Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’emblée me montrer très honnête : l’aide publique au développement française n’est pas à la hauteur, et ce depuis longtemps. Elle n’a même cessé de baisser de 2010 à 2016, jusqu’au rebond du budget pour 2017, rebond réel, salué comme tel, mais rebond tardif et insuffisant.
Il n’est donc pas question, ici, a fortiori pour moi, de faire la leçon au Gouvernement. Pour autant, comment ne pas pointer le décalage entre les discours du Président de la République, aux Nations unies en septembre, en Afrique la semaine dernière, et la réalité du budget que vous nous présentez ?
Décalage il y a, en effet, puisque le président Macron a annoncé – mes collègues, avant moi, l’ont beaucoup dit – que d’ici la fin de son quinquennat, l’APD française serait portée à 0, 55 % du revenu national brut.
Or – cela a été dit par plusieurs des orateurs qui m’ont précédé – le budget pour 2018 n’inscrit pas la France dans cette trajectoire. Pour atteindre les 0, 55 %, il faudrait en effet faire passer notre aide de 8, 6 milliards d’euros à près de 15 milliards d’euros, soit 1, 2 milliard d’euros de plus par an pendant cinq ans.
C’est dire si nous en sommes loin, comme nous sommes aussi très loin, et depuis trop longtemps, des fameux 0, 7 %, ce chiffre qui fait consensus au niveau international et que d’autres pays européens, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark ou la Norvège, ont déjà atteint.
Au-delà du budget lui-même, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite ajouter quelques éléments structurels sur notre politique d’aide au développement, qui n’ont pas à voir avec vos décisions – vous êtes en place depuis six mois seulement –, mais qui correspondent à des travers qu’il faut continuer à essayer de corriger dans les années qui viennent.
D’abord, concernant la répartition entre les prêts et les dons, on sait par exemple que l’AFD, sur un montant de 9, 4 milliards d’euros d’engagements chaque année, ne consacre aux dons que 290 millions d’euros. Or, nous le savons, les prêts profitent surtout aux pays à revenu intermédiaire, et bénéficient davantage au secteur productif qu’aux secteurs sociaux et éducatifs, sur lesquels a insisté à juste raison le président Cambon.
Les pays les plus pauvres, eux, ne bénéficient que d’un quart de l’aide française, les autres destinataires étant notamment des pays émergents comme la Chine, le Brésil ou encore l’Afrique du Sud.
La faiblesse de la part des dons dans l’APD française oriente non seulement cette aide vers les pays les plus solvables, mais elle obère nos capacités d’intervention dans les situations de crise ou de post-crise, malgré le travail remarquable accompli par le centre de crise et de soutien.
Il est donc plus nécessaire que jamais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de continuer à essayer de rééquilibrer notre aide en faveur des dons.
Deuxième élément structurel sur lequel je souhaiterais attirer votre attention : la question de l’aide bilatérale et de l’aide multilatérale. Je connais l’inclination des parlementaires français en faveur de la première. Pour autant, je considère, comme d’autres, que les deux sont utiles et complémentaires.
Le problème – d’autres l’ont dit avant moi – est que nous ne disposons pas d’un véritable pilotage coordonné et centralisé des aides multilatérales, certaines étant gérées par Bercy, d’autres par le Quai d’Orsay.
Le Royaume-Uni, lui, a beaucoup investi dans l’aide multilatérale, mais s’y investit aussi beaucoup. Il dispose d’un pilotage coordonné et centralisé qui rend son aide multilatérale plus visible, plus « traçable », si j’ose dire, et plus efficace.
Un mot, maintenant, sur l’aide humanitaire.
Elle reste dramatiquement trop faible en France : 2 % de notre APD lui sont consacrés, soit environ 60 millions d’euros en 2017, alors que l’Allemagne lui consacre 4, 4 % de son APD, et le Royaume-Uni plus de 10 %.
Quant aux financements innovants, c’est-à-dire les deux fameuses taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières, il s’agit sans doute, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de la plus grande déception de votre budget.
D’abord, vous voulez plafonner leur produit à 1 milliard d’euros.
En outre, vous ne prévoyez pas d’augmenter le taux de la TTF, qui est en France de 0, 3 %, contre 0, 5 % au Royaume-Uni.
La troisième déception vient de votre refus d’allouer 100 % du produit de la TTF à l’aide au développement.
Enfin, la plus grande déception est due à votre décision de revenir sur la mesure votée l’an dernier par le Parlement, consistant à taxer les opérations intrajournalières, les fameuses transactions intraday, à partir du 1er janvier 2018 : vous renoncez ainsi à des recettes qui auraient pu atteindre jusqu’à 4 milliards d’euros par an.
Au-delà de cet aspect financier, qui n’est pas négligeable, vous renoncez ainsi à une mesure symboliquement très forte, puisqu’elle consiste à taxer la spéculation financière pour financer la solidarité internationale.
Un mot, pour conclure, sur les associations, les fameuses ONG, autrement dit la société civile : elles sont des acteurs irremplaçables de l’aide au développement.
Elles prennent des risques, elles sont réactives, elles innovent, elles agissent là où d’autres ont du mal à intervenir. L’aide française aux ONG n’est pas suffisante. Le président de la République précédent avait pris l’engagement d’augmenter beaucoup l’aide publique au développement transitant par les ONG ; je ne doute pas que vous aurez à cœur de tenir cet engagement. La part de l’APD française qui transite par les ONG est de 3 % environ ; la moyenne des pays de l’OCDE est de 16 %.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, depuis 2012, des efforts ont été engagés ; ils sont insuffisants, je le répète. J’espère vraiment que le gouvernement auquel vous appartenez continuera dans cette voie. Pour l’heure, le budget que vous nous présentez ne nous semble pas inscrire notre pays dans la trajectoire conduisant aux 0, 55 % du RNB en 2022.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste – nous le regrettons, monsieur le ministre – s’abstiendra sur les crédits de cette mission.