Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 octobre 2017 à 17h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Audition de M. Rémy Rioux directeur général de l'agence française de développement afd

Rémy Rioux, Directeur général de l'AFD :

Monsieur le Président, je vous remercie pour votre accueil. Je suis également ravi de rencontrer les nouveaux rapporteurs pour avis de votre commission ; l'AFD est ainsi à leur entière disposition pour leur fournir toute précision nécessaire à leurs travaux. Je suis également très fier d'être à nouveau devant votre commission, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.

Je comptais vous passer deux messages. Comme viennent de le souligner les deux Ministres, la trajectoire financière de l'AFD est positive. Je reviendrai dessus ainsi que sur les réformes en cours dans notre Agence et du mandat sur lequel vous vous étiez prononcés en mai 2015 et qui avance conformément à ce que je vous avais dit lors de ma nomination. S'agissant de l'exécution de la loi de finances de 2017 et du projet de loi de finances pour 2018, l'année 2017 a été, malgré de réels aléas budgétaires, somme toute, satisfaisante. Le projet de loi de finances pour 2017, comme vous vous en souvenez, était très bon. Certes, en juillet dernier, d'importantes annulations ont été conduites, en particulier sur l'enveloppe des dons-projets gérés par l'AFD sur le programme 209, puisque environ 150 millions d'euros, à la fois en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, ont ainsi été perdus. Il nous a fallu fournir un effort significatif, un peu inédit, pour contribuer à la nécessaire maîtrise de l'équilibre de nos finances publiques. Malgré cet épisode, en exécution, si le dégel des crédits nous est accordé conformément aux annonces faites, l'AFD aura eu nettement plus de moyens en 2017 qu'en 2016. Sur les dons-projets - qui peuvent être financés à la fois sur le programme 209 et sur l'affectation du produit sur la taxe des transactions financières, nous aurons obtenu au total 465 millions d'euros, soit 150 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2016. Sur les bonifications des prêts, l'AFD disposera de 350 millions d'euros, soit 65 millions d'euros de plus qu'en 2016, tandis que la ressource à condition spéciale (RCS) - les prêts du Trésor sur compte spécial - sera abondée de 25 millions d'euros supplémentaires, à hauteur de 500 millions d'euros. Les plus grosses lignes budgétaires qui financent l'activité de votre agence enregistrent ainsi une augmentation significative, dès cette année, en exécution.

Evidemment, la Taxe sur les transactions financières (TTF) demeure la grande nouveauté de l'année 2017 puisque, pour la seconde fois, le Parlement avait affecté, avec plus d'insistance que l'année précédente il est vrai, 270 millions d'euros de ressources de la TTF directement à l'AFD. J'ai le plaisir de vous dire que cette décision du Parlement a été exécutée et que la totalité de cette somme est parvenue dans les comptes de l'agence à la date où je vous parle. Cette ressource est essentielle, puisqu'elle nous garantit un certain volume de dons, à l'égal des grandes contributions multilatérales, comme celles du Fonds mondial SIDA, de la Banque mondiale ou encore du Fonds européen de développement. Nous sommes sur plusieurs centaines de millions d'euros protégés par cette taxe affectée.

En réponse à Monsieur le Président Cambon, évidemment, les 270 millions d'euros seront intégralement utilisés cette année et ce, uniquement pour nos crédits en dons et non pour bonifier des prêts. Nous avons effectué plusieurs choix. Le premier consiste en la création d'un fonds paix et résilience, que nous avons doté de cent millions d'euros. Cet instrument est innovant pour les pays en crise. Nous avons également accordé des aides budgétaires globales pour 50 millions d'euros, à destination notamment des pays du Sahel qui avaient des besoins urgents. Nous avons complété l'enveloppe des dons-projets, qui avait été écornée en exécution, à hauteur de cent millions d'euros, en essayant de préserver les très grandes priorités de l'aide, à savoir l'Afrique, le climat, l'éducation et la santé. Enfin, nous avons redoté le FEXCT, qui nous sert de guichet auprès des entreprises françaises pour financer leurs études, favoriser leur position sur nos marchés et renforcer, en retour, l'influence française dans nos pays d'intervention.

Dernier point, nous avons alloué 5 millions d'euros au guichet FICOL destiné aux collectivités territoriales et qui permet de lancer des appels à projets de coopération décentralisée. Ce montant est d'ailleurs en augmentation continue année après année.

J'en viens au PLF 2018. Toutes les lignes budgétaires de l'AFD augmentent et dans le contexte contraint des finances publiques que nous connaissons aujourd'hui, le directeur général de l'AFD que je suis ne peut qu'être satisfait de cette confiance. Les dons vont ainsi connaître une augmentation significative : lorsqu'on additionne le programme 209 - où l'on rajoute 65 millions d'euros en autorisations d'engagement - et le produit de la TTF, on obtient plus de 700 millions d'euros de dons, soit 200 millions d'euros de plus qu'en 2017 en exécution. Le programme 110 augmente de 30 millions d'euros et le programme 853 augmente, quant à lui, de 20 millions d'euros. Cette augmentation régulière - depuis l'année dernière - de nos trois lignes budgétaires principales nous semble tout à fait bienvenue. En outre, comme vous l'avez souligné, vos collègues de l'Assemblée nationale ont, dans la nuit de samedi à dimanche, renforcé la pérennité des dons alloués à ce budget, en amendant la première partie de la loi de finances, pour maintenir une affectation directe à l'AFD des 270 millions d'euros du produit de la TTF, sans passer par le FSD.

Nous restons sur cette croissance positive. Cependant, il ne faut pas oublier que, sur ces dix dernières années, la politique de développement a perdu près de 40 % de ses crédits budgétaires. Nous avons manifestement changé, depuis 2015, de trajectoire en la matière. Evidemment, le Président de la République a pris un engagement encore plus fort, en annonçant à la tribune des Nations Unies et auparavant, devant les Ambassadeurs, que la France atteindrait l'objectif de 0,55 % de son revenu national consacré à l'APD en 2022. Il a également souhaité que soit modifiée la structure de l'aide bilatérale et que la part des dons augmente dans l'aide française. Il a enfin souhaité, en nous citant, que l'aide française soit plus efficace et rapide, afin d'atteindre plus rapidement les populations. Nous allons aller en ce sens. Atteindre 0,55 % du revenu national en 2022 représente un objectif considérable et revient à produire environ 6 milliards d'euros d'APD supplémentaires par rapport à aujourd'hui. Naturellement, des éléments non budgétaires doivent être pris en compte dans l'APD : des effets de levier existent, mais il faudra, pour atteindre un tel objectif, mobiliser plusieurs milliards d'euros supplémentaires sur la durée du quinquennat.

Si 2018 n'a pas permis d'amorcer, de manière massive, cette augmentation, on peut cependant penser que l'année 2019 sera meilleure. Un tel calendrier me convient, puisque nous devons augmenter la part bilatérale, nous améliorons nos procédures et nos méthodes de manière à forger un outil bilatéral plus puissant qui pourra générer des flux d'APD supplémentaires à compter de 2019 et pour les années qui viennent. Evidemment, il nous faudra disposer de volumes d'autorisation d'engagement placés tôt dans la trajectoire, afin d'assurer leur décaissement le plus rapidement possible et de conduire plus de projets qu'aujourd'hui. Le Ministre travaille très activement à définir cette trajectoire, avec l'ensemble des administrations et l'Agence.

Mon second message consiste à vous dire qu'avec ces moyens budgétaires, nous mettons en oeuvre très résolument le projet stratégique que je vous avais présenté. Nous souhaitons que l'AFD devienne plus grande et plus partenariale, tout en étant plus agile et innovante. Avec une augmentation annuelle d'un milliard d'euros de nos engagements, ceux-ci devraient, à la fin de cette année, dépasser la barre des 10 milliards d'euros. Nous sommes bien sur le chemin qui avait été tracé pour atteindre la cible de 13 milliards d'euros de financement par an, à horizon 2020. Dans cette croissance, nous cherchons à garder notre signature : la moitié de notre activité concerne l'Afrique, la lutte contre le réchauffement climatique, la francophonie et l'égalité entre les femmes et les hommes. En outre, nos activités sont conduites, pour moitié, avec des entités non souveraines, comme les entreprises, les collectivités territoriales ou encore la société civile, sans demander la garantie de l'Etat. Cette démarche est indispensable dans des pays qui reviennent à des zones d'endettement public.

Le Premier ministre a annoncé la convocation d'un prochain CICID le 5 février prochain, qui sera une échéance très importante pour l'Agence. Les travaux que nous conduisons actuellement, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, sur lequel vous serez appelés à donner un avis, ainsi que notre nouveau plan stratégique, sont conduits dans la perspective de leur approbation avant leur communication au public, en février prochain.

S'agissant des partenariats, mon projet est d'insérer l'Agence davantage dans la vie de notre pays. C'est la raison pour laquelle je considère que le rapprochement avec la Caisse des dépôts et des consignations, avec laquelle nous avons signé une charte d'alliance, me paraît idoine. Nous faisons le même métier, dans des territoires différents, et avons énormément à gagner de ce rapprochement. Depuis décembre dernier, date de la signature de notre charte d'alliance, nous avons aligné nos stratégies autour de la notion de transition, qu'elle soit démographique, sociale, territoriale, énergétique, écologique, numérique et technologique. L'AFD suit les mêmes lignes stratégiques dans ce domaine que le groupe Caisse des dépôts. Nous avons ajouté une cinquième transition politique et citoyenne, en raison de notre expérience dans des pays à la situation plus précaire avec lesquels la Caisse des dépôts n'est pas vouée à travailler. Nous avons engagé les mouvements d'échanges de personnels pour que nos experts puissent bénéficier d'une expérience à la fois nationale et internationale ; ces mouvements concernent près d'une dizaine de personnels, soit beaucoup plus que durant les précédentes années.

En outre, nous venons de créer un fonds d'investissement dans les infrastructures, doté de 600 millions d'euros de fonds propres et susceptible de générer 8 milliards d'euros de financement. La France avait un peu disparu des grandes d'opérations d'infrastructures dans les Pays du Sud au profit notamment des Chinois. Désormais, nous allons retrouver une capacité financière pour monter dans des grandes opérations en partenariat public-privé, en amenant un financement initial de 15 à 20 millions d'euros de fonds propres, avec des investisseurs privés français, afin de reprendre notre place sur ce marché. En outre, nous avons organisé une grande convention en juillet dernier qui a rassemblé tous nos directeurs pays avec les directeurs territoriaux de la Caisse des dépôts. Durant cette convention, nous avons décidé de mettre en synergie nos réseaux afin que les projets des territoires parviennent jusqu'à l'AFD, tandis que les informations que nous glanons sur les pays du Sud arrivent également aux acteurs français, en passant par le réseau de la Caisse des dépôts. Nous travaillons beaucoup avec les entreprises françaises, grâce au guichet FEXCT notamment, et nous avons été les partenaires de l'université d'été du MEDEF pour capter les intentions d'investissements internationaux et les transformer en projets. Nous travaillons de plus en plus avec les collectivités territoriales et cette démarche me paraît, à ce stade, perfectible. Je fais d'ailleurs le tour des régions et suis à votre disposition pour parler avec vous des enjeux du Sud et du développement du grand international dans vos propres territoires. Le partenariat avec les organisations non gouvernementales (ONG) est le plus ancien que nous ayons bâti. Cette année, certains crédits ont été annulés, mais nous tentons de retrouver la même capacité pour nos partenaires de la société civile, cette année et l'année prochaine.

Enfin, le nouveau projet européen présenté par le Président de la République à la Sorbonne accordait une part importante au développement. Cette perspective n'est pas, en soi, nouvelle. En effet, dès le discours prononcé, en 1950, par Robert Schuman dans le grand salon de l'horloge du Quai d'Orsay, on parle non seulement de charbon et d'acier, mais aussi d'Afrique et de développement. La CECA avait ainsi pour finalité le développement de l'Afrique, ce qui souligne que le développement est au coeur du projet européen, auquel il nous faut redonner tout son sens aujourd'hui. Le travail que nous menons avec les Espagnols, les Italiens, ou encore les Allemands, se fait entre agences bilatérales. Nous pourrions également travailler avec les Suédois dans des logiques à plusieurs Etats, dans le dialogue avec la Commission européenne et pour porter cette politique européenne aux résultats déjà probants.

Je souhaitais en outre vous signaler un nouveau partenariat : l'AFD vient de prendre la présidence de « l'International Development Finance Club » qui a six ans d'existence et qui regroupe l'ensemble des banques et des agences nationales de développement du monde entier. Ces opérateurs financent à la fois le développement de leur propre pays et leur projection internationale. La présidence de ce nouveau cercle me paraît fournir à la France une capacité d'influence que nous mettons à votre disposition.

Enfin, il nous faut être plus agiles et innovants. Nos techno-procédures ne sont pas assez rapides lorsqu'il s'agit d'intervenir dans des pays en crise. Il nous faut également inventer des outils nouveaux et faire preuve d'agilité. Ce fonds, que vous avez évoqué, Monsieur le Président, et que nous avons dénommé Minca, - ce qui signifie en langue vernaculaire le Phénix -, est destiné à favoriser la renaissance des Etats. Il a été abondé à hauteur de 100 millions d'euros cette année et devrait l'être encore l'année prochaine. Cette démarche s'inscrit tout à fait dans l'esprit du rapport de M. Henri de Raincourt et de Mme Hélène Conway-Mouret qui préconisait la préservation d'une capacité en dons afin de développer des initiatives au Sahel, au Lac Tchad, en Centrafrique, au Proche-Orient, avec des projets à impact rapide et au plus près du terrain. Tous ces programmes s'inscrivent dans un programme international - l'Alliance pour le Sahel - qui a été lancé le 13 juillet dernier par le Président de la République et la Chancelière Merkel, avec les pays concernés du G5 ainsi que six partenaires internationaux, qui sont les plus actifs dans la zone et dont on essaie d'accroître l'effort pour faire face à l'importante crise de la zone sahélienne. L'année 2018 devrait être marquée par l'intensification de la simplification de nos procédures et le développement de notre gamme d'outils, pour être en capacité de délivrer en 2019 plus d'APD. De nombreux chantiers, comme la transformation numérique ou l'innovation financière, sont également en cours pour moderniser l'Agence. Nous sommes d'ailleurs à votre entière disposition pour vous communiquer des éléments à leur sujet.

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