Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 novembre 2017 à 8h30
Questions sociales et santé — Travailleurs détachés : communication de mme fabienne keller et m. didier marie

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Je tiens à préciser que Mme Morin-Chartier est très investie et joue donc un rôle pivot dans le trilogue dont parlera Didier Marie dans un instant.

Il me semblerait d'actualité de lui proposer une audition en début d'année.

On ne le sait pas assez, mais Mme Morin-Chartier est par ailleurs premier questeur du Parlement européen.

Monsieur le président, mes chers collègues, comme vous le savez, la Commission européenne a présenté en mars 2016 une proposition de révision ciblée de la directive sur le détachement des travailleurs, adoptée 20 ans plus tôt. L'ambition affichée était de majorer le coût du détachement pour réduire le phénomène de dumping social. Ce texte vient compléter une directive d'exécution, adoptée en 2014, qui vise quant à elle à mieux prévenir la fraude au détachement.

Si l'on doit résumer de façon simple et concise le détachement, il convient de distinguer droit du travail et droit de la sécurité sociale. Aux termes du texte actuel, un salarié détaché est rémunéré aux conditions minimales du pays d'accueil, définies par la loi ou des conventions collectives d'application générale. Il continue à verser des cotisations sociales dans le pays d'établissement.

Reprenant la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la Commission européenne a souhaité remplacer la notion de « taux de salaire minimal » par celle de « rémunération ». Celle-ci intégrerait tous les éléments rendus obligatoires par la loi, le règlement, les conventions collectives d'application générale, celles ayant un effet général sur les entreprises d'un secteur ainsi que celles conclues par les partenaires sociaux les plus représentatifs au niveau national. La durée du détachement est limitée, dans le cadre du règlement de 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, à 24 mois.

La volonté de la Commission européenne, vous vous en doutez, n'a pas été appuyée par certains pays de l'Est. À l'inverse, la France et plusieurs de ses partenaires, dont l'Allemagne, se sont montrés très ambitieux sur le sujet, souhaitant aller plus loin que le dispositif initial. S'en sont suivies des négociations délicates qui ont abouti, le 23 octobre dernier, à l'adoption d'un compromis au Conseil de l'Union européenne. De son côté, le Parlement européen a adopté, le 25 octobre, un rapport qui constituera sa position lors des négociations en trilogue.

Le texte adopté par le Conseil de l'Union européenne contient certaines avancées. Il garantit le principe « à travail égal, salaire égal, sur un même lieu de travail ». La rémunération versée au travailleur détaché sera totalement équivalente à celle dont bénéficie un travailleur local au titre de la loi ou des conventions collectives.

Elle intégrera, outre le salaire, les primes et les remboursements de frais, à l'instar des indemnités repas et hébergement. Il faut espérer que le trilogue puisse permettre de clarifier deux points sur lesquels le Sénat s'était positionné en juillet 2016 à l'initiative de notre commission : la mention de conditions dignes d'hébergement, qui n'apparaît pas dans le compromis et la question des textes de référence.

Vous connaissez la pratique, qui existe notamment dans le BTP, qui consiste à proposer aux ouvriers de s'installer dans des Algeco, pour lesquels on prélève un loyer sur leur salaire au titre de la location... Il s'agit généralement de chantiers où l'activité se poursuit également le week-end.

Le compromis adopté par le Conseil de l'Union européenne reprend les conventions collectives d'application générale, alors que le Parlement européen l'élargit aux conventions régionales. La résolution du Sénat souhaitait, rappelons-le, l'intégration des accords d'entreprises.

S'agissant de la durée maximale du détachement, le Parlement européen a conservé la durée initiale de 24 mois. Le Conseil de l'Union européenne s'est montré plus ambitieux, à la demande de la France et de ses partenaires, en la ramenant à douze mois, avec possibilité de prolonger de six mois. L'entreprise doit adresser une « notification motivée » pour bénéficier de cette prorogation. Une ambiguïté demeure sur le fait que celle-ci doive être acceptée a priori par les autorités nationales.

La question de la durée appelle plusieurs remarques. Le temps de détachement moyen en France est de 47 jours. À l'échelle européenne, ce temps atteint 98 jours. La limitation à 18 mois semble donc symbolique. La durée apparaît de fait pertinente sur les grands chantiers.

Reste que le compromis, pas plus que le texte du Parlement européen, ne précise si cette durée est appréciée sur une période plus large comme le proposait le Sénat. Il est donc possible d'imaginer qu'un travailleur détaché effectue une prestation de service 17 mois sur 18 dans un même pays, puis revienne un mois plus tard terminer sa prestation, sans être considéré comme un travailleur local.

Dernière observation, plus technique mais importante au regard de la fraude : en cas de remplacement de travailleurs détachés effectuant la même tâche au même endroit, la durée cumulée des périodes de détachement par différents salariés sur ce poste est prise en compte dans le calcul de la durée totale du détachement.

Aux termes du compromis, les remplacements de moins de six mois ne sont cependant pas intégrés dans ce calcul, reprenant ainsi la proposition initiale du Conseil de l'Union européenne.

Le Parlement européen a, quant à lui, supprimé cette exemption. Nous étions favorables, au Sénat, à la suppression du seuil de six mois.

Le Parlement européen est par ailleurs allé plus loin que le Conseil de l'Union européenne en ce qui concerne la base légale du texte. Il a ainsi souhaité, comme le Sénat avant lui, que soit fait référence à l'article 153 du traité sur le fonctionnement et les objectifs sociaux de l'Union européenne, et non plus seulement à l'article 57 du même traité sur la libre prestation de services.

Le compromis adopté au Conseil de l'Union européenne prévoit enfin un délai de transposition de quatre ans : les États devront transposer le texte dans les trois ans qui suivent son adoption. Ils disposeront ensuite d'un an pour le mettre en oeuvre. Il s'agit là d'un recul par rapport à la proposition de la Commission européenne. Rappelons que la directive d'exécution de 2014 devait, de son côté, être transposée dans les deux ans qui ont suivi son adoption. En février 2017, neuf pays n'avaient toujours pas transposé complètement ledit texte : Chypre, la Croatie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Suède et la République tchèque. Une procédure d'infraction a été lancée en juillet dernier contre la Croatie, qui n'avait toujours pas accompli cette démarche. Un délai de quatre ans ne constitue donc en rien une garantie pour une transposition totale du dispositif à la date requise.

Une dernière observation concernant le transport routier. Comme prévu dans le texte initial de la Commission européenne, le secteur du transport routier n'est, aux termes du compromis adopté au Conseil de l'Union européenne, couvert que par un considérant. Celui-ci renvoie à un texte spécial les modalités d'application du principe de détachement. Le Parlement européen est plus précis en renvoyant directement au texte contenu dans le paquet « Europe en mouvement », actuellement en débat. L'intégration du secteur du transport routier, que nous appelions ici de nos voeux, s'est heurtée à l'intransigeance des pays du Groupe de Viegrad, mais aussi de l'Espagne.

Pour ceux que cela intéresse, j'avais fait en son temps un rapport à ce sujet lié au droit du travail sur le territoire de l'Union européenne des ressortissants sud-américains, dès lors qu'ils passent un temps minimum de séjour en Espagne - ou au Portugal pour les Brésiliens. Un certain nombre de chauffeurs routiers traversent en effet l'Atlantique et exercent sur le territoire de l'Union européenne.

En tout état de cause, l'intégration du secteur routier dans le champ de la directive révisée aurait permis d'éviter un nouveau débat sur les questions de rémunération ou d'hébergement. Il convient de rappeler à ce stade que la France applique déjà le régime du détachement aux camions qui pénètrent sur son territoire, comme le lui permet la directive de 1996. Il conviendra donc d'être vigilant sur cette question. Le droit français est aujourd'hui plus protecteur que le paquet « Europe en mouvement », puisqu'il applique les normes européennes de détachement aux opérations de transport international dès le premier jour passé sur le territoire, et non au bout de trois jours. Si le texte était adopté en l'état, il pourrait être difficile de maintenir la norme française.

Nous reviendrons avec Didier Marie sur ce sujet dans les prochaines semaines. Je lui laisse la parole pour aborder notamment la question du droit de la sécurité sociale.

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