Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 24 octobre 2017 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Mes chers collègues, nous accueillons à nouveau le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, accompagné de son secrétaire d'État, Jean-Baptiste Lemoyne.

Monsieur le ministre, le budget de votre ministère est en hausse de 2 %. Sous ce chiffre se cachent des réalités assez contrastées : d'un côté, une baisse des crédits de la masse salariale d'environ 36 millions d'euros, ce qui traduit l'impact du schéma d'emploi qui se met en place, ainsi que la poursuite d'un certain nombre de transferts vers Expertise France et l'Agence française de développement (AFD), de l'autre, il faut en convenir, une hausse stricto sensu de près de 105 millions d'euros, sur un budget qui s'élève à 4,7 milliards d'euros : la marge de manoeuvre est donc évidemment assez faible. Vous nous direz votre sentiment par rapport à ces augmentations de crédits.

Comme chaque année, les mêmes logiques sont à l'oeuvre : le poids des contributions obligatoires à un certain nombre d'organismes internationaux, le renchérissement du coût de la vie dans les pays émergents, la rétraction du schéma d'emplois et des moyens de fonctionnement du ministère pèsent sur le Quai d'Orsay.

Notre commission a souvent critiqué la politique de ventes immobilières destinée à assurer l'entretien du réseau, mais qui a plus souvent servi à renflouer le budget général. Vous nous direz si cette politique est maintenant close - et s'il reste même encore quelque chose à vendre !

Parallèlement, nous aimerions aussi avoir quelques indications de votre part concernant la reconfiguration du réseau diplomatique, notamment les différents niveaux d'ambassades. Bien sûr, nous approuvons l'accent mis par ce budget sur la sécurité, puisque nombre de nos diplomates travaillent dans des postes particulièrement exposés. Vous faites face à une équation budgétaire bien complexe que les rapporteurs auront l'occasion de commenter dans un instant.

Enfin, puisque c'est la première fois que nous vous entendons sur ce sujet, pourrez-vous nous préciser, derrière tous ces chiffres, l'orientation de la politique que vous menez avec votre secrétaire d'État à la tête du Quai d'Orsay ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu la semaine dernière vous parler des crises. Je serai plus technique aujourd'hui pour évoquer les priorités du budget. A priori, je n'ai pas prévu de revenir la semaine prochaine, sauf événement particulier...

Je vais vous présenter ce budget selon les priorités que j'ai la charge de mettre en oeuvre, en précisant chaque fois les crédits associés. Je procéderai ensuite à une description rapide du budget en tant que tel.

La première de nos priorités, c'est la sécurité et la protection des Français en France et dans le monde. Plus largement, il s'agit de notre engagement face aux crises internationales qui affectent nos intérêts, à commencer par la menace terroriste qui pèse sur l'Europe et sur la France. Dans ce domaine, notre action se décline en trois volets : d'abord, assurer la sécurité des communautés françaises à l'étranger ; ensuite, sécuriser les emprises de l'État à travers le monde ; enfin, participer à la sécurité collective.

La protection des communautés françaises à l'étranger est une responsabilité essentielle de mon ministère. Le centre de crise et de soutien (CDCS) est le chef de file en matière d'anticipation et de réaction face aux crises, notamment consulaires. Cette année, le dispositif de crise a été activé à l'occasion des attentats de Londres, de Ouagadougou et de Barcelone, mais aussi en soutien au ministère de l'intérieur, dans le cadre de la gestion des crises dues aux ouragans Irma et Maria. J'ai pu mesurer l'intérêt de cet outil particulièrement efficace en me rendant moi-même à Barcelone pour observer son fonctionnement en élément projeté. Je veux rendre un hommage particulier aux agents mobilisés en cellule de crise, y compris pendant l'été, y compris la nuit, qui sont particulièrement opérationnels. Une visite de parlementaires à ce centre me semblerait une initiative tout à fait positive, notamment à l'égard des agents.

En 2018, le CDCS voit ses moyens confortés dans le cadre du plan de sécurité engagé en 2017. À ce titre, l'augmentation des enveloppes est prévue pour le renouvellement des moyens radio, les biens de première nécessité, les médicaments et les dépenses de crise, ainsi que les subventions aux associations d'aide aux victimes. J'ajoute que le CDCS se transforme en cellule interministérielle d'aide aux victimes en cas d'attentat sur le territoire national.

En matière de sécurité, un deuxième volet concerne la protection de nos emprises. Le plan de sécurité est pérennisé dans ce but : sécuriser nos emprises grâce à des dépenses de gardiennage et de travaux. Plus de 22 millions d'euros seront consacrés à la sécurisation des ambassades, consulats et instituts français, 15 millions d'euros à celle des établissements d'enseignement à l'étranger et un million d'euros à celle des alliances françaises.

Lors de chacune de mes visites, je demande à vérifier la situation sécuritaire, quel que soit l'établissement en cause (siège de l'ambassade, résidence, lycée ou institut), pour m'assurer d'abord que les engagements sont tenus et vérifier, surtout dans les pays susceptibles d'être victimes d'attentats ou d'interventions violentes, que l'ensemble du dispositif est mis en oeuvre ou sera mis en oeuvre.

Troisième volet de notre sécurité, la sécurité collective. Nous participons à la gestion des crises qui affectent le plus directement notre sécurité, y compris en mobilisant nos partenaires étrangers. Je présiderai le 30 octobre, à New York, en ma qualité de président du Conseil de sécurité, une réunion ministérielle consacrée au soutien opérationnel à la Force conjointe du G5 Sahel, dans la continuité de la résolution 2359. Dans cette instance majeure, je vais essayer de mettre en avant notre vision d'une action nationale, articulée avec la montée en puissance des forces locales et le soutien des partenaires de la France.

J'ajoute que notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité nous confère des devoirs particuliers au titre du maintien de la paix. Le ministère consacrera l'an prochain 384 millions d'euros aux opérations de maintien de la paix (OMP). Certaines sont renforcées - au Mali ou au Soudan du Sud -, d'autres sont en réduction ou en phase d'extinction - à Haïti ou au Libéria. La quote-part française pour les OMP est en légère baisse, autour de 6,3 %.

Au-delà, d'autres organisations internationales, au sein desquelles les délégations françaises sont particulièrement actives, concourent à la sécurité internationale, comme l'OTAN ou l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Pour mémoire, la quote-part française pour l'OTAN s'élève à environ 10 %, soit un financement de 28 millions d'euros annuels. Les contributions obligatoires à ces organisations s'élèvent au total à 372 millions d'euros en 2018, contre 385 millions d'euros en 2017, soit une diminution de 7,7 millions d'euros.

En appui des efforts diplomatiques que nous déployons, nous devons aussi aider les pays en crise à faire face aux tensions, à se stabiliser, puis à se reconstruire. Pour cela, mon ministère doit détenir les moyens de répondre directement aux crises et aux urgences humanitaires. Ainsi, les crédits de gestion et de sortie de crise augmentent de 14 millions d'euros, soit une augmentation de 20 % pour atteindre 86,3 millions d'euros en 2018, dont 30 millions d'euros pour le Fonds d'urgence humanitaire, géré directement par le CDCS, et 35 millions d'euros pour l'aide alimentaire versée par la direction générale de la mondialisation, notamment au Programme alimentaire mondial. C'est un effort que j'entends poursuivre tout au long du quinquennat : je ne peux en effet me résoudre au fait que la France soit le 16e contributeur mondial en matière d'action humanitaire, derrière la Belgique ou le Danemark. Il y va de la crédibilité de notre action dans la gestion des crises : la stabilisation humanitaire et l'aide au développement doivent être au rendez-vous.

Un autre levier à notre disposition est l'aide financière aux organisations internationales compétentes qui agissent dans le domaine de l'action humanitaire, c'est-à-dire en faveur des réfugiés et pour la protection des droits de l'homme. Il s'agit notamment du HCR, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou de l'Unicef.

Parallèlement à nos moyens de réaction aux crises, nous détenons des outils de prévention qui soutiennent directement nos objectifs de sécurité intérieure. Je pense au budget consacré à la coopération de sécurité et de défense, qui s'élève à 36,3 millions d'euros hors dépenses de personnel ; 2 millions d'euros, soit une hausse de 6 % viennent compléter l'augmentation de 2017 dans les domaines de la lutte antiterroriste et de la sécurité aéroportuaire et maritime. En outre, les 25 postes de coopérants créés en 2017 sont pérennisés.

Deuxième priorité pour le ministère après la sécurité, l'engagement pour la refondation de l'Europe. Cette priorité est au coeur du mandat que les Français ont confié au Président de la République. Les enjeux financiers européens ne sont pas supportés par le budget de mon ministère. Vous trouverez seulement dans ce budget une ligne intitulée « Action européenne » dans le programme 105 : elle est essentiellement composée des contributions aux organisations européennes, qui connaissent une légère augmentation par rapport à 2017 et passent de 40,3 millions d'euros à 41,1 millions d'euros, dont 36, 5 millions d'euros pour le Conseil de l'Europe.

La troisième priorité confiée à mon ministère concerne la protection de ce que le Président de la République a caractérisé comme des « biens communs ». Cet objectif ne peut être atteint que par une action collective. L'investissement de la France pour les biens communs correspond à l'engagement du Président de la République de porter l'ensemble de l'aide publique au développement (APD) à 0,55 % du PIB d'ici à 2022, contre 0,38 % en 2016, ce qui suppose de passer de 8,5 milliards d'euros en 2016 à presque 15 milliards en 2022, en tenant compte des hypothèses de croissance actuelles.

Ces biens communs, vous les connaissez, je n'en mentionnerai que trois.

Tout d'abord, le climat : notre appareil diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir la mise en oeuvre de l'accord de Paris. Ce sera l'objectif de la COP 23 qui se tiendra, sous présidence fidjienne, à Bonn au début du mois de novembre. De manière complémentaire, nous traiterons également de la mise en oeuvre de l'accord de Paris, et notamment de ses financements, lors du sommet de Paris, le 12 décembre 2017. Ce sommet permettra d'assurer un suivi, une relance et une vigilance sur la mise en oeuvre de la COP 21.

Ensuite, la santé. Nos engagements sont anciens dans ce domaine, mais les défis restent immenses, qu'il s'agisse de la lutte contre les pandémies, contre les maladies plus rares, mais aussi, plus fondamentalement, de la mise en place des politiques sanitaires nécessaires pour assurer un tournant dans le développement de nombres de nos partenaires.

Un mot sur le financement de nos actions en faveur de ces deux biens communs : en complément des crédits budgétaires mis en place dans le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », il existe des financements innovants dits « extrabudgétaires » : la taxe sur les billets d'avion et la taxe sur les transactions financières alimentent le Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, qui pèse un milliard d'euros. Ce fonds permet nos engagements multilatéraux en santé et pour le climat, ainsi qu'une partie de l'aide bilatérale en dons de l'Agence française de développement au bénéfice des pays les plus fragiles. Je pense également à la création de la facilité « vulnérabilités » centrée sur quatre zones de crise, décidée lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de novembre 2016, et financée, elle aussi, par des fonds extrabudgétaires. C'est le cas des 35 millions d'euros annuels que nous allons octroyer à l'Alliance pour le Sahel pour initier ce fonds que nous voulons partager avec d'autres acteurs qui se mobiliseront lors de la réunion que nous organisons à Bruxelles au mois de décembre.

Troisième « bien commun », l'éducation. Notre aide cible les pays prioritaires de notre politique d'aide au développement et soutient les initiatives qui améliorent l'accès à la qualité et l'équité de l'action, notamment en Afrique subsaharienne et au Sahel. Notre aide est bilatérale, en passant par l'AFD, mais également multilatérale. À ce titre, la France participera, comme vous le savez, à la conférence de reconstitution du programme mondial pour l'éducation, organisée en février prochain à Dakar et coprésidée par le Président de la République et le président Macky Sall.

L'AFD agit aussi pour ces biens communs. Les ressources budgétaires et extrabudgétaires qui relèvent de la compétence de mon ministère sont de l'ordre de 480 millions d'euros. Elles lui permettent notamment d'intervenir dans une cinquantaine de pays, en particulier dans les 17 pays pauvres prioritaires définis par le Cicid, ainsi que dans les pays en crise ou en sortie de crise. L'AFD finance des projets variés, en utilisant divers instruments allant des dons aux prêts, en passant par les participations en capital ou encore les garanties, sans oublier l'assistance technique, les programmes de renforcement des capacités, l'objectif étant de répondre aux besoins particuliers des pays bénéficiaires. Afin d'enclencher la hausse de l'aide publique au développement, nous procédons en 2018 à une hausse d'environ 80 millions d'euros d'autorisations d'engagement, ceci devant évidemment se traduire par des accroissements de crédits de paiement dès 2019 et dans les années suivantes.

La quatrième grande priorité de mon ministère est le renforcement du rayonnement et de l'attractivité de notre pays. En ce qui concerne la diplomatie économique, nous devons en faire davantage. Le Premier ministre nous a fixé l'objectif de 200 000 entreprises exportatrices en 2022 contre 120 000 aujourd'hui, et de 2 000 nouveaux projets d'investissements en France d'ici à 2020. Comme vous le savez, les dépenses de fonctionnement des services économiques, ainsi que la subvention à Business France, dépendent d'un programme budgétaire qui n'est pas placé sous ma responsabilité, mais le soutien à l'exportation étant de ma compétence et de celle de Jean-Baptiste Lemoyne, je voulais y faire référence.

Par ailleurs, le réseau diplomatique a joué tout son rôle pour la promotion du tourisme en France : le nombre de visiteurs en 2017 marque une nette progression et devrait atteindre 88 millions, ce qui marque un réel retour en force de la France, après la difficile année 2016. L'implication des plus hautes autorités a permis de mobiliser largement autour de la destination France et de contenir l'impact négatif des attentats terroristes sur notre sol. Ma volonté est de parvenir à l'accueil de 100 millions de visiteurs étrangers en 2020, avec une dépense touristique étrangère de 50 milliards d'euros.

En 2018, les crédits versés à Atout France s'élèveront à 32,632 millions, montant stable par rapport à 2017. Je compte, pour l'an prochain, sur le maintien du mécanisme d'attribution d'une partie des droits additionnels sur les visas à cet opérateur, qui avait permis de dégager 4,5 millions d'euros en 2016. Enfin, à l'occasion du récent conseil de pilotage du tourisme, que j'ai présidé avec Jean-Baptiste Lemoyne, j'ai constitué une mission d'information sur le financement de la promotion du tourisme. L'objectif est d'impulser une nouvelle dynamique entre Atout France et les opérateurs privés et de réfléchir à des mécanismes pérennes de financement. Je serai amené à vous en parler dès que cette mission d'information aura rendu son rapport, soit très prochainement.

Je voudrais évoquer maintenant l'action culturelle. Pour oeuvrer au rayonnement culturel et à l'influence de notre pays, nous disposons d'un réseau que beaucoup de nos partenaires nous envient, composé de 124 instituts français, dont 98 pluridisciplinaires et 26 de recherche. Nous pouvons aussi compter sur plus de 800 alliances françaises, associations de droit local, dont 363 conventionnées et subventionnées par nos ambassades. La dotation de fonctionnement des instituts s'élève à plus de 41 millions d'euros, elle est stable ; les subventions aux alliances passent de 8,8 millions d'euros à 7,8 millions d'euros en 2018. L'Institut français porte une ambition renouvelée pour notre diplomatie d'influence : sa subvention est stable à 28,7 millions d'euros. Nous sommes en train d'étudier la pertinence d'un rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française, afin de favoriser les synergies et de décupler notre action dans le domaine culturel.

L'audiovisuel extérieur est une dimension primordiale de notre rayonnement. L'impact du rapprochement de France Médias Monde, qui comprend France24 et RFI, et de Canal France International (CFI), agence de coopération technique pour la production et la diffusion de programmes en français, ne sera mesurable que l'an prochain, notamment en Europe et en Afrique. Nous avons l'espoir que, malgré les contraintes financières, cette réforme porte ses fruits. Comme vous le savez, les crédits de l'action audiovisuelle extérieure de la France ne figurent plus sur les programmes budgétaires du ministère, ils relèvent du budget du ministère de la culture, même si nous sommes partie prenante au conseil d'administration de France Médias Monde. Néanmoins, le ministère conserve le financement de CFI dans le programme 209, car la mission de coopération pour les médias de cette entité est préservée et la subvention allouée à CFI sera maintenue à hauteur de 7,2 millions d'euros en 2018.

Je ne peux parler d'influence sans aborder la francophonie. Il s'agit d'un atout majeur pour notre pays et le Président de la République a décidé de réinvestir ce champ, en demandant un plan d'ensemble pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme dans le monde qui sera placé sous notre responsabilité. En plus des actions que nous menons pour l'enseignement de la langue française, grâce à nos instituts, aux alliances françaises, aux écoles du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), nous contribuons à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Toutes ces lignes confondues représentent 53,4 millions d'euros, équivalant au montant prévu dans la précédente loi de finances. Nous sommes le premier financeur de l'OIF, juste devant le Canada, et vous savez que la francophonie est un enjeu d'influence majeur.

Attirer des étudiants étrangers dans nos universités est fondamental. En 2018, cette action représente en tout 86 millions d'euros de crédits pour des bourses et des échanges d'expertise et une subvention pour charges de service public à Campus France de 3,85 millions d'euros.

Le rayonnement, c'est aussi celui de notre expertise technique : notre opérateur Expertise France est encore jeune, mais il grandit vite. Son chiffre d'affaires est en pleine croissance et atteint une taille européenne, en particulier en souscrivant des contrats et des engagements auprès de l'Union européenne : cette dynamique confirme la demande d'expertise à travers le monde. Sa subvention est maintenue à 26,3 millions d'euros.

Enfin, je ne serais pas exhaustif si je ne mentionnais pas l'action du ministère en faveur des Français à l'étranger. Les communautés françaises sont en expansion constante et constituent un des enjeux de notre rayonnement. La modernisation des services offerts par nos consulats, en particulier à travers la simplification, la numérisation et la promesse d'un service public de qualité, consolide l'attachement de nos concitoyens à la France. Nous déployons de réels efforts pour satisfaire nos concitoyens à l'étranger, grâce à de nombreuses innovations, concernant notamment les démarches en ligne, qui évitent à nos compatriotes de se rendre systématiquement au consulat. Par ailleurs, notre réseau d'enseignement est unique au monde : il comprend 495 établissements français à l'étranger, scolarisant 342 000 élèves, dont 211 000 élèves étrangers qui grandissent et se construisent ainsi avec la France dans 137 pays. Ces établissements sont rattachés sous différents statuts à l'AEFE, opérateur du ministère, et, pour 84 d'entre eux, à la Mission laïque française, association reconnue d'utilité publique et partenaire historique du ministère. La subvention à l'AEFE se maintient entre 2017 et 2018 à 398 millions d'euros, conformément à l'engagement de stabilité pris par le Président de la République pour 2018 et 2019. En contrepoint, je dois aussi évoquer l'enveloppe de bourses scolaires pour les parents d'élèves de ce réseau : elle s'élève à 110 millions d'euros cette année, comme l'an passé ; ce budget stable nous permettra de financer l'ensemble des bourses scolaires cette année.

Si je reprends maintenant le projet de loi de finances pour 2018, en dehors des missions majeures dont j'ai détaillé le financement, je voudrais reprendre techniquement les éléments que les rapporteurs connaissent déjà.

Le budget global s'élève, après transferts, à 4,7 milliards d'euros en crédit de paiement. Il affiche donc une hausse de 95 millions d'euros par rapport la loi de finances pour 2017, soit une hausse de plus de 2 %.

La mission « Action extérieure de l'État », qui regroupe à elle seule 3 milliards d'euros de crédits, toutes dépenses confondues, comporte trois programmes. Hors dépenses de personnel, le programme 105 « Actions en Europe et dans le monde » s'élève à 1,28 milliard d'euros, soit une quasi-stabilité. Ce programme est le socle de l'action diplomatique de la France, puisqu'il finance les contributions obligatoires au système multilatéral, l'action européenne, la coopération de sécurité et de défense. Le programme 105 finance aussi le fonctionnement du ministère en France à l'étranger : ces crédits sont stables, ils s'élèvent respectivement à 137 millions d'euros et 283,2 millions d'euros - seul le poste « sécurité », dont je vous ai parlé, augmente encore cette année, ainsi que les crédits d'entretien immobilier. Vous remarquerez que le fonctionnement du ministère à l'étranger se limite à 283 millions d'euros : ce budget est extrêmement modeste pour un réseau diplomatique et consulaire universel de 180 postes à l'étranger. Notre présence à l'étranger fait donc l'objet d'une gestion rigoureuse, vous en avez déjà fait la remarque et je le souligne.

Deuxièmement, le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » qui est le programme de service public pour les Français à l'étranger, qu'ils soient résidents ou de passage, est doté de 140 millions d'euros, soit une diminution de 15 millions d'euros qui s'explique par la libération de l'enveloppe consacrée en 2017 à l'organisation des élections à l'étranger. Comme vous le savez, 75 % des crédits de ce programme portent sur les bourses scolaires que j'ai évoquées tout à l'heure.

Troisièmement, enfin, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » regroupe les moyens directs du ministère, c'est-à-dire son réseau culturel et de coopération, et des moyens alloués aux grands opérateurs. Son financement s'élève à 644 millions d'euros, en très légère hausse par rapport à 2017. Les moyens des opérateurs qui concourent à la mise en oeuvre de cette politique sont préservés, qu'il s'agisse de l'Institut français, de Campus France, d'Atout France et de l'AEFE.

En plus de la mission « Action extérieure de l'État », je suis aussi responsable, au sens de la LOLF, au sein de l'autre mission « Aide publique au développement », du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». Ce programme est doté de 1,57 milliard d'euros de crédits de paiement, en progression de 119 millions d'euros par rapport à 2017, soit une progression de 8,21 %. La ligne la plus importante de ce programme correspond à notre contribution obligatoire au Fonds européen de développement (FED) qui atteint, en 2018, un peu moins de 850 millions d'euros, soit une hausse de 107 millions d'une année sur l'autre. Vous savez que le FED est l'instrument principal de l'action extérieure de l'Union européenne ; la France est partie prenante à la gestion de ce fonds européen. Nous faisons en sorte que les projets qu'il finance correspondent aux grandes priorités sectorielles et géographiques dont je vous ai parlé. Dans le programme 209, la coopération bilatérale augmente elle aussi de 17 millions d'euros, soit de 3 % : elle regroupe l'aide-projet, les contrats de désendettement et de développement, les partenariats en matière d'objectifs et de développement durable. Cette hausse du programme 209 est en cohérence avec l'engagement du Président de la République sur l'aide publique au développement que j'ai évoqué. Les contraintes qui pèseront encore sur nos finances publiques l'an prochain nous obligent à être modestes sur l'évolution de ces crédits entre 2017 et 2018, mais, afin d'honorer l'engagement présidentiel, l'enjeu sera pour nous de définir une trajectoire d'évolution de l'aide publique au développement à partir de 2019.

Enfin, nous avons créé un nouveau programme, le programme 347, destiné à couvrir les besoins de préparation du prochain sommet du G7, présidé par la France, qui se tiendra en 2019.

Je termine avec les dépenses de personnel. Tous programmes confondus, elles diminuent de 36 millions d'euros par rapport à 2017, soit une baisse de 3,2 %, pour s'établir à un milliard d'euros. Ces dépenses se répartissent entre la mission « Action extérieure de l'État » pour 923 millions d'euros et la mission « Aide publique au développement » pour 164 millions d'euros. Cette diminution s'explique par deux phénomènes : la réduction des effectifs du ministère de 100 ETP et de ceux de ses opérateurs de 82 ETP et la bascule d'experts techniques internationaux vers Expertise France pour 15 millions de crédits de masse salariale. Je note ainsi que le Quai d'Orsay, qui représente 0,7 % des emplois de l'État prend à son compte 6 % des réductions des effectifs en 2018, après de très nombreuses années de baisse.

Le budget que je vous présente est adapté aux missions que mon ministère doit assumer. Il a été calibré avec attention pour répondre à un équilibre délicat entre l'ensemble de ses composantes ; les postes de dépenses ont été évalués au plus juste, dans le respect du principe de la sincérité budgétaire. Vous l'avez compris au fil de mon exposé, le budget supporte des dépenses obligatoires auxquelles nous ne pouvons nous soustraire et pour lesquelles nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Les dépenses « pilotables » hors masse salariale représentent finalement un volume peu important, rapporté au budget de l'État.

Je suis donc à la tête d'un ministère dont les moyens sont modestes au regard de l'importance des tâches qu'il doit accomplir dans un monde dangereux et concurrentiel. Je dois vous dire que j'ai été frappé, en arrivant au Quai d'Orsay, par la faiblesse de certains moyens et par une certaine forme d'appauvrissement. Or ce ministère régalien est essentiel au maintien du rang de la France et à la défense de ses intérêts, comme à la protection des Français. Je souhaite donc que les engagements qui ont été annoncés, en particulier pour l'aide au développement, mais pas uniquement, puissent être tenus. Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la pérennité de notre réseau universel de présence diplomatique et l'opportunité de son maintien : le simple constat des crises et le simple fait que la France soit membre permanent du Conseil de sécurité suffisent à justifier la nécessité de conserver un outil diplomatique fort et universel. En tout cas, c'est la logique que je défends et j'espère pouvoir obtenir que ce ministère puisse être « redoté » pour faire face de manière encore plus substantielle aux missions que lui confie la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci, monsieur le ministre, de ce panorama complet. Sans perdre de temps, je vais donner d'abord la parole aux rapporteurs pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le ministre, j'ai le sentiment que, dans votre tête et dans votre coeur, vous êtes toujours le ministre de la défense et pas encore complètement le ministre des affaires étrangères. N'y voyez pas une critique, car j'ai soutenu les actions que vous avez entreprises ces dernières années bien que n'appartenant pas à votre formation politique.

Quelle place souhaitez-vous donner à la France dans le monde ? Pour évaluer cette place, quelques critères sont importants. Vous avez évoqué le premier : notre réseau diplomatique, le nombre d'ambassades et de consulats. Or nous reculons : il y a quatre ans, nous sommes passés du 2e au 3e rang, les Chinois nous ont dépassés. Les efforts financiers de l'Allemagne - heureusement que l'Angleterre a des problèmes ! - ne la placent plus très loin derrière nous. Vous n'avez pas le droit de baisser les bras, le président de notre commission vous l'a rappelé. Je pense que ce serait un mauvais service à rendre à la France de continuer à vendre son patrimoine diplomatique - nous ne vous soutiendrons jamais si vous envisagez de vendre la résidence de Londres, car ce serait un très mauvais signal donné à la communauté internationale.

Vous avez évoqué un second critère, monsieur le ministre : toutes les contributions de la France aux différents organismes et agences. Certaines sont obligatoires (ONU, OTAN, OMS, OIT, Unesco), les autres sont volontaires, en fonction de nos moyens. Sur ce point, notre situation n'est franchement pas très glorieuse : nous perdons des places. Trois exemples concrets : pour le programme du haut-commissariat aux réfugiés, nous sommes le 14e contributeur, pour l'Unicef, nous sommes le 16e contributeur, pour le Programme alimentaire mondial, nous sommes le 19e contributeur.

Je termine sur un point qui devrait vous toucher : les dons aux pays pauvres, versés notamment à ces pays de la zone du Sahel qui vous tiennent à coeur. À quoi sert-il de dépenser plusieurs centaines de millions d'euros dans le domaine militaire dans cette zone très tendue, si l'on abandonne tout le reste, les écoles, les routes, les hôpitaux ? Ce ne sont pas seulement les Allemands qui prennent la relève avec leur programme GIZ - quand on ne donne plus que 200 millions d'euros, ils en donnent un milliard -, mais ce sont aussi les djihadistes qui installent des écoles musulmanes.

Monsieur le ministre, qu'allez-vous faire pour que nous puissions continuer à rayonner d'une manière forte ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Monsieur le ministre, je vais aborder un sujet qui va vous ramener à vos fonctions précédentes, à savoir les enjeux de sécurité à l'étranger, dont vous nous avez dit qu'ils constituaient votre première priorité. Vous en avez détaillé les trois volets. Le « plan de renforcement des moyens de lutte antiterroriste et de protection des communautés et intérêts français à l'étranger » est maintenu en 2018.

Ces crédits de coopération de sécurité et de défense ont trop souvent servi de variable d'ajustement du budget du ministère dans le passé, puisqu'ils sont passés de 106 millions d'euros en 2007 à 87 millions d'euros en 2016. L'effort entamé en 2017, permettant une progression de 9,46 millions d'euros, est maintenu en 2018 et 2 millions d'euros supplémentaires sont alloués, nous ne pouvons d'ailleurs que nous en féliciter.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si nous sommes remontés, d'après vous, à un niveau de crédits suffisant, puisque nous ne sommes toujours pas revenus au montant de 2007 ? Peut-on en même temps dire que l'on renforce les moyens de protection des intérêts français et se satisfaire du niveau actuel des crédits de coopération de sécurité et de défense ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Monsieur le ministre, je souhaiterais revenir sur un point déjà évoqué, la vente de bâtiments symboliques de l'influence française à l'étranger, notamment la maison Descartes, à Amsterdam, ou le palais Clam-Gallas, à Vienne, qui a été vendu au Qatar. Au moment où l'on voit des pays adosser leur politique d'influence sur des implantations de prestige - je pense au centre orthodoxe russe récemment installé à Paris -, avons-nous raison d'abandonner ce patrimoine qui n'est pas seulement immobilier, mais aussi immatériel ? C'est un capital en termes d'image, d'influence et de rayonnement. Des alternatives qui permettraient un autofinancement de ces structures peuvent-elles être envisagées, comme l'ouverture de librairies, de cafés, la location d'espaces à des partenaires culturels, comme c'est déjà le cas à la Villa Médicis, ou comme le fait la Finlande en France ou le Danemark à Paris ? Que pensez-vous de ce type d'approche ?

Au nom de notre collègue Robert del Picchia, qui est excusé, je me permets de vous interroger sur le contrat d'objectifs et de moyens de Campus France, notre opérateur chargé de la promotion de l'enseignement supérieur français et de la gestion des bourses de mobilité. Vous savez que la France est le quatrième pays d'accueil d'étudiants étrangers au monde, le premier pays non anglophone. C'est un enjeu d'attractivité et d'influence important, dans un contexte de plus en plus concurrentiel, marqué par l'émergence de nouveaux acteurs comme la Russie, la Turquie ou l'Arabie saoudite.

Quelle est la stratégie du Gouvernement dans ce domaine ? Quels sont les aires géographiques, les niveaux d'études et les disciplines que vous voulez privilégier ? Enfin, comment se traduira concrètement l'invitation lancée par le Président de la République, aux chercheurs, notamment en matière d'environnement, à rejoindre la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Les rapporteurs pour avis du programme 151 « Français de l'étranger et affaires consulaires » ne sont pas présents, mais un certain nombre de nos collègues interviendront sûrement dans la discussion sur ce sujet.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Monsieur Poniatowski, sans doute avez-vous raison : peut-être n'ai-je pas en effet encore retiré mon casque et mon gilet pare-balles, mais l'état du monde ne le permet pas... Face à la multiplication des crises, des conflits ou des menaces, diplomatie et défense ont partie liée. Ainsi je viens de rencontrer le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et nous avons évoqué les crises syrienne et libyenne.

J'ai affiché ma volonté de maintenir notre réseau diplomatique dans l'ensemble du monde. Celui-ci est toujours le deuxième au monde, derrière celui des États-Unis, avec 160 ambassades, 19 représentations permanentes, 28 consulats. La Chine a désormais plus d'ambassades que nous mais possède moins de consulats. Je tiens à ce que la France conserve sa présence et ses implantations, même si un poste diplomatique n'a pas le rang d'ambassade et n'accueille que cinq ou six personnes. Cette présence constitue un élément important de rayonnement et d'attractivité, au même titre que, parfois, l'implantation de nos ambassades dans des lieux historiques ou à forte dimension symbolique. Je vous rassure à ce sujet : le projet à Londres est suspendu. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura plus de cessions foncières. Si des opportunités financières se présentent nous les examinerons, mais alors les recettes devront revenir au ministère.

Je suis comme vous parfois embarrassé face à la faiblesse de nos contributions volontaires dans certains domaines. Après des années de baisse, le Président de la République a pris l'engagement, qu'il a réaffirmé devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, de porter la part de l'APD à 0,55% du PIB, passant de 8,5 milliards à 15 milliards d'euros. C'est un effort conséquent.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Oui. Le Président de la République m'a demandé de lui transmettre une trajectoire pluriannuelle d'ici à la fin de l'année. L'idéal évidemment serait de faire plus, mais en attendant nous devons rattraper notre retard.

Au Sahel, il faut mener de concert action militaire et aide au développement. L'action au Sahel doit faire l'objet d'une action spécifique. Il faut que les acteurs travaillent ensemble, pour que le pilotage soit plus en phase avec la réalité du terrain et la situation. Ce sera l'objet de la réunion de Bruxelles. La France a déjà annoncé qu'elle contribuerait à hauteur de 35 millions d'euros par an.

La sécurité est un enjeu essentiel. L'effort budgétaire sera maintenu. Une enveloppe supplémentaire de deux millions d'euros a été dégagée au profit de la coopération internationale en matière de lutte antiterroriste. Lors de mes déplacements, je m'assure toujours que les engagements pris en matière de sécurisation de nos implantations sont bien tenus. Je me rendrai, par exemple, à Kaboul où notre ambassade a été endommagée par un attentat, pour vérifier que les travaux de reconstruction et de sécurisation ont bien été réalisés. J'ai aussi pu constater l'ampleur de la tâche à Bagdad où nos diplomates sont encore hébergés dans un bunker. De même, avec Jean-Baptiste Lemoyne, nous veillons à vérifier à chacune de nos visites dans des lycées à l'étranger que les mesures de sécurité ont bien été mises en oeuvre. Ainsi, samedi, j'ai visité le lycée de Madrid, très vaste, avec dix entrées : un système de vidéo-surveillance sera déployé. N'hésitez pas à m'informer si vous constatez des manques ou des problèmes à certains endroits.

L'accueil d'étudiants étrangers est aussi une priorité car il s'agit d'un facteur d'influence. Tous nos accords bilatéraux avec les autres pays comportent un volet sur l'accueil d'étudiants. C'est un sujet que j'évoque régulièrement lorsque je rencontre mes homologues. Ainsi hier avec la ministre sud-coréenne nous avons décidé de faire passer le nombre d'étudiants sud-coréens en France de 6500 à 10 000 et de porter le nombre d'étudiants français en Corée du Sud à 3000. Lors de la réunion annuelle franco-sénégalaise nous avons aussi fixé des objectifs chiffrés en la matière. Après l'annonce du retrait des États-Unis de l'accord de Paris, le Président de la République avait invité les chercheurs en sciences de l'environnement à venir travailler en France : 5000 dossiers de candidature ont été déposés et une centaine d'ores et déjà retenus pour cette année.

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État

La part de nos contributions volontaires à certaines organisations internationales peut paraitre faible à première vue, mais la France a fait le choix d'une diplomatie universelle, avec des moyens d'actions diversifiés et de nombreuses obligations alors que beaucoup de pays concentrent leur action diplomatique sur ces contributions. Cela explique souvent les décalages observés. Toutefois, le Président de la République a décidé de mettre l'accent sur l'éducation car celle-ci est la condition fondamentale de réussite de tous les projets de développement. C'est le sens de la contribution franco-sénégalaise pour relancer le Partenariat mondial pour l'éducation, dont la Conférence de financement aura lieu à Dakar en février prochain.

Enfin, en matière d'influence, une étude américaine place la France sur la première marche du podium !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Nous contribuons à hauteur de 850 millions au Fonds européen de développement (FED), ce n'est pas rien. Lors d'un déplacement à Bruxelles, nous avions constaté que sa gestion était particulièrement lourde. Certains crédits mettent six ans avant d'arriver sur le terrain ! Je souhaite que notre rapporteur Jean-Pierre Vial puisse conduire une mission d'étude sur ce sujet. Il était aussi question d'en conduire une ensemble avec les Britanniques.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Sous l'impulsion des États-Unis et des pays d'Europe centrale, l'Union européenne a pris des sanctions contre la Russie après l'annexion de la Crimée. À son tour, la Russie a pris des mesures de rétorsion qui pénalisent durement nos agriculteurs et nos exportations. Ces sanctions étant régulièrement prolongées, la Russie développe son industrie agro-alimentaire et il n'est pas sûr qu'en cas de levée des sanctions nos agriculteurs puissent récupérer leur part de marché. Ma question est simple : pensez-vous que ces sanctions entraineront un jour la fin du conflit en Ukraine ? Si les sanctions n'ont pas d'effets positifs, sauf pour l'économie américaine qui en profite, pourquoi les prolonger ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Je salue votre engagement pour la sécurité de nos établissements. C'est un enjeu important pour les Français de l'étranger. Vous dites que le Gouvernement a fait de l'éducation une priorité en matière d'aide au développement. Les personnels de notre réseau aimeraient croire qu'il en va de même pour eux. Vous avez parlé de stabilité budgétaire à propos des opérateurs. L'AEFE a subi une annulation de 33 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement cette année. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une suppression de 30 postes d'expatriés, 25 postes de résidents. La participation financière complémentaire des EGD et des établissements conventionnés est portée à 9% soit trois points de plus. La stabilité budgétaire ne vaudra donc pas pour les familles qui seront mises à contribution. Je crains, sinon un ras-le-bol fiscal, du moins un ras-le-bol pour les frais d'écolage ! Que dites-vous aux familles des enfants qui scolarisent leurs enfants dans notre réseau ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Les termes de « développement » et de « coopération internationale » ont disparu des libellés des ministères. Il n'y a plus de secrétariat d'État à l'aide au développement. Cela s'est rarement vu sous la Ve république ! Parallèlement l'aide publique au développement (APD) a été réduite de 150 millions d'euros en juillet dernier. Vous avez évoqué les transferts de postes vers les opérateurs extérieurs mais le compte n'y est pas tout à fait... Comment dès lors comptez-vous atteindre l'objectif de 0,55% du PIB pour l'APD ? Quel degré de priorité le Gouvernement accorde-t-il à l'APD alors que, lors du débat sur la revue stratégique en matière de défense au Sénat, la ministre de la défense a rappelé que pour faire face aux menaces il fallait agir à la source...c'est-à-dire l'aide au développement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Mes questions porteront sur l'AEFE. Que répondez-vous aux critiques de la Cour des comptes sur la gouvernance de l'AEFE, notamment le fait qu'un directeur du ministère des affaires étrangères soit aussi président du Conseil d'administration de l'agence ? Le montant des bourses inscrit dans le projet de loi de finances reste constant à 110 millions d'euros. Dans les faits pourtant, la dépense est plus élevée et le solde est prélevé sur les réserves d'exploitation de l'agence, ce qui est fort discutable car celles-ci sont constituées en partie des frais d'écolage versés par les familles. Quel est le montant disponible des réserves d'exploitation ? Sera-t-il suffisant pour faire face aux dépenses ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Le Gleut

L'emploi en France dépend pour une grande part de nos capacités à exporter. Si nos grandes entreprises sont mondialisées, les PME rencontrent souvent des difficultés. Les acteurs pour aider nos entreprises à se développer à l'international sont pourtant très nombreux : Business France, les conseillers du commerce extérieur, les chambres de commerce à l'étranger, le French Tech Hub, la Sopexa, etc. Mais il n'y a pas de synergies entre ces organismes, quand il n'y a pas de concurrence entre eux... Comment dans ces conditions créer une équipe de France de l'export ? L'emploi en France en dépend.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Il n'y a pas de lien entre les sanctions européennes à l'égard de la Russie et les sanctions russes dans le domaine agro-alimentaire. Celles-ci ont été prises à la suite d'une épizootie. Il n'est pas exclu que la Russie face preuve de mauvaise foi car l'Union européenne a prouvé que cette affaire était en voie de règlement, mais ce n'est pas sûr : l'Encéphalopathie spongiforme bovine est encore un sujet brûlant en Extrême-Orient et une visite récente en Russie m'a montré que le pays était très sensible aux questions de sécurité sanitaire.

Quoi qu'il en soit, l'annexion de la Crimée est une violation de l'accord international signé par la Russie en 1993, qui garantissait l'intégrité territoriale de l'Ukraine. L'Ukraine est donc fondée à s'interroger sur sa sécurité. Les sanctions européennes s'inscrivent dans le cadre du processus de Minsk : l'Union européenne a toujours affirmée que si l'accord de Minsk était respecté les sanctions seraient levées. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, en dépit d'un cessez-le-feu. Le Président de la République a renoué le contact avec la Russie et a accueilli le Président Poutine. Depuis juin, j'ai rencontré à trois reprises M. Lavrov. Il y a des points de discussion et de désaccord. Disons que nous sommes entrés dans une phase de dialogue tonique avec la Russie. C'est un grand pays qui doit être respecté, tout comme nos intérêts.

Monsieur Ronan Le Gleut, je partage tout à fait votre analyse, et je veux inverser la tendance. Je l'ai constaté comme président de région. Il y a beaucoup d'acteurs, tant en France que dans les pays cibles, dont la fonction est d'aider les entreprises à exporter. Pourtant notre solde commercial se dégrade et nos PME n'exportent pas. Il faut aussi développer la culture de l'exportation. J'ai demandé au président de Business France, M. Lecourtier, de me faire des propositions. Il rendra son rapport à la mi-novembre. Une simplification s'impose. J'ai réuni les présidents de régions pour leur demander d'être les référents sur ce sujet afin de créer un guichet unique. Ils sont tous d'accord, même si les modalités varieront selon les régions. À l'étranger, c'est l'ambassadeur qui doit être le référent et qui doit désigner l'acteur le plus à même d'accompagner les entreprises. C'est ainsi que nous aiderons les PME à remporter des marchés. Les présidents de régions sont enthousiastes, tout comme les ambassadeurs qui font de la diplomatie économique une priorité...

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Particulièrement M. Lecourtier qui était ambassadeur en Australie lors de la vente des sous-marins !

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État

Avec la régulation budgétaire de juillet, il s'agissait de s'assurer que la France respecterait l'objectif de 3% de déficit, afin de notre crédibilité sur la scène européenne. Tous les ministères ont été mis à contribution. Depuis, lors de l'assemblée des Français de l'étranger en octobre, le Président de la République a annoncé qu'il souhaitait que la subvention de l'État à l'AEFE reste stable en 2018 et 2019. Il n'en demeure pas moins que 33 millions d'euros ont été annulés en juillet. Le président de l'AEFE a écrit aux directeurs d'établissement à l'étranger pour mettre en place une hausse temporaire de la participation financière complémentaire des EGD et des établissements conventionnés qui passera de 6% à 9% en 2018, puis retombera à 7,5% en 2019, avant de diminuer par la suite en cas de retour à meilleure fortune. Ce prélèvement temporaire ne s'accompagnera pas nécessairement d'une hausse des frais de scolarité. Tout dépendra du dialogue local entre le proviseur, les familles et tous les acteurs. Certains décideront de prélever les réserves d'exploitation, d'autres d'augmenter les frais de scolarité.

Les critiques de la Cour des comptes sur la gouvernance visent sur une situation qui a cessé, lorsque l'AEFE était contrôlé par le directeur de la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international (DGM) alors que celui-ci avait été précédemment directeur à l'AEFE. Le système de gouvernance en vigueur me semble justifié dans la mesure où le ministère des affaires étrangères participe au budget de l'AEFE.

En ce qui concerne l'APD, le budget pour 2018 réenclenche une logique vertueuse et d'augmentation. Une nouvelle trajectoire pluriannuelle permettra d'atteindre l'objectif de 0,55% du PIB en 2022. Dès 2018, les crédits augmenteront de 119 millions d'euros. La réflexion sera affinée lors de la réunion du 20 décembre du comité national de la solidarité internationale, puis en février avec la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID).

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Ma question ne portera pas sur l'AEFE, même si le budget proposé ne me satisfait guère, mais sur l'audiovisuel extérieur de la France et sur la situation de TV5 Monde. Le budget de TV5 Monde sera amputé d'un million d'euros l'an prochain, alors qu'il a déjà perdu 500 000 euros cette année à cause du déménagement de CFI. C'est un mauvais signal. C'est la première fois qu'un État baisse sa contribution à cette chaîne depuis qu'elle existe. Est-il possible de revenir sur cette décision dommageable ? Ne serait-il pas possible, par exemple, dans la mesure où les programmes de TV5 Monde comportent des programmes d'enseignement à destination de l'Afrique, de rediriger vers la chaîne certains crédits de l'APD consacrés au soutien à l'enseignement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Notre influence économique dans le monde s'est affaiblie ces dernières années mais notre influence politique n'a pas faibli, en raison de notre histoire, mais aussi à cause de notre indépendance d'expression, comme l'a illustrée le discours du Président de la République sur l'avenir de l'Europe, de positionnement, comme lors du refus d'intervenir dans la guerre en Irak, ou d'engagement, à travers l'intervention au Mali. Pourtant, notre outil diplomatique s'affaiblit. Or l'influence sur la scène internationale réclame un outil diplomatique fort, car elle procède non seulement de l'affirmation de positions politiques fortes mais aussi par petites touches.

Ma question concerne plus précisément les 17 écoles nationales à vocation régionales qui forment des cadres militaires des pays africains au maintien de l'ordre et à la sécurité globale, dont le rôle a été reconnu par la revue stratégique. Leurs moyens augmenteront-ils ? Peut-on envisager une extension de ce réseau, voire une association des États européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Quand une entreprise cherche un client en France, elle se débrouille seule. Pourquoi faudrait-il qu'elle soit obligée de passer par un guichet ou un service de l'État pour en trouver à l'étranger ? Comme entrepreneur, je ne comprends pas...

Représentant les Français de l'étranger, je voyage beaucoup. J'ai visité 63 pays en trois ans. À chaque fois je demande le pourcentage de jeunes Français, nés sur place, qui ne parlent pas le français : ils sont 15% en Europe du Nord, 50% en Australie, les deux-tiers en Amérique du Sud, 80% dans certaines régions d'Algérie... C'est un défi. À Dakar, certains jeunes qui ne parlent que le wolof se présentent à 18 ans pour obtenir leur passeport et partir en France...Parfois le consul est aussi directeur de l'Institut français. Pourquoi ne pas fusionner les programmes budgétaires 151 et 185 et ne pas mettre en place une stratégie pour développer l'enseignement du français à l'intention de nos jeunes compatriotes à l'étranger qui ne sont pas scolarisés dans le réseau ? C'est le cas des trois-quarts d'entre eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Vous avez fixé un double objectif en matière de diplomatie économique : porter le nombre d'entreprises exportatrices de 120 000 à 200 000 et accueillir 100 millions de touristes en France contre 80 millions environ aujourd'hui. Quel échéancier prévoyez-vous ? Quelles seront les mesures concrètes en 2018 ? Le gouvernement précédent avait déjà fixé l'objectif d'accueillir 100 millions de touristes avec le plan France développement tourisme doté d'un milliard d'euros.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Madame Garriaud-Maylam, la baisse de la participation de la France au budget de TV5 Monde d'un million d'euros, justifiée par la contrainte budgétaire, ne représente qu'une baisse de son budget de 1,3%. Nous nous efforcerons de trouver d'autres partenaires, au-delà de la France, de la Belgique, de la Suisse et du Québec, pour assurer le financement multilatéral de la chaîne.

Monsieur Vaugrenard, les écoles nationales à vocation régionales fonctionnent très bien. Associer d'autres partenaires est en effet une excellente idée. Notre outil diplomatique ne s'affaiblit pas, en tout cas ce budget ne l'affaiblit pas. Vous pouvez compter sur ma détermination pour le protéger.

Monsieur Boutant, j'attends deux rapports. J'ai fixé des objectifs précis. Nous dépasserons l'objectif de 100 millions de touristes étrangers. Ils sont déjà 88 millions cette année, contre 85 millions en 2016. C'était inespéré ! Monsieur Cadic, je ne partage pas votre analyse. Je suis breton comme vous et je connais des dizaines de PME bretonnes qui ne savent pas comment faire pour exporter ni qui contacter pour être aidées ! Sur ces deux sujets nous fixerons un calendrier avec des objectifs précis. Un comité interministériel du tourisme a déjà été créé pour mettre en oeuvre les préconisations d'Atout France. Il se réunira deux fois par an sous l'égide du Premier ministre. Des décisions seront prises. Parallèlement avec Jean-Baptiste Lemoyne, nous réunissons un comité de pilotage pour veiller à l'application des décisions. Il y a déjà eu deux réunions et le dispositif fonctionne bien. Nous avons aussi associé les collectivités territoriales. En ce qui concerne le commerce extérieur, la barre est haute. Le déficit de notre balance commerciale s'est creusé à 62 milliards contre 45 l'an dernier. C'est préoccupant, même s'il est normal, quoique paradoxal, que le déficit se creuse lorsque la croissance repart...

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État

Selon certaines études, le monde comptera, en 2050, 750 millions de locuteurs francophones. Je me méfie de ces chiffres qui représentent en réalité la somme des populations des États membres de l'Organisation internationale de la Francophonie. Mais dans la réalité le français sera parlé par une élite, sans être nécessairement parlé par la majeure partie de la population. C'est pour cela que nous devons mener une action volontariste pour veiller à la diffusion du français, défendre son usage dans les affaires, la culture, ou dans la vie quotidienne. Le Président de la République a demandé de préparer pour le premier semestre un grand plan pour la langue française et le plurilinguisme. Vous évoquiez le cas du Sénégal : vous avez raison, dans la région du fleuve, beaucoup de jeunes Français n'ont pas eu accès à l'enseignement du français. Pour y remédier, outre le réseau des Alliances françaises et de la mission laïque française qui font un travail remarquable, nous développerons l'école numérique et entendons multiplier les canaux d'accès. On constate par exemple que des institutions privées jouent un rôle important pour l'enseignement du français, à l'image de certains établissements bilingues. Les initiatives foisonnent en matière d'enseignement. Il faut les soutenir. La modification de notre architecture budgétaire et la fusion des programmes 151 et 185 ne constituent pas la réponse. Le programme 151 est un programme dédié aux Français de l'étranger, bien identifié, auquel cette communauté tient. Il faut peut-être mieux articuler les actions culturelles et les actions de ce programme, mais une fusion des programmes nécessiterait une modification de la loi organique qui ne semble pas nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous remercie pour ces réponses détaillées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le Directeur général, l'Agence française de développement (AFD), notre grand opérateur de financement de l'aide au développement, a connu plusieurs étapes importantes à la fin de l'année 2016 et en 2017. Tout d'abord, l'AFD a fêté ses 75 ans, a inauguré un nouveau logo et une nouvelle devise « Un monde en commun ». L'Agence s'approche désormais des 10 milliards d'euros d'engagements annuels en faveur du développement, dont 4 pour l'Afrique : vous êtes ainsi sur la bonne voie pour atteindre l'objectif de 12,7 milliards annuels en 2020, fixé par le précédent Président de la République.

Je rappelle que le modèle financier de l'agence a été renforcé par la LFR 2016 : une partie de la dette de l'AFD auprès de l'État a été transformée en une dotation de l'État au capital de l'agence, soit un gain de 2,4 milliards d'euros de fonds propres, ce qui a ainsi conduit au desserrement de la contrainte réglementaire qui entravait la poursuite de la croissance de l'activité de l'AFD. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 30 novembre 2016 a confirmé par ailleurs la décision d'augmenter de près de 400 millions d'euros le montant annuel des dons bilatéraux d'ici 2020, par l'affectation d'une partie des recettes de la taxe sur les transactions financières. Vous évoquerez ce point et notamment un amendement qui a été voté par l'Assemblée nationale pour alimenter les dons de l'AFD en 2018.

Vous pourrez également nous dire si les 270 millions d'euros attribués en 2017 à l'AFD ont bien in fine pu être utilisés pour effectuer des dons et si le projet de loi de finances pour 2018 est conforme à l'ensemble de ces orientations. Néanmoins, au vu des crédits budgétaires de la mission Aide publique au développement, qui ne progressent que faiblement au sein de ce PLF 2018, nous sommes quelque peu sceptiques quant à la trajectoire annoncée pour les prochaines années.

Le CICID a également élargi le mandat de l'Agence. Il a notamment été créé, conformément d'ailleurs à une recommandation de notre collègue Hélène Conway-Mouret et de notre ancien collègue Henri de Raincourt, une « facilité d'atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises » pour aider les pays fragiles en sortie de crise. Ce nouvel outil est-il aujourd'hui en place ?

Enfin, votre agence a entamé, depuis début 2016, un rapprochement avec la Caisse des dépôts qui avait, à l'époque, fait couler beaucoup d'encre comme s'en souviennent mes anciens collègues. Vous souhaiterez sans doute évoquer les aspects concrets de ce rapprochement, afin de pleinement nous persuader de l'intérêt de cette opération !

Je vous laisse la parole pour une quinzaine de minutes pour présenter vos perspectives budgétaires en relation avec le PLF 2018 et vos grandes orientations pour l'AFD, puis je la donnerai à nos deux rapporteurs de l'aide au développement, M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, et ensuite à l'ensemble des membres présents. Je rappellerai enfin que cette audition est filmée et sera retransmise sur le site internet du Sénat.

Debut de section - Permalien
Rémy Rioux, Directeur général de l'AFD

Monsieur le Président, je vous remercie pour votre accueil. Je suis également ravi de rencontrer les nouveaux rapporteurs pour avis de votre commission ; l'AFD est ainsi à leur entière disposition pour leur fournir toute précision nécessaire à leurs travaux. Je suis également très fier d'être à nouveau devant votre commission, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.

Je comptais vous passer deux messages. Comme viennent de le souligner les deux Ministres, la trajectoire financière de l'AFD est positive. Je reviendrai dessus ainsi que sur les réformes en cours dans notre Agence et du mandat sur lequel vous vous étiez prononcés en mai 2015 et qui avance conformément à ce que je vous avais dit lors de ma nomination. S'agissant de l'exécution de la loi de finances de 2017 et du projet de loi de finances pour 2018, l'année 2017 a été, malgré de réels aléas budgétaires, somme toute, satisfaisante. Le projet de loi de finances pour 2017, comme vous vous en souvenez, était très bon. Certes, en juillet dernier, d'importantes annulations ont été conduites, en particulier sur l'enveloppe des dons-projets gérés par l'AFD sur le programme 209, puisque environ 150 millions d'euros, à la fois en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, ont ainsi été perdus. Il nous a fallu fournir un effort significatif, un peu inédit, pour contribuer à la nécessaire maîtrise de l'équilibre de nos finances publiques. Malgré cet épisode, en exécution, si le dégel des crédits nous est accordé conformément aux annonces faites, l'AFD aura eu nettement plus de moyens en 2017 qu'en 2016. Sur les dons-projets - qui peuvent être financés à la fois sur le programme 209 et sur l'affectation du produit sur la taxe des transactions financières, nous aurons obtenu au total 465 millions d'euros, soit 150 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2016. Sur les bonifications des prêts, l'AFD disposera de 350 millions d'euros, soit 65 millions d'euros de plus qu'en 2016, tandis que la ressource à condition spéciale (RCS) - les prêts du Trésor sur compte spécial - sera abondée de 25 millions d'euros supplémentaires, à hauteur de 500 millions d'euros. Les plus grosses lignes budgétaires qui financent l'activité de votre agence enregistrent ainsi une augmentation significative, dès cette année, en exécution.

Evidemment, la Taxe sur les transactions financières (TTF) demeure la grande nouveauté de l'année 2017 puisque, pour la seconde fois, le Parlement avait affecté, avec plus d'insistance que l'année précédente il est vrai, 270 millions d'euros de ressources de la TTF directement à l'AFD. J'ai le plaisir de vous dire que cette décision du Parlement a été exécutée et que la totalité de cette somme est parvenue dans les comptes de l'agence à la date où je vous parle. Cette ressource est essentielle, puisqu'elle nous garantit un certain volume de dons, à l'égal des grandes contributions multilatérales, comme celles du Fonds mondial SIDA, de la Banque mondiale ou encore du Fonds européen de développement. Nous sommes sur plusieurs centaines de millions d'euros protégés par cette taxe affectée.

En réponse à Monsieur le Président Cambon, évidemment, les 270 millions d'euros seront intégralement utilisés cette année et ce, uniquement pour nos crédits en dons et non pour bonifier des prêts. Nous avons effectué plusieurs choix. Le premier consiste en la création d'un fonds paix et résilience, que nous avons doté de cent millions d'euros. Cet instrument est innovant pour les pays en crise. Nous avons également accordé des aides budgétaires globales pour 50 millions d'euros, à destination notamment des pays du Sahel qui avaient des besoins urgents. Nous avons complété l'enveloppe des dons-projets, qui avait été écornée en exécution, à hauteur de cent millions d'euros, en essayant de préserver les très grandes priorités de l'aide, à savoir l'Afrique, le climat, l'éducation et la santé. Enfin, nous avons redoté le FEXCT, qui nous sert de guichet auprès des entreprises françaises pour financer leurs études, favoriser leur position sur nos marchés et renforcer, en retour, l'influence française dans nos pays d'intervention.

Dernier point, nous avons alloué 5 millions d'euros au guichet FICOL destiné aux collectivités territoriales et qui permet de lancer des appels à projets de coopération décentralisée. Ce montant est d'ailleurs en augmentation continue année après année.

J'en viens au PLF 2018. Toutes les lignes budgétaires de l'AFD augmentent et dans le contexte contraint des finances publiques que nous connaissons aujourd'hui, le directeur général de l'AFD que je suis ne peut qu'être satisfait de cette confiance. Les dons vont ainsi connaître une augmentation significative : lorsqu'on additionne le programme 209 - où l'on rajoute 65 millions d'euros en autorisations d'engagement - et le produit de la TTF, on obtient plus de 700 millions d'euros de dons, soit 200 millions d'euros de plus qu'en 2017 en exécution. Le programme 110 augmente de 30 millions d'euros et le programme 853 augmente, quant à lui, de 20 millions d'euros. Cette augmentation régulière - depuis l'année dernière - de nos trois lignes budgétaires principales nous semble tout à fait bienvenue. En outre, comme vous l'avez souligné, vos collègues de l'Assemblée nationale ont, dans la nuit de samedi à dimanche, renforcé la pérennité des dons alloués à ce budget, en amendant la première partie de la loi de finances, pour maintenir une affectation directe à l'AFD des 270 millions d'euros du produit de la TTF, sans passer par le FSD.

Nous restons sur cette croissance positive. Cependant, il ne faut pas oublier que, sur ces dix dernières années, la politique de développement a perdu près de 40 % de ses crédits budgétaires. Nous avons manifestement changé, depuis 2015, de trajectoire en la matière. Evidemment, le Président de la République a pris un engagement encore plus fort, en annonçant à la tribune des Nations Unies et auparavant, devant les Ambassadeurs, que la France atteindrait l'objectif de 0,55 % de son revenu national consacré à l'APD en 2022. Il a également souhaité que soit modifiée la structure de l'aide bilatérale et que la part des dons augmente dans l'aide française. Il a enfin souhaité, en nous citant, que l'aide française soit plus efficace et rapide, afin d'atteindre plus rapidement les populations. Nous allons aller en ce sens. Atteindre 0,55 % du revenu national en 2022 représente un objectif considérable et revient à produire environ 6 milliards d'euros d'APD supplémentaires par rapport à aujourd'hui. Naturellement, des éléments non budgétaires doivent être pris en compte dans l'APD : des effets de levier existent, mais il faudra, pour atteindre un tel objectif, mobiliser plusieurs milliards d'euros supplémentaires sur la durée du quinquennat.

Si 2018 n'a pas permis d'amorcer, de manière massive, cette augmentation, on peut cependant penser que l'année 2019 sera meilleure. Un tel calendrier me convient, puisque nous devons augmenter la part bilatérale, nous améliorons nos procédures et nos méthodes de manière à forger un outil bilatéral plus puissant qui pourra générer des flux d'APD supplémentaires à compter de 2019 et pour les années qui viennent. Evidemment, il nous faudra disposer de volumes d'autorisation d'engagement placés tôt dans la trajectoire, afin d'assurer leur décaissement le plus rapidement possible et de conduire plus de projets qu'aujourd'hui. Le Ministre travaille très activement à définir cette trajectoire, avec l'ensemble des administrations et l'Agence.

Mon second message consiste à vous dire qu'avec ces moyens budgétaires, nous mettons en oeuvre très résolument le projet stratégique que je vous avais présenté. Nous souhaitons que l'AFD devienne plus grande et plus partenariale, tout en étant plus agile et innovante. Avec une augmentation annuelle d'un milliard d'euros de nos engagements, ceux-ci devraient, à la fin de cette année, dépasser la barre des 10 milliards d'euros. Nous sommes bien sur le chemin qui avait été tracé pour atteindre la cible de 13 milliards d'euros de financement par an, à horizon 2020. Dans cette croissance, nous cherchons à garder notre signature : la moitié de notre activité concerne l'Afrique, la lutte contre le réchauffement climatique, la francophonie et l'égalité entre les femmes et les hommes. En outre, nos activités sont conduites, pour moitié, avec des entités non souveraines, comme les entreprises, les collectivités territoriales ou encore la société civile, sans demander la garantie de l'Etat. Cette démarche est indispensable dans des pays qui reviennent à des zones d'endettement public.

Le Premier ministre a annoncé la convocation d'un prochain CICID le 5 février prochain, qui sera une échéance très importante pour l'Agence. Les travaux que nous conduisons actuellement, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, sur lequel vous serez appelés à donner un avis, ainsi que notre nouveau plan stratégique, sont conduits dans la perspective de leur approbation avant leur communication au public, en février prochain.

S'agissant des partenariats, mon projet est d'insérer l'Agence davantage dans la vie de notre pays. C'est la raison pour laquelle je considère que le rapprochement avec la Caisse des dépôts et des consignations, avec laquelle nous avons signé une charte d'alliance, me paraît idoine. Nous faisons le même métier, dans des territoires différents, et avons énormément à gagner de ce rapprochement. Depuis décembre dernier, date de la signature de notre charte d'alliance, nous avons aligné nos stratégies autour de la notion de transition, qu'elle soit démographique, sociale, territoriale, énergétique, écologique, numérique et technologique. L'AFD suit les mêmes lignes stratégiques dans ce domaine que le groupe Caisse des dépôts. Nous avons ajouté une cinquième transition politique et citoyenne, en raison de notre expérience dans des pays à la situation plus précaire avec lesquels la Caisse des dépôts n'est pas vouée à travailler. Nous avons engagé les mouvements d'échanges de personnels pour que nos experts puissent bénéficier d'une expérience à la fois nationale et internationale ; ces mouvements concernent près d'une dizaine de personnels, soit beaucoup plus que durant les précédentes années.

En outre, nous venons de créer un fonds d'investissement dans les infrastructures, doté de 600 millions d'euros de fonds propres et susceptible de générer 8 milliards d'euros de financement. La France avait un peu disparu des grandes d'opérations d'infrastructures dans les Pays du Sud au profit notamment des Chinois. Désormais, nous allons retrouver une capacité financière pour monter dans des grandes opérations en partenariat public-privé, en amenant un financement initial de 15 à 20 millions d'euros de fonds propres, avec des investisseurs privés français, afin de reprendre notre place sur ce marché. En outre, nous avons organisé une grande convention en juillet dernier qui a rassemblé tous nos directeurs pays avec les directeurs territoriaux de la Caisse des dépôts. Durant cette convention, nous avons décidé de mettre en synergie nos réseaux afin que les projets des territoires parviennent jusqu'à l'AFD, tandis que les informations que nous glanons sur les pays du Sud arrivent également aux acteurs français, en passant par le réseau de la Caisse des dépôts. Nous travaillons beaucoup avec les entreprises françaises, grâce au guichet FEXCT notamment, et nous avons été les partenaires de l'université d'été du MEDEF pour capter les intentions d'investissements internationaux et les transformer en projets. Nous travaillons de plus en plus avec les collectivités territoriales et cette démarche me paraît, à ce stade, perfectible. Je fais d'ailleurs le tour des régions et suis à votre disposition pour parler avec vous des enjeux du Sud et du développement du grand international dans vos propres territoires. Le partenariat avec les organisations non gouvernementales (ONG) est le plus ancien que nous ayons bâti. Cette année, certains crédits ont été annulés, mais nous tentons de retrouver la même capacité pour nos partenaires de la société civile, cette année et l'année prochaine.

Enfin, le nouveau projet européen présenté par le Président de la République à la Sorbonne accordait une part importante au développement. Cette perspective n'est pas, en soi, nouvelle. En effet, dès le discours prononcé, en 1950, par Robert Schuman dans le grand salon de l'horloge du Quai d'Orsay, on parle non seulement de charbon et d'acier, mais aussi d'Afrique et de développement. La CECA avait ainsi pour finalité le développement de l'Afrique, ce qui souligne que le développement est au coeur du projet européen, auquel il nous faut redonner tout son sens aujourd'hui. Le travail que nous menons avec les Espagnols, les Italiens, ou encore les Allemands, se fait entre agences bilatérales. Nous pourrions également travailler avec les Suédois dans des logiques à plusieurs Etats, dans le dialogue avec la Commission européenne et pour porter cette politique européenne aux résultats déjà probants.

Je souhaitais en outre vous signaler un nouveau partenariat : l'AFD vient de prendre la présidence de « l'International Development Finance Club » qui a six ans d'existence et qui regroupe l'ensemble des banques et des agences nationales de développement du monde entier. Ces opérateurs financent à la fois le développement de leur propre pays et leur projection internationale. La présidence de ce nouveau cercle me paraît fournir à la France une capacité d'influence que nous mettons à votre disposition.

Enfin, il nous faut être plus agiles et innovants. Nos techno-procédures ne sont pas assez rapides lorsqu'il s'agit d'intervenir dans des pays en crise. Il nous faut également inventer des outils nouveaux et faire preuve d'agilité. Ce fonds, que vous avez évoqué, Monsieur le Président, et que nous avons dénommé Minca, - ce qui signifie en langue vernaculaire le Phénix -, est destiné à favoriser la renaissance des Etats. Il a été abondé à hauteur de 100 millions d'euros cette année et devrait l'être encore l'année prochaine. Cette démarche s'inscrit tout à fait dans l'esprit du rapport de M. Henri de Raincourt et de Mme Hélène Conway-Mouret qui préconisait la préservation d'une capacité en dons afin de développer des initiatives au Sahel, au Lac Tchad, en Centrafrique, au Proche-Orient, avec des projets à impact rapide et au plus près du terrain. Tous ces programmes s'inscrivent dans un programme international - l'Alliance pour le Sahel - qui a été lancé le 13 juillet dernier par le Président de la République et la Chancelière Merkel, avec les pays concernés du G5 ainsi que six partenaires internationaux, qui sont les plus actifs dans la zone et dont on essaie d'accroître l'effort pour faire face à l'importante crise de la zone sahélienne. L'année 2018 devrait être marquée par l'intensification de la simplification de nos procédures et le développement de notre gamme d'outils, pour être en capacité de délivrer en 2019 plus d'APD. De nombreux chantiers, comme la transformation numérique ou l'innovation financière, sont également en cours pour moderniser l'Agence. Nous sommes d'ailleurs à votre entière disposition pour vous communiquer des éléments à leur sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Merci Monsieur le Président. Je ne reviendrai pas sur votre présentation, qui nous rassure, des trajectoires et des objectifs de 0,55 % du produit intérieur brut (PIB) et les sommes mobilisées en 2017 et les projections à hauteur de 13 milliards d'euros en 2020. Je ne reviendrai pas non plus sur l'affectation de la TTF de 270 millions d'euros.

S'agissant des collaborations entre l'AFD et Expertise France, la convention de 2015 prévoit que l'AFD lui confie un volume de 25 millions d'euros de projets dans le domaine de la gouvernance, qui relève de son coeur de métier. Or, le montant atteint en 2017 serait en-deçà de l'objectif visé. Plus globalement, en 2016, la part des financements de l'AFD n'a représenté que 8 % de l'activité d'Expertise France qui travaille aujourd'hui bien davantage avec la Commission européenne. Comment comptez-vous renforcer cette coopération ? Quelles sont les difficultés qui expliquent cette situation ?

J'en viens à un second sujet : la coopération décentralisée. L'AFD soutient les collectivités territoriales dans leurs actions de coopération via notamment le FICOL qui a fait l'objet d'appels à projet en 2017. Toutefois, malgré les efforts de l'AFD, il semble qu'il soit parfois plus facile de travailler avec des bailleurs étrangers, comme le Kreditanstalt für Wiederaufbau allemand (KFW). Comment comptez-vous à la fois renforcer et simplifier votre soutien à la coopération décentralisée ? Comment le rapprochement avec la Caisse des dépôts peut-il contribuer à cette démarche ?

Ma troisième question portera sur les relations de l'AFD avec les grands émergents que sont l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Ainsi, les autorisations de financement de l'AFD dans ces pays se sont élevées à 1,5 milliards d'euros en 2016, soit en hausse de 45 % par rapport à l'année précédente. Il s'agit de prêt à taux de marché qui permettent à l'Agence de soutenir son modèle économique sans coûter, il est vrai, d'argent au budget de l'Etat. Ce n'est donc plus de l'aide à proprement parler, mais plutôt une coopération sur de grands enjeux transversaux, comme le développement durable. Comme ces pays sont aussi pour nous de grands concurrents dans l'économie internationale, il s'agit également, de manière explicite, de favoriser l'expertise technique française et, in fine, de nos entreprises. Comment l'AFD compte-t-elle renforcer sa contribution à cet objectif de promotion du savoir-faire et des entreprises françaises dans les pays émergents, dans les années à venir ?

Concernant les relations avec les Balkans, le CICID de novembre 2016 a élargi le champ de coopération de l'Agence aux Balkans occidentaux. Quels travaux ont-ils été menés pour explorer les possibilités d'intervention dans cette région et quels seront les grands axes qui y seront privilégiés ? Enfin, pour terminer, vous avez insisté sur l'importance de la coopération avec l'Afrique. J'aborderai le fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique créé à la Valette en 2015, afin de lutter contre les causes profondes de migration dans 26 pays du continent. Il comprend 2,5 milliards d'euros et en 2016, 11 projets ont été confiés par la Commission européenne à l'AFD. Pouvez-vous nous informer sur les opérations conduites en 2017 ? En outre, votre évocation, Monsieur le directeur général, du Fonds Minca m'amène à vous interroger sur les fonds de gestion de crise qui sont portés par la cellule de crise du Quai d'Orsay et qui représentent quelque 30 millions d'euros. Nous savons que la cellule de crise souhaiterait que ce fonds, extrêmement précieux dans le contexte actuel, puisse être augmenté. Une telle perspective est-elle envisagée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

J'aurais deux questions qui porteront sur les prêts et les dons. D'une part, les règles de comptabilisation de l'APD définies par l'OCDE vont connaître une importante évolution en 2018. Ainsi, les prêts ne seront plus considérés comme de l'APD positive lorsqu'ils sont versés, avant de l'être comme de l'APD négative lors de leur remboursement. Ils produiront désormais un montant d'APD en fonction de leur « élément-don », c'est à dire de leur caractère plus ou moins concessionnel. En outre, plus le pays auquel un prêt sera accordé sera pauvre, plus l'élément-don du prêt sera considéré comme élevé. Du fait de ces nouvelles règles, les grands bailleurs, comme l'AFD, devraient être incités à prêter davantage aux pays les plus pauvres à des taux plus bas. Ma question porte sur trois volets : ces nouvelles règles ne risquent-elles pas de diminuer le montant d'APD comptabilisé pour les prêts de l'Agence aux pays à revenus intermédiaires, comme en Asie ou en Amérique du Sud, puisque l'élément-don de ces prêts sera considéré comme plus faible ? L'AFD sera-t-elle en mesure de prêter davantage aux pays les plus pauvres d'Afrique ou ceux-ci sont-ils incapables d'absorber davantage de prêts ? S'agissant des limites réglementaires de la capacité des prêts de l'AFD, celle-ci est limitée par la réglementation applicable aux établissements financiers qui imposent le respect de ratios fonds propres - prêts. Or, récemment, l'AFD était presque parvenue à la limite de ce qu'elle devait prêter à certains pays. La conversion récente d'une partie de la ressource à condition spéciale de l'Etat en fonds propres redonne une certaine marge de manoeuvre à l'AFD. Cela est-il suffisant ? Je pense au Maghreb, au Maroc et à la Tunisie qu'il nous faut absolument soutenir dans la phase actuelle de construction démocratique et économique.

Concernant les dons, le faible montant de crédits dont disposait l'AFD il y a quelques années a induit un certain saupoudrage, avec des dons allant de 5 à 18 millions d'euros. De tels montants ne peuvent avoir d'impact significatif notamment dans le domaine de l'éducation et de la santé. Les nouveaux crédits versés par l'AFD, en application des amendements votés par le Parlement à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2017, ont-ils permis d'accroître ces montants ? Il m'a semblé que tel était le cas, mais j'aimerais que vous me le confirmiez. Après des années de versement faible, l'AFD dispose-t-elle encore du savoir-faire, mais aussi de la marge de manoeuvre nécessaire ? Ce type d'intervention en dons est-il désormais l'apanage - ce qui me paraîtrait dommage - des grands fonds multilatéraux ?

Enfin, et en dehors de l'aspect budgétaire, vous avez fait référence aux avantages de la Charte avec la Caisse des dépôts. Nous en avons bien conscience et nous soutenons cette démarche. Je souhaiterais que vous nous exposiez les bénéfices qui résulteraient d'un renforcement des synergies entre l'AFD et Expertise France, pour la politique de coopération et de développement, pour notre politique d'influence et plus largement, pour la diplomatie économique de la France. Je vous en remercie, Monsieur le directeur.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je rebondis sur Expertise France dont la situation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons l'impression que cet organisme, qui résulte de la fusion de plusieurs entités, a du mal à trouver sa voie. Avec une dotation de 26 millions d'euros, Expertise France demeure modeste et peu lisible. Ne faudrait-il pas plutôt intégrer Expertise France dans l'AFD, à l'instar de ce qui prévaut Outre-Rhin ? L'AFD aurait alors un bras séculier à l'instar de son homologue allemand !

S'agissant également de l'aide bilatérale, j'ai toujours été étonné qu'une partie de cette aide reste gérée par le Ministère des finances via l'opérateur Natixis. Je ne trouve pas cette situation logique tant il me semble que devrait incomber la totalité de la gestion de cette aide bilatérale à l'AFD. Je comprends qu'il vous est difficile de répondre à ces deux questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Monsieur le directeur général, vos annonces nous réjouissent. Je suis également très heureuse que les rapports de notre commission vous soient utiles. Vous avez parlé de l'augmentation de la part des dons et du bilatéral. Ce sont là des voeux déjà exprimés par notre commission. Nous nous félicitons que l'objectif de 0,55 % devienne enfin une réalité. L'augmentation de 6 milliards d'euros va se dérouler durant le quinquennat, ce qui représente un temps assez court. Comment allez-vous vous organiser en interne pour absorber cette augmentation très conséquente de crédits ? Votre plan stratégique a-t-il intégré très concrètement cette augmentation des moyens ?

Debut de section - Permalien
Rémy Rioux, Directeur général de l'AFD

Je connais l'attachement de votre assemblée vis-à-vis d'Expertise France dont la création avait été actée lorsque j'étais secrétaire général adjoint du Quai d'Orsay et que le directeur général était le conseiller du Ministre des affaires étrangères. Je me souviens très bien comment cette innovation avait été introduite dans la loi française. Je dois dire, comme M. le Sénateur Yung, que le travail de fusion de plusieurs établissements, aux cultures différentes, débuté depuis le 1er janvier 2015, est à saluer. Cet opérateur est certes perfectible, mais il existe et dispose d'une marque plus importante que la somme de ses parties. Notre engagement consiste à apporter des crédits bilatéraux à hauteur de 25 millions d'euros et mes équipes m'ont communiqué un chiffre de l'ordre de 15 millions d'euros pour l'année dernière. Nous sommes sur la bonne voie. Ce point est très stratégique pour l'AFD. Nous sommes le financeur tandis qu'Expertise France est un opérateur d'expertises, qui apporte l'assistance technique et aide au renforcement des maîtrises d'ouvrages. La complémentarité entre les deux établissements est essentielle. Les grands pays émergents - comme j'ai pu dernièrement le constater au Brésil -, qui nous sollicitent recherchent un accès certes à des financements moins chers. Sur ce point, avec un AA+, la France ne peut proposer des financements moins élevés que l'Allemagne qui bénéficie d'une meilleure note. Mais au-delà, ces pays émergents recherchent notre expertise et, de manière générale, un accès vers la France. L'AFD est en mesure de le financer, mais l'instrument qui est capable de créer des liens avec tous les ministères demeure Expertise France. C'est là un métier très particulier, qui n'est pas simple, mais qui s'avère essentiel à la politique de développement.

Vous m'avez interrogé sur le renforcement de la coopération pour atteindre ces 25 millions d'euros. M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général d'Expertise France, et moi, nous passons régulièrement des messages à nos managers. Je suis persuadé que deux établissements publics possèdent leur mouvement propre. Nous n'avons pas encore systématiquement le réflexe de proposer un volet expertise dans les projets dont nous assurons le financement. Or, je serais très heureux si, dans un avenir proche, nous parvenions à le proposer systématiquement. Si le réseau de l'AFD assure la commercialisation des produits d'Expertise France, qui n'aura jamais un réseau de représentants dans 85 pays dans le monde, nous allons générer un flux d'affaires nettement accru par rapport à celui d'aujourd'hui. Force est de constater que nous en sommes loin, et je ne souhaite aucunement présager de la forme à venir de ce rapprochement. Il nous faut en revanche travailler sur le contenu concret de ce rapprochement avec Expertise France pour y parvenir avec efficacité.

Sur la coopération décentralisée, nous disposons d'un guichet dédié dont on fait actuellement croître les crédits, ainsi que nos partenariats avec la Caisse des dépôts et Cités-Unies France qui est une association implantée dans les mêmes géographies que nous. Je n'ai pas en tête que la KFW soit extrêmement active, mais je vais vérifier ce point. Nous avions confié, l'année dernière, un rapport à M. Henry de Cazotte qui a expliqué, de manière très précise, le modèle allemand, sans pour autant explorer cette dimension.

Nous sommes présents dans les pays émergents sur les problématiques de bien commun, dont celles du climat, en lien avec les entreprises françaises. L'orientation qui est celle de votre question me convient parfaitement et nous développons toute une série de nouveaux instruments pour réaliser plus d'affaires dans ces pays et y conforter les intérêts français.

Nous avons conduit une inspection dans les pays de la zone des Balkans, conformément à la demande du CICID. Nous avons proposé de travailler d'abord avec la Serbie et l'Albanie, en partenariat avec nos partenaires multilatéraux qui y sont présents. Le sujet est à la décision du gouvernement.

Le FFU représentait, en 2016, 70 millions d'euros de fonds délégués. Cette année, ce montant devrait être moins élevé, puisqu'il nous faut à présent mettre en oeuvre tous ces projets. Nous avons probablement été le bailleur le plus actif en délégation de crédits du FFU, que ce soit au Mali, au Niger, au Tchad ou encore au Sénégal. Aujourd'hui, nous allons également chercher 500 millions d'euros, par divers mécanismes de mutualisation, à Bruxelles. Un tiers de nos ressources concessionnelles provient ainsi de la Commission européenne dans un réseau de plus en plus intégré avec les autres agences des Etats-membres.

Le centre de crise du Ministère des affaires étrangères agit dans le court terme et met en oeuvre l'humanitaire. A l'inverse, en Suède, l'Agence nationale de développement assure également la réalisation des opérations humanitaires. La frontière entre ce qui relève de la crise et du développement peut s'avérer malaisée. Il nous faut ainsi nous concerter avec le centre de crise afin d'éviter toute redondance. Allouer plus de moyens au centre de crise qu'à l'AFD, c'est à dire davantage à l'humanitaire qu'au développement, relève d'une décision politique que le directeur de votre agence n'a pas à commenter.

S'agissant du CAD, on constate en effet une évolution des règles qui fait encore l'objet de débats dans la commission de l'OCDE qui exerce une grande influence sur nos métiers et nos instruments financiers. Je pense en particulier à l'actuel débat sur les garanties. En effet, une garantie n'est aujourd'hui comptabilisée en APD que si elle est appelée ; ce qui demeure rare. On a tout intérêt à faire plutôt un prêt plus qu'une garantie. Or, pour mobiliser le secteur privé dans de nombreux pays, on aurait beaucoup plus intérêt à mettre plus d'argent dans des fonds de garantie, mais l'on constate une forme de désincitation, dans les règles de l'OCDE, de l'emploi d'un tel instrument financier. La comptabilisation des prêts a quant à elle déjà été modifiée - l'élément-don étant comptabilisé et non plus les flux bruts ni les remboursements - et devrait induire des effets neutres sur l'aide française. Nous devrions le constater en 2019. Cette modification devrait modifier la comptabilisation des prêts de l'AFD - pour une baisse de près de 700 millions d'euros -, mais nous devrions nous rattraper sur d'autres instruments financiers, comme les prêts notamment du Trésor qui devraient, en revanche, faire plus d'aide au développement qu'aujourd'hui.

S'agissant du ratio grand-risque, la recapitalisation de 2,4 milliards d'euros nous redonne des marges significatives. Je prendrai, en guise d'illustration, un seul exemple : au Maroc, alors que notre engagement annuel s'élevait jusqu'à présent environ 150 millions d'euros par an, la recapitalisation devrait nous faire franchir le seuil annuel de 350 à 450 millions d'euros. Ce saut, en termes de volume, est important et se répercutera en fonction des pays et de leur importance stratégique pour la France.

J'en viens à votre question sur les capacités d'absorption : après les annonces vient le moment nécessaire du décaissement. En Tunisie, où je me suis rendu avec le Premier ministre, certains crédits engagés qui restent à verser s'élèvent à quelque six cent millions d'euros. Avant d'en conduire de nouveaux, il est nécessaire d'assurer le décaissement des financements des projets déjà engagés durant les années précédentes.

Sur les dons, je souhaiterais cependant rectifier une perception que vous pouvez avoir. En effet, on dit souvent que l'AFD fait surtout des prêts et très peu de dons. Lorsque vous additionnez tous nos instruments de dons - crédits européens compris -, l'AFD gère tout de même entre 10 et 15 % de son activité en dons. Au-delà des crédits du programme 209, qui comprend 200 millions d'euros parfois frappés par la régulation budgétaire, l'ensemble des instruments représente un bon milliard d'euros de crédits en dons, y compris grâce à la TTF désormais gérée par l'AFD. C'est moins que je ne le souhaiterais afin d'intervenir beaucoup plus fortement dans les pays les plus pauvres et dans les secteurs sociaux, mais l'AFD est loin d'être dépourvue d'une capacité d'intervention en dons. Nous sommes une agence, qui suit une logique de banque, mais notre activité est celle du développement qui implique des dons.

Sur l'aide liée, je considère que nous exerçons de nombreux mandats pour le compte du Ministère des finances et il n'est pas absurde de penser que la banque publique qui assure le back-office financier pour l'Etat pourrait également le faire pour l'ensemble des instruments qui contribuent à la politique de développement.

Enfin, en réponse à Madame Conway-Mouret, nous transformons en effet l'Agence. Nous le faisons résolument, année après année. A la suite d'une mission de l'Inspection des finances sur notre productivité et notre organisation, le Gouvernement nous a autorisé à embaucher près de huit cent personnes. Pour une maison qui compte 2 500 collaborateurs, une telle perspective induit un changement de taille conséquent. Nous n'avons toujours pas épuisé cette enveloppe que nous gérons de manière extrêmement prudente, afin de garder des charges maîtrisables. En passant de 8 à 13 milliards d'euros, l'AFD est une entreprise qui augmente de près de 60 % son activité, voire plus, lorsque nous aurons atteint l'objectif national de 0,55 %. Nous conduisons ainsi un gros chantier interne, dont nous pourrons, si vous le souhaitez, vous rendre compte, s'agissant notamment de l'évolution de nos ressources humaines. Il n'est de richesses que de femmes et d'hommes et il est important de bénéficier de nombreux experts et de la bonne diversité dans notre Agence, afin d'assumer pleinement le mandat qui nous est confié.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci, Monsieur le directeur général, pour les nombreux éléments que vous venez de nous communiquer. Comme vous le savez, nous sommes très attentifs à la situation d'Expertise France, dont j'ai eu l'honneur de co-rapporter, avec mon ancien collègue, M. Jean-Claude Peyronnet, le texte qui en est à l'origine. J'aurai également une pensée pour notre ancien collègue M. Jacques Berthou qui avait beaucoup travaillé sur cette question. Pourquoi ne pas envisager à terme un rapprochement d'Expertise France et de l'AFD ? Mais laissons peut-être d'abord ce nouvel établissement prendre sa vitesse de croisière afin d'éviter d'en ruiner les perspectives. Monsieur le directeur général, je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 heures