Intervention de Claude Raynal

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 novembre 2017 à 8h30
Économie finances et fiscalité — Assiette commune et consolidée de l'impôt sur les sociétés accis : communication de mm. claude kern et claude raynal

Photo de Claude RaynalClaude Raynal :

D'après la conclusion de mon collègue, vous comprenez qu'il s'agit d'un sujet ancien, qui revient aujourd'hui, comme toujours dans la vie publique, à l'occasion d'un sujet particulier, celui de la taxation des GAFA. Si l'ACCIS n'est pas mise en oeuvre, la taxation des GAFA est très compromise.

Quelle est la proposition d'Alain Lamassoure ?

Les ministres des finances de l'Union européenne se sont réunis à plusieurs reprises cet automne pour tenter de faire avancer cette affaire importante que constitue la taxation optimale des GAFA et des entreprises numériques similaires sur le territoire de l'Union européenne.

Aujourd'hui, on considère que ces entreprises n'acquittent pas suffisamment d'impôts et, surtout, que la nature de leur activité permet une délocalisation facile des bénéfices là où la pression fiscale est la moins forte.

Les règles de taxation des entreprises sont fondées sur le principe d'« établissement permanent ». C'est pourquoi l'on ne peut taxer que les entreprises qui ont une présence physique sur le territoire d'un pays donné. Cette présence physique se mesure par le montant des actifs, le nombre d'employés et le montant des ventes. Or les entreprises du numérique peuvent offrir leurs services par le Net en étant juridiquement installées là où elles le souhaitent, et elles se logent donc là où la pression fiscale est moindre.

Amazon est installée au Luxembourg, Apple en Irlande, Booking aux Pays-Bas par exemple, trois pays où le taux de l'IS est faible en comparaison de leurs voisins européens.

Outre qu'ils offrent un taux d'IS très supportable, ces pays tolèrent ou même négocient avec les GAFA, pour les conserver sur leur territoire, des stratégies d'optimisation fiscale très avantageuses.

Les pays voisins ont intenté des actions contre les GAFA pour essayer de valider des redressements fiscaux. Cependant, la justice française a récemment infligé un revers au fisc français en annulant le redressement de 1,1 milliard d'euros qu'il tentait d'imposer à Google. En effet, la France n'est pas en mesure de prouver que Google disposerait, sur le territoire français, d'un établissement stable, puisque Google centralise tout en Irlande.

Dans ces conditions, la France a suggéré la création d'une taxe de 2 % à 5 % sur le chiffre d'affaires constitué de l'ensemble des factures payées par les clients français. Cette proposition se heurte toutefois, à l'évidence, aux difficultés pratiques de sa mise en oeuvre, outre l'atteinte au principe de l'égalité des entreprises devant l'impôt.

De plus, les pays où les GAFA ont leurs sièges ne sont pas prêts à accepter une solution qui pourrait les léser à terme et leur faire perdre ces sièges. L'Irlande, Malte, le Danemark et le Luxembourg et même la Suède ont exprimé de fortes réserves.

C'est dans cet environnement que le député européen Alain Lamassoure a suggéré une nouvelle piste : revoir la définition de l'établissement stable pour élaborer celle d'« établissement stable numérique ». L'idée est simple : il s'agit d'ajouter aux critères habituels de la définition celui de la présence digitale mesurée par le volume de données personnelles collectées sur un territoire.

Cependant, avec le cloud, il sera difficile aujourd'hui de déterminer où sont véritablement ces données, sans compter que certaines entreprises, comme Netflix ou Uber, ne font pas leurs profits à partir de données collectées.

Il semble encore que la meilleure solution soit de lutter contre les prix de transfert. En effet, les prix de transfert sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels ou des services à des entreprises filiales ou associées. Or on soupçonne que ces prix sont ajustés pour faire remonter les bénéfices là où la taxation est la plus faible.

Il faut donc doubler la redéfinition de l'établissement stable d'une redéfinition des prix de transfert, mais encore faudrait-il lancer cette action normative bien au-delà de l'Union européenne et à l'échelle même du monde si l'on veut que les entreprises paient des impôts là où elles créent de la valeur, et pas seulement là où se situent leurs établissements stables.

C'est dans ce contexte que nous sommes saisis d'un courrier du président Lamassoure, qui nous exhorte à soutenir l'adoption la plus rapide possible de ces deux projets de directive, afin de pouvoir accrocher à ces deux réformes celle de l'imposition des GAFA.

Nous comprenons que la demande de M. Alain Lamassoure est dictée, en partie, par l'actualité et un environnement porteur. Effectivement, si les deux projets ACCIS venaient à être adoptés rapidement, il serait plus facile ensuite de passer au projet de taxation européenne des GAFA.

Cependant, outre la règle de l'unanimité qui rend peu probable l'adoption rapide de ces projets, la lutte contre l'érosion des bases fiscales - et donc la nécessité pour les États de s'assurer de nouvelles bases fiscales - ne passe pas que par de nouvelles règles européennes, et un accord mondial sera nécessaire.

En effet, les grandes entreprises pratiquent une optimisation fiscale mondiale en toute légalité, dans le cadre d'une bonne gestion fiscale qui, jusqu'à présent, n'avait pas soulevé de critiques.

Au contraire, toute une école de pensée soutient que le développement d'Internet et la création des grands groupes qui y ont contribué et qui l'appuient n'auraient jamais été possibles si ces groupes avaient été taxés sur leurs bénéfices, ne serait-ce qu'au taux moyen de l'impôt sur les sociétés dans l'Union européenne. On croit même savoir que les bénéfices faiblement taxés d'un Google, par exemple, ont permis ce développement rapide grâce à un auto-investissement massif. Ce raisonnement peut cependant se prêter à peu près à toutes les industries...

Le débat est ouvert, mais la Commission européenne l'a tranché : on cherche aujourd'hui une taxation plus lourde et plus efficace des GAFA, et le projet ACCIS semble une première étape obligée pour y parvenir.

En effet, lors de son audition au Sénat, comme l'a rappelé mon collègue, le commissaire Pierre Moscovici a souligné le lien qui existait entre les deux textes sur l'assiette commune consolidée et la taxation des GAFA.

Il faut sans doute s'orienter vers une taxation plus juste des GAFA en poursuivant un équilibre satisfaisant entre, d'une part, une réduction du manque à gagner fiscal pour les États sur le territoire desquels s'exercent les activités des GAFA, d'autre part, un impôt sur les GAFA dont le taux resterait modéré afin de permettre la poursuite du développement numérique.

En outre, dans la mesure où la règle de l'unanimité en matière fiscale est un puissant facteur de conservatisme en faveur du statu quo, le président Juncker a suggéré d'envisager de remplacer cette règle par celle de la majorité qualifiée.

Bonne chance, monsieur Juncker !

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