemble du dispositif est mis en oeuvre ou sera mis en oeuvre.

Troisième volet de notre sécurité, la sécurité collective. Nous participons à la gestion des crises qui affectent le plus directement notre sécurité, y compris en mobilisant nos partenaires étrangers. Je présiderai le 30 octobre, à New York, en ma qualité de président du Conseil de sécurité, une réunion ministérielle consacrée au soutien opérationnel à la Force conjointe du G5 Sahel, dans la continuité de la résolution 2359. Dans cette instance majeure, je vais essayer de mettre en avant notre vision d'une action nationale, articulée avec la montée en puissance des forces locales et le soutien des partenaires de la France.

J'ajoute que notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité nous confère des devoirs particuliers au titre du maintien de la paix. Le ministère consacrera l'an prochain 384 millions d'euros aux opérations de maintien de la paix (OMP). Certaines sont renforcées - au Mali ou au Soudan du Sud -, d'autres sont en réduction ou en phase d'extinction - à Haïti ou au Libéria. La quote-part française pour les OMP est en légère baisse, autour de 6,3 %.

Au-delà, d'autres organisations internationales, au sein desquelles les délégations françaises sont particulièrement actives, concourent à la sécurité internationale, comme l'OTAN ou l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Pour mémoire, la quote-part française pour l'OTAN s'élève à environ 10 %, soit un financement de 28 millions d'euros annuels. Les contributions obligatoires à ces organisations s'élèvent au total à 372 millions d'euros en 2018, contre 385 millions d'euros en 2017, soit une diminution de 7,7 millions d'euros.

En appui des efforts diplomatiques que nous déployons, nous devons aussi aider les pays en crise à faire face aux tensions, à se stabiliser, puis à se reconstruire. Pour cela, mon ministère doit détenir les moyens de répondre directement aux crises et aux urgences humanitaires. Ainsi, les crédits de gestion et de sortie de crise augmentent de 14 millions d'euros, soit une augmentation de 20 % pour atteindre 86,3 millions d'euros en 2018, dont 30 millions d'euros pour le Fonds d'urgence humanitaire, géré directement par le CDCS, et 35 millions d'euros pour l'aide alimentaire versée par la direction générale de la mondialisation, notamment au Programme alimentaire mondial. C'est un effort que j'entends poursuivre tout au long du quinquennat : je ne peux en effet me résoudre au fait que la France soit le 16e contributeur mondial en matière d'action humanitaire, derrière la Belgique ou le Danemark. Il y va de la crédibilité de notre action dans la gestion des crises : la stabilisation humanitaire et l'aide au développement doivent être au rendez-vous.

Un autre levier à notre disposition est l'aide financière aux organisations internationales compétentes qui agissent dans le domaine de l'action humanitaire, c'est-à-dire en faveur des réfugiés et pour la protection des droits de l'homme. Il s'agit notamment du HCR, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de l'Unicef.

Parallèlement à nos moyens de réaction aux crises, nous détenons des outils de prévention qui soutiennent directement nos objectifs de sécurité intérieure. Je pense au budget consacré à la coopération de sécurité et de défense, qui s'élève à 36,3 millions d'euros hors dépenses de personnel ; 2 millions d'euros, soit une hausse de 6 % viennent compléter l'augmentation de 2017 dans les domaines de la lutte antiterroriste et de la sécurité aéroportuaire et maritime. En outre, les 25 postes de coopérants créés en 2017 sont pérennisés.

Deuxième priorité pour le ministère après la sécurité, l'engagement pour la refondation de l'Europe. Cette priorité est au coeur du mandat que les Français ont confié au Président de la République. Les enjeux financiers européens ne sont pas supportés par le budget de mon ministère. Vous trouverez seulement dans ce budget une ligne intitulée « Action européenne » dans le programme 105 : elle est essentiellement composée des contributions aux organisations européennes, qui connaissent une légère augmentation par rapport à 2017 et passent de 40,3 millions d'euros à 41,1 millions d'euros, dont 36, 5 millions d'euros pour le Conseil de l'Europe.

La troisième priorité confiée à mon ministère concerne la protection de ce que le Président de la République a caractérisé comme des « biens communs ». Cet objectif ne peut être atteint que par une action collective. L'investissement de la France pour les biens communs correspond à l'engagement du Président de la République de porter l'ensemble de l'aide publique au développement (APD) à 0,55 % du PIB d'ici à 2022, contre 0,38 % en 2016, ce qui suppose de passer de 8,5 milliards d'euros en 2016 à presque 15 milliards en 2022, en tenant compte des hypothèses de croissance actuelles.

Ces biens communs, vous les connaissez, je n'en mentionnerai que trois.

Tout d'abord, le climat : notre appareil diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir la mise en oeuvre de l'accord de Paris. Ce sera l'objectif de la COP 23 qui se tiendra, sous présidence fidjienne, à Bonn au début du mois de novembre. De manière complémentaire, nous traiterons également de la mise en oeuvre de l'accord de Paris, et notamment de ses financements, lors du sommet de Paris, le 12 décembre 2017. Ce sommet permettra d'assurer un suivi, une relance et une vigilance sur la mise en oeuvre de la COP 21.

Ensuite, la santé. Nos engagements sont anciens dans ce domaine, mais les défis restent immenses, qu'il s'agisse de la lutte contre les pandémies, contre les maladies plus rares, mais aussi, plus fondamentalement, de la mise en place des politiques sanitaires nécessaires pour assurer un tournant dans le développement de nombres de nos partenaires.

Un mot sur le financement de nos actions en faveur de ces deux biens communs : en complément des crédits budgétaires mis en place dans le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », il existe des financements innovants dits « extrabudgétaires » : la taxe sur les billets d'avion et la taxe sur les transactions financières alimentent le Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, qui pèse un milliard d'euros. Ce fonds permet nos engagements multilatéraux en santé et pour le climat, ainsi qu'une partie de l'aide bilatérale en dons de l'Agence française de développement au bénéfice des pays les plus fragiles. Je pense également à la création de la facilité « vulnérabilités » centrée sur quatre zones de crise, décidée lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de novembre 2016, et financée, elle aussi, par des fonds extrabudgétaires. C'est le cas des 35 millions d'euros annuels que nous allons octroyer à l'Alliance pour le Sahel pour initier ce fonds que nous voulons partager avec d'autres acteurs qui se mobiliseront lors de la réunion que nous organisons à Bruxelles au mois de décembre.

Troisième « bien commun », l'éducation. Notre aide cible les pays prioritaires de notre politique d'aide au développement et soutient les initiatives qui améliorent l'accès à la qualité et l'équité de l'action, notamment en Afrique subsaharienne et au Sahel. Notre aide est bilatérale, en passant par l'AFD, mais également multilatérale. À ce titre, la France participera, comme vous le savez, à la conférence de reconstitution du programme mondial pour l'éducation, organisée en février prochain à Dakar et coprésidée par le Président de la République et le président Macky Sall.

L'AFD agit aussi pour ces biens communs. Les ressources budgétaires et extrabudgétaires qui relèvent de la compétence de mon ministère sont de l'ordre de 480 millions d'euros. Elles lui permettent notamment d'intervenir dans une cinquantaine de pays, en particulier dans les 17 pays pauvres prioritaires définis par le Cicid, ainsi que dans les pays en crise ou en sortie de crise. L'AFD finance des projets variés, en utilisant divers instruments allant des dons aux prêts, en passant par les participations en capital ou encore les garanties, sans oublier l'assistance technique, les programmes de renforcement des capacités, l'objectif étant de répondre aux besoins particuliers des pays bénéficiaires. Afin d'enclencher la hausse de l'aide publique au développement, nous procédons en 2018 à une hausse d'environ 80 millions d'euros d'autorisations d'engagement, ceci devant évidemment se traduire par des accroissements de crédits de paiement dès 2019 et dans les années suivantes.

La quatrième grande priorité de mon ministère est le renforcement du rayonnement et de l'attractivité de notre pays. En ce qui concerne la diplomatie économique, nous devons en faire davantage. Le Premier ministre nous a fixé l'objectif de 200 000 entreprises exportatrices en 2022 contre 120 000 aujourd'hui, et de 2 000 nouveaux projets d'investissements en France d'ici à 2020. Comme vous le savez, les dépenses de fonctionnement des services économiques, ainsi que la subvention à Business France, dépendent d'un programme budgétaire qui n'est pas placé sous ma responsabilité, mais le soutien à l'exportation étant de ma compétence et de celle de Jean-Baptiste Lemoyne, je voulais y faire référence.

Par ailleurs, le réseau diplomatique a joué tout son rôle pour la promotion du tourisme en France : le nombre de visiteurs en 2017 marque une nette progression et devrait atteindre 88 millions, ce qui marque un réel retour en force de la France, après la difficile année 2016. L'implication des plus hautes autorités a permis de mobiliser largement autour de la destination France et de contenir l'impact négatif des attentats terroristes sur notre sol. Ma volonté est de parvenir à l'accueil de 100 millions de visiteurs étrangers en 2020, avec une dépense touristique étrangère de 50 milliards d'euros.

En 2018, les crédits versés à Atout France s'élèveront à 32,632 millions, montant stable par rapport à 2017. Je compte, pour l'an prochain, sur le maintien du mécanisme d'attribution d'une partie des droits additionnels sur les visas à cet opérateur, qui avait permis de dégager 4,5 millions d'euros en 2016. Enfin, à l'occasion du récent conseil de pilotage du tourisme, que j'ai présidé avec Jean-Baptiste Lemoyne, j'ai constitué une mission d'information sur le financement de la promotion du tourisme. L'objectif est d'impulser une nouvelle dynamique entre Atout France et les opérateurs privés et de réfléchir à des mécanismes pérennes de financement. Je serai amené à vous en parler dès que cette mission d'information aura rendu son rapport, soit très prochainement.

Je voudrais évoquer maintenant l'action culturelle. Pour oeuvrer au rayonnement culturel et à l'influence de notre pays, nous disposons d'un réseau que beaucoup de nos partenaires nous envient, composé de 124 instituts français, dont 98 pluridisciplinaires et 26 de recherche. Nous pouvons aussi compter sur plus de 800 alliances françaises, associations de droit local, dont 363 conventionnées et subventionnées par nos ambassades. La dotation de fonctionnement des instituts s'élève à plus de 41 millions d'euros, elle est stable ; les subventions aux alliances passent de 8,8 millions d'euros à 7,8 millions d'euros en 2018. L'Institut français porte une ambition renouvelée pour notre diplomatie d'influence : sa subvention est stable à 28,7 millions d'euros. Nous sommes en train d'étudier la pertinence d'un rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française, afin de favoriser les synergies et de décupler notre action dans le domaine culturel.

L'audiovisuel extérieur est une dimension primordiale de notre rayonnement. L'impact du rapprochement de France Médias Monde, qui comprend France24 et RFI, et de Canal France International (CFI), agence de coopération technique pour la production et la diffusion de programmes en français, ne sera mesurable que l'an prochain, notamment en Europe et en Afrique. Nous avons l'espoir que, malgré les contraintes financières, cette réforme porte ses fruits. Comme vous le savez, les crédits de l'action audiovisuelle extérieure de la France ne figurent plus sur les programmes budgétaires du ministère, ils relèvent du budget du ministère de la culture, même si nous sommes partie prenante au conseil d'administration de France Médias Monde. Néanmoins, le ministère conserve le financement de CFI dans le programme 209, car la mission de coopération pour les médias de cette entité est préservée et la subvention allouée à CFI sera maintenue à hauteur de 7,2 millions d'euros en 2018.

Je ne peux parler d'influence sans aborder la francophonie. Il s'agit d'un atout majeur pour notre pays et le Président de la République a décidé de réinvestir ce champ, en demandant un plan d'ensemble pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme dans le monde qui sera placé sous notre responsabilité. En plus des actions que nous menons pour l'enseignement de la langue française, grâce à nos instituts, aux alliances françaises, aux écoles du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), nous contribuons à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Toutes ces lignes confondues représentent 53,4 millions d'euros, équivalant au montant prévu dans la précédente loi de finances. Nous sommes le premier financeur de l'OIF, juste devant le Canada, et vous savez que la francophonie est un enjeu d'influence majeur.

Attirer des étudiants étrangers dans nos universités est fondamental. En 2018, cette action représente en tout 86 millions d'euros de crédits pour des bourses et des échanges d'expertise et une subvention pour charges de service public à Campus France de 3,85 millions d'euros.

Le rayonnement, c'est aussi celui de notre expertise technique : notre opérateur Expertise France est encore jeune, mais il grandit vite. Son chiffre d'affaires est en pleine croissance et atteint une taille européenne, en particulier en souscrivant des contrats et des engagements auprès de l'Union européenne : cette dynamique confirme la demande d'expertise à travers le monde. Sa subvention est maintenue à 26,3 millions d'euros.

Enfin, je ne serais pas exhaustif si je ne mentionnais pas l'action du ministère en faveur des Français à l'étranger. Les communautés françaises sont en expansion constante et constituent un des enjeux de notre rayonnement. La modernisation des services offerts par nos consulats, en particulier à travers la simplification, la numérisation et la promesse d'un service public de qualité, consolide l'attachement de nos concitoyens à la France. Nous déployons de réels efforts pour satisfaire nos concitoyens à l'étranger, grâce à de nombreuses innovations, concernant notamment les démarches en ligne, qui évitent à nos compatriotes de se rendre systématiquement au consulat. Par ailleurs, notre réseau d'enseignement est unique au monde : il comprend 495 établissements français à l'étranger, scolarisant 342 000 élèves, dont 211 000 élèves étrangers qui grandissent et se construisent ainsi avec la France dans 137 pays. Ces établissements sont rattachés sous différents statuts à l'AEFE, opérateur du ministère, et, pour 84 d'entre eux, à la Mission laïque française, association reconnue d'utilité publique et partenaire historique du ministère. La subvention à l'AEFE se maintient entre 2017 et 2018 à 398 millions d'euros, conformément à l'engagement de stabilité pris par le Président de la République pour 2018 et 2019. En contrepoint, je dois aussi évoquer l'enveloppe de bourses scolaires pour les parents d'élèves de ce réseau : elle s'élève à 110 millions d'euros cette année, comme l'an passé ; ce budget stable nous permettra de financer l'ensemble des bourses scolaires cette année.

Si je reprends maintenant le projet de loi de finances pour 2018, en dehors des missions majeures dont j'ai détaillé le financement, je voudrais reprendre techniquement les éléments que les rapporteurs connaissent déjà.

Le budget global s'élève, après transferts, à 4,7 milliards d'euros en crédit de paiement. Il affiche donc une hausse de 95 millions d'euros par rapport la loi de finances pour 2017, soit une hausse de plus de 2 %.

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