Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 novembre 2017 à 8h30
Questions sociales et santé — Travailleurs détachés : communication de mme fabienne keller et m. didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Avant d'aborder le calendrier du trilogue, je souhaiterais rappeler un élément fourni par la Commission européenne dans son analyse d'impact de mars 2016.

D'après elle, dans le cadre du nouveau dispositif, le coût salarial mensuel d'un ouvrier polonais dans le bâtiment détaché en France pourrait passer de 1 587 euros à 1 960 euros. Il n'en demeure pas moins que le coût d'un salarié français restera cependant plus élevé, compte tenu du différentiel de charges sociales, puisqu'il atteint 2 146 euros. L'écart se resserre, mais il n'est pas totalement comblé.

Il conviendra donc d'observer l'impact de la nouvelle directive sur un phénomène qui reste en plein développement, en dépit des premières mesures adoptées en 2014 au niveau européen, et transposées en France en 2015, au moment de la loi Macron. Le nombre de salariés détachés a ainsi dépassé 354 000 en 2016, en augmentation de près de 24 % par rapport à 2015. L'année 2015 avait déjà été marquée par une augmentation de 25 % du nombre de détachements. Ce chiffre est à rapprocher du nombre de salariés détachés en 2005, qui ne dépassait pas 25 000.

Il convient, pour autant, de ne pas se focaliser sur un afflux des pays de l'Est. Les deux premiers pays « exportateurs » de main-d'oeuvre en France sont en effet l'Espagne - avec près de 17 500 déclarations - et le Portugal - près de 16 000 déclarations. L'Allemagne et la Pologne sont quasiment au même niveau, autour de 14 700 déclarations.

Les secteurs de l'intérim, du bâtiment, des travaux publics et de l'industrie sont les principaux concernés. Cette augmentation nette est sans doute liée à un renforcement de l'encadrement de la procédure de détachement.

Il s'agit en quelque sorte d'une régularisation de pratiques non déclarées jusque-là. Cela étant, l'habitude étant prise, le phénomène d'ensemble a augmenté.

Le rapport de notre collègue Éric Bocquet indiquait en 2012 que la majorité des travailleurs détachés n'étaient pas déclarés. On assiste, depuis l'adoption de la directive d'exécution de 2014, à une intensification des contrôles.

Près de 16 000 interventions ont pu être opérées en 2016. Elles ont débouché sur 453 amendes pour un montant de 2,4 millions d'euros. Neuf arrêtés préfectoraux de fermeture d'établissement ou d'arrêt d'activité ont été recensés. La relative modestie de ces sanctions rapportée au nombre d'opérations souligne à la fois que le détachement est devenu une habitude économique dans notre pays et qu'il est mieux encadré. L'intensité des contrôles a bien évidemment amélioré la régularité des procédures de détachement.

J'en reviens au calendrier concernant la révision ciblée.

Le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne espèrent désormais parvenir à un accord en trilogue au premier trimestre 2018. Cela ne signifiera pas, pour autant, l'arrêt des discussions au niveau européen sur la question du détachement.

Le refus d'intégrer le secteur routier dans le champ d'application de la révision ciblée rappelle, en effet, que le débat sur la révision de la directive ne constitue pas le seul levier pour lutter contre les distorsions de concurrence et le dumping social à l'échelle européenne. Il s'agit en tout état de cause d'une étape, et il faut le souligner.

La nouvelle législation ne serait pas pour autant totalement efficace si elle n'était pas suivie de l'adoption de nouveaux outils, notamment dans le domaine de la sécurité sociale, comme l'a rappelé le Sénat dans sa résolution de 2016.

La Commission européenne a présenté en décembre 2016 une proposition de révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale de 2004 et 2009. Ce texte doit constituer une occasion d'approfondir les ambitions européennes en matière de lutte contre la fraude au détachement, en visant notamment les entreprises « boîtes aux lettres ». L'orientation générale adoptée sur la proposition de la Commission européenne le 23 octobre dernier au Conseil de l'Union européenne a d'ores et déjà permis de retenir le principe d'une affiliation du salarié depuis au moins trois mois au régime de sécurité sociale dans l'État d'établissement de l'entreprise qui le détache. Il serait également nécessaire, comme l'avait demandé le Sénat en juillet 2016, de vérifier qu'il a exercé une activité au sein de cette entreprise et de cet État durant au moins trois mois.

De même, cette disposition devrait être couplée avec une obligation pour les entreprises prestataires de réaliser un chiffre d'affaires minimal de 25 % dans leur pays d'établissement, là aussi pour éviter les entreprises boîtes aux lettres.

La lutte contre la fraude passe également par la possibilité, pour les autorités de contrôle, de pouvoir déqualifier les certificats de détachement. Ces documents attestent de l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État d'établissement.

Le Sénat a émis le souhait, en juillet 2016, qu'ils puissent être inopposables, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité du détachement. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne empêche une telle appréciation comme en témoigne encore une affaire récente jugée en avril dernier. Elle pourrait néanmoins évoluer.

L'avocat général de la Cour a en effet indiqué, le 9 novembre dernier, dans des conclusions visant une affaire opposant l'État belge à une société « boîte aux lettres » bulgare que la juridiction du pays d'accueil peut annuler ou écarter un certificat de détachement. Si la Cour de justice de l'Union européenne suivait cet avis, elle rendrait caducs les recours des sociétés Ryanair et Vueling contre les autorités françaises qui ont, il y a quelques années, déqualifié les certificats de détachement et imposé un redressement social.

Pour le juge européen, la lutte contre la fraude passe avant tout par la coopération administrative. Celle-ci reste cependant balbutiante, pour ne pas dire inopérante.

Il faudra donc observer les suites données au projet d'une Autorité commune du travail, annoncé par le président Juncker lors de son discours de l'état de l'Union en septembre dernier. Cette Autorité commune du travail serait destinée « à veiller au respect de l'équité au sein du marché unique » et à lutter contre l'apparition de « travailleurs de seconde classe ». Plusieurs missions pourraient lui être attribuées : la résolution des conflits entre autorités nationales, le rôle de guichet unique pour les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics en matière de mobilité transfrontalière et la lutte contre la fraude, facilitée notamment par des actions de contrôle conjointes aux frontières.

Par ailleurs, comme je vous l'ai indiqué au début de mon propos, l'écart constaté entre un salarié détaché et un salarié français tient au niveau des charges sociales. La convergence en la matière n'est pas pour demain. Le Président de la République a, dans son discours à la Sorbonne du 26 septembre dernier, proposé un alignement des cotisations sociales sur le niveau de celles perçues dans le pays d'accueil, sans pour autant remettre en cause le principe d'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'envoi. La collecte serait effectuée par le pays d'accueil sur la base des taux constatés en son sein. La différence entre le montant des cotisations perçues et celui rétrocédé aux États d'envoi serait affectée à un fonds de solidarité. Celui-ci pourrait aider les pays les moins riches à converger socialement. Une telle option permettrait de combler l'écart entre le coût d'un travailleur détaché et celui d'un travailleur local.

Cette solution, comme la question de l'Autorité commune du travail, mérite d'être approfondie. Nous reviendrons avec Fabienne Keller présenter devant vous la suite de nos réflexions et nos éventuelles conclusions sur ces sujets

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion