La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.
Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » (et article 49 quater) et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, notre politique d’aide publique au développement, ou APD, a été durement mise à contribution ces dernières années.
Si j’ai bien compris, l’enjeu, pour les années qui viennent, est de définir une nouvelle trajectoire qui soit « ambitieuse », c’est-à-dire qui nous remette sur la voie du respect de nos engagements internationaux, mais aussi « crédible », ce qui suppose de consacrer des ressources plus importantes à cette politique. C’est à l’aune de ces éléments que nous avons examiné les crédits 2018 de l’aide publique au développement.
La définition d’une nouvelle trajectoire est en effet indispensable, tant la France est éloignée du respect de ses engagements internationaux. L’objectif, je le rappelle, est de consacrer 0, 7 % de notre revenu national brut au développement. Ce taux ne s’établira qu’à 0, 42 % à la fin de l’année 2017.
Au-delà du respect de l’objectif, nous risquons véritablement, si j’ose parler ainsi, de « descendre en seconde division » ou « en Pro D2 », pour parler rugby.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. C’est tout de suite plus clair !
Sourires.
L’aide allemande représente trois fois la nôtre et l’aide britannique, le double. Cette divergence des trajectoires française, allemande et britannique est frappante, mais elle est aussi préoccupante, monsieur le ministre. Le montant des dons octroyés par la France est particulièrement inquiétant.
Nous pouvons donc nous réjouir que le Président de la République ait récemment pris l’engagement, devant l’Assemblée générale des Nations unies, d’atteindre un objectif intermédiaire de 0, 55 % d’APD d’ici à la fin du quinquennat. Plus précisément, cette augmentation de l’aide devrait notamment porter sur l’aide bilatérale, qui est un meilleur outil d’influence et dont la part a diminué au cours des dernières années.
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 traduit en partie cette ambition, avec une augmentation importante des crédits de la mission « Aide publique au développement », en hausse de 20 % par rapport à 2017. Au demeurant, nous tenons à souligner que cette programmation est la plus ambitieuse qu’ait connue la mission.
Cette trajectoire appelle cependant notre vigilance. Tout d’abord, l’exécution doit être en phase avec les crédits votés. Cet indicateur est révélateur du degré d’ambition accordé à cette politique, qui a tôt fait d’être considérée comme une variable d’ajustement de l’exécution budgétaire. À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que l’annulation de près de 140 millions d’euros en juillet dernier, par décret d’avance, a jeté le trouble. Nous estimons que les impératifs budgétaires de l’été 2017 pouvaient justifier cette mesure d’économie par rapport au budget du précédent gouvernement, mais les choix présentés au Parlement sont désormais ceux de l’actuelle majorité gouvernementale. Les crédits de cette mission doivent être sanctuarisés. À ce titre, les efforts réalisés pour améliorer la sincérité du budget vont dans le bon sens.
Par ailleurs, nous notons que l’effort budgétaire est centré sur la fin du budget triennal. Ce choix est un facteur de risque pour la mise en œuvre concrète de la programmation. Nous serons vigilants sur son respect.
Enfin, pour atteindre l’objectif fixé pour 2022, il faudra aller plus loin et maintenir une trajectoire ascendante sur l’ensemble du quinquennat, voire accentuer cet effort. Il pourra être nécessaire d’écrire cette nouvelle trajectoire dans une loi de programmation de l’aide publique au développement, qui fixe l’effort financier de l’État jusqu’en 2022 et réaffirme nos priorités.
À cet égard, j’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur notre coopération technique : son montant est dérisoire par rapport au montant que lui consacre l’Allemagne, par exemple. Or nous connaissons l’efficacité d’outils de ce type. Nous disposons, avec Expertise France, d’un très bon opérateur, qu’il faudra développer et renforcer, y compris financièrement.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, après le premier de cordée, Yvon Collin
Sourires.
Tout d’abord, les ressources que consacre la France à l’aide publique au développement en 2018 sont en augmentation.
Les crédits de la mission connaissent, en effet, une hausse de 100 millions d’euros environ, laquelle est toutefois entièrement absorbée par l’augmentation de la contribution de la France au Fonds européen de développement. Les autorisations d’engagement diminuent de 30 %, mais cette baisse ne fait que refléter la traditionnelle irrégularité de leur montant au sein du programme 110, en fonction du rythme de reconstitution des différents fonds multilatéraux.
Le produit des taxes affectées – taxe sur les billets d’avion et taxe sur les transactions financières – est quant à lui gelé à 800 millions d’euros environ.
Enfin, les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », qui, comme son nom l’indique, retrace uniquement des prêts, sont en hausse de 760 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 260 millions d’euros en crédits de paiement, si l’on exclut les opérations exceptionnelles de l’an dernier.
Les crédits connaissent donc une augmentation, même si celle-ci est modeste.
Je veux maintenant faire un point plus précis sur les ressources de l’Agence française de développement, l’AFD, qui, vous le savez, est l’opérateur pivot de notre aide bilatérale et qui est engagée sur une trajectoire d’augmentation de 4 milliards d’euros de ses engagements et de 400 millions d’euros de ses dons entre 2015 et 2020.
Les crédits budgétaires de l’agence augmentent par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Plus précisément, les crédits permettant à l’AFD d’accorder des dons sont en hausse de 67 millions d’euros en autorisations d’engagement, pour atteindre 400 millions d’euros environ. Par ailleurs, les crédits permettant de « bonifier » les prêts, c’est-à-dire d’abaisser directement le taux d’intérêt proposé aux bénéficiaires de ses concours, connaissent une augmentation de 55 millions d’euros. En outre, l’AFD bénéficie de la « ressource à condition spéciale », prêt de long terme de l’État à un taux extrêmement bas qui lui sert également à accorder des prêts concessionnels. Les crédits correspondant aux activités courantes de l’AFD sont stables.
En définitive, le niveau des autorisations d’engagement est en ligne avec la trajectoire de croissance de 4 milliards d’euros de ses engagements d’ici à 2020.
En revanche, le niveau des crédits de paiement pose question. Monsieur le ministre, leur montant permet-il véritablement d’apurer la situation créée cet été, après l’annulation de dons-projets à hauteurs de 118 millions d’euros en crédits de paiement ?
Par ailleurs, le Parlement a décidé, l’an dernier, d’affecter 270 millions d’euros à l’AFD à partir des recettes de la taxe sur les transactions financières. L’article 19 du présent projet de loi de finances revenait sur cette affectation et attribuait cette somme au Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, qui finance essentiellement de l’aide multilatérale. Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait décidé de maintenir cette ressource à l’AFD.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. J’ai fait la preuve que les sénateurs ne disent pas toujours du mal de leurs collègues députés…
Sourires.
Nous soulignons, au passage, que la débudgétisation des dépenses du FSD, qui représentent un quart des crédits d’aide publique au développement, est problématique. Ce procédé nuit au contrôle du Parlement et s’apparente à une variable d’ajustement pour les gestionnaires de la mission.
Enfin, l’objectif annoncé par le Président de la République de faire passer l’APD à 0, 55 % du RNB impliquera de définir une nouvelle trajectoire, à la hausse, des engagements de l’AFD. Le futur contrat d’objectifs et de moyens de l’agence, défini pour la période 2017-2020, sera l’occasion de la préciser et de définir les moyens qui l’accompagneront.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.
MM. Jean-Marie Bockel et Richard Yung applaudissent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les principaux éléments budgétaires, qui ont déjà été présentés.
Notre commission a pris acte de la légère progression des crédits prévue pour 2018 et de la trajectoire annoncée pour les quatre prochaines années, laquelle permettra que la part du revenu national brut consacré à l’APD atteigne 0, 55 % en 2022, comme l’a rappelé le Président de la République, voilà quelques jours encore, à Ouagadougou.
Cet engagement nous permettrait enfin de réduire un peu l’écart avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, deux pays qui ont bien pris conscience des enjeux essentiels qui s’attachent à cette politique.
Je veux d’abord faire une remarque relative à l’organisation de notre expertise internationale.
La rationalisation de cette organisation a débuté en 2014, sur l’initiative du Sénat, mais n’est pas achevée. La Cour des comptes a plaidé, cet été, dans un référé, pour un rapprochement entre Expertise France et un opérateur qui n’avait pas été fusionné en 2014, Civipol, actif en matière de sécurité intérieure, de protection civile et de gouvernance. En effet, les deux organismes se font actuellement parfois concurrence ou sont conduits à présenter des offres conjointes, qui supposent des montages parfois trop complexes.
Selon nous, le rapprochement des deux entités devra se faire en respectant l’esprit de la réforme de 2014, une volonté de simplification et de plus grande efficacité, afin de promouvoir l’expertise française dans le secteur devenu très concurrentiel, mais essentiel, que constitue la coopération technique internationale.
Monsieur le ministre, d’autres opérateurs pourraient et devraient également être concernés par un rapprochement avec Expertise France, pour permettre à l’offre française d’être encore plus forte. Reste à réfléchir aux modalités concrètes de cette nouvelle étape de la réforme initiée en 2014. Je remercie notre président d’avoir proposé à la commission d’engager un travail sur cette question importante. Pour faire bref, il s’agit de mieux expertiser, de mieux évaluer, pour aider plus.
Ma seconde remarque portera sur l’une des dimensions de l’approche globale dans les pays en crise, celle de l’action humanitaire, qui rencontre un vrai succès. Je sais que c’est l’une de vos priorités, monsieur le ministre. Ainsi, le fonds d’urgence humanitaire, principal instrument du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay en matière d’action humanitaire et de stabilisation, sera abondé, en 2018, autour de 30 millions d’euros, ce qui constitue une nette progression par rapport à 2017. Toutefois, dans ce domaine aussi, nous restons très loin des budgets de nos partenaires européens.
On entend parler d’un objectif de 100 millions d’euros, qui serait d’ailleurs raisonnable. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la hausse prévue des crédits d’APD dans les années à venir bénéficiera également à cette dimension essentielle de notre action ?
L’augmentation de l’aide d’urgence est une nécessité, mais cette aide doit aussi être pensée non pas en concurrence ou en remplacement de l’aide traditionnelle, mais comme une amorce à celle-ci. Loin de s’y opposer, elle lui est complémentaire.
Oui, monsieur le ministre, il est nécessaire d’augmenter les financements de l’aide au développement en France, aujourd’hui insuffisants. Il faut aussi, pour reprendre l’esprit des déclarations récentes du Président de la République et d’autres acteurs, comme le président du CICR, engager une refondation de l’aide.
Sous le bénéfice de ces observations, nous voterons favorablement ce budget.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche ainsi qu’au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé une remontée de l’aide au développement à 0, 55 % du RNB au terme du quinquennat. Le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit également une croissance de 16 % des crédits de la mission « Aide publique au développement » sur la période 2018-2020.
Les moyens de l’Agence française de développement, l’AFD, seront également en hausse dès 2018. Toutefois, cette hausse ne compense pas l’annulation de crédits budgétaires effectuée en juillet dernier, représentant une coupe de 136 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 118 millions d’euros en crédits de paiement.
Dans ce contexte, je veux faire deux remarques.
D’abord, pour atteindre l’objectif fixé, il aurait sans doute fallu prévoir davantage d’autorisations d’engagement dès 2018. La mise en œuvre de projets bilatéraux financés par des dons, type d’interventions que nous souhaitons voir se développer, demande en effet plusieurs années. À défaut de cet apport de crédits dès 2018, il est indispensable que l’AFD mette à profit ce délai pour se renforcer dans des secteurs dont la coopération française s’est relativement désinvestie du fait de la modestie des crédits en dons disponibles depuis de nombreuses années.
Je pense à l’éducation, aux services sociaux, mais aussi, par exemple, à l’agriculture ou encore à la maîtrise de la démographie. Dans ces domaines, l’« équipe France » du développement ne fait plus forcément référence face à ses partenaires européens et aux puissances émergentes, même dans les pays d’Afrique francophone.
Les équipes de l’agence devront ainsi accomplir, en 2018, un travail en profondeur pour préparer la progression des financements. Cette augmentation devra intervenir dès l’année prochaine, sans quoi il semble peu probable que la trajectoire financière annoncée par le Président de la République puisse être tenue. En effet, il faut une augmentation totale d’environ 1 milliard d’euros d’APD supplémentaire chaque année pour atteindre le niveau annoncé, que nous n’avons plus connu depuis 1995.
Les crédits affectés à l’AFD devront également pouvoir bénéficier en partie à Expertise France, par le biais de relations plus étroites entre les deux opérateurs, de manière à renforcer la coordination et l’efficacité globale de notre « équipe France » du développement.
Ma seconde remarque portera sur le rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations, qui s’est traduit par la mise en place toute récente d’un véhicule d’investissement commun, doté de 600 millions d’euros, pour développer les projets d’infrastructures. Il s’agit notamment – vaste programme ! – de tenter de rattraper notre retard sur la Chine, qui a réalisé de nombreuses infrastructures lourdes en Afrique au cours des dernières années.
Si nous ne pouvons qu’approuver cette orientation, qui contribuera à rendre la France plus visible dans cette région du monde, il faut toutefois souligner que la priorité reste bien de créer les conditions du développement par des projets d’une taille adaptée au contexte local dans les zones les plus déshéritées. En d’autres termes, il est sans doute très utile de construire un pont ou un échangeur routier dans telle capitale de l’Afrique de l’Ouest, mais si, pendant ce temps, les habitants du nord du Mali ou des alentours du lac Tchad ne disposent pas de services capables d’entretenir une voirie minimale, ils continueront à rester à l’écart du développement, et ces régions resteront des foyers d’instabilité pour leurs pays et pour le monde. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre.
Cela dit, notre commission a, à la majorité, émis un avis favorable aux crédits de la mission « Aide publique au développement » et vous propose de les voter.
Pour sa part, le groupe que je représente s’est abstenu, au regard des questions qui se posent sur le caractère tenable de la trajectoire budgétaire.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre monde en crise, il n’y a pas de sécurité sans développement. C’est dire l’importance vitale des crédits que nous examinons.
Je me concentrerai sur deux séries de remarques, après la présentation par les rapporteurs de notre commission de leur excellent travail.
Premièrement, il existe un véritable décalage entre ce que nous croyons être notre politique d’aide au développement et ce que celle-ci est en réalité. Nous vivons sur le souvenir des années 80, quand notre aide publique au développement était de 0, 6 % du revenu disponible brut, ce qui nous permettait d’agir tous azimuts. Aujourd’hui, l’APD n’atteint plus que 0, 38 % de ce revenu. Il convient bien évidemment d’augmenter cette part, mais nous n’avons pas su, en réalité, définir des priorités à notre action.
À l’inverse, l’Allemagne fait le choix clair d’un financement massif d’une expertise internationale très bénéfique à ses entreprises, tandis que le Royaume-Uni sait se concentrer sur des territoires géographiques bien plus circonscrits, notamment en Afrique orientale, allant jusqu’à mettre fin à son aide à l’Inde lorsqu’il n’y trouve plus son intérêt. Et, pour soutenir leurs priorités, ces deux pays versent trois fois plus de dons que nous.
Sommes-nous aussi capables de dire clairement aujourd’hui quelles sont les priorités de notre propre aide ? J’espère, monsieur le ministre, que vous nous donnerez votre sentiment sur ce point.
Deuxièmement, selon les Nations unies, l’Afrique subsaharienne comptera environ 400 millions de jeunes de 15 à 24 ans en 2050. Il est impératif que ces jeunes puissent recevoir une éducation de base et, pour un nombre suffisant d’entre eux, un enseignement supérieur de qualité. Il est également nécessaire que l’économie crée assez d’emplois pour absorber ce flux important. À défaut, ce sera l’instabilité, avec un chômage massif, des migrations toujours plus importantes et, probablement, un renforcement des extrémismes.
Que faut-il en déduire pour notre aide au développement ?
D’abord, il est impératif de remettre l’éducation au centre.
Comment justifier que la France se soit désengagée de l’éducation en Afrique francophone ? Comment avons-nous pu laisser l’école publique y perdre tant de terrain ?
Certes, l’Agence française de développement augmente progressivement son aide bilatérale à l’éducation, mais les montants des subventions restent trop faibles.
Sur le plan multilatéral, entre 2014 et 2018, l’engagement de la France pour le Partenariat mondial pour l’éducation, qui a fait la preuve de son efficacité, s’est élevé à 36 millions d’euros, pendant que le Royaume-Uni participait à hauteur de 335 millions d’euros. Pour la seule année 2018, notre Fonds de solidarité pour le développement versera 385 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, contre à peine 14 millions d’euros au Partenariat mondial pour l’éducation. Certes, le multilatéral, malgré sa complexité, a son utilité, mais encore faudrait-il que nos financements soient en ligne avec nos objectifs et nos intérêts actuels. Ainsi, monsieur le ministre, comment comptez-vous redonner à l’éducation l’importance qui lui revient au sein de notre politique d’aide au développement ?
Par ailleurs, si les tendances actuelles se poursuivent, les économies subsahariennes ne devraient créer que la moitié des emplois nécessaires pour permettre à ces 400 millions de jeunes de trouver un emploi d’ici à 2050. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour contribuer à créer un tissu véritablement dynamique et dense.
À cet égard, je souhaite saluer l’annonce faite par le Président de la République à Ouagadougou la semaine dernière de la création d’un fonds africain pour les petites et moyennes entreprises. Il est impératif que cet outil ait pour priorité le soutien à des entreprises innovantes, mais aussi intensives en main-d’œuvre. Il serait également souhaitable qu’il puisse servir de levier à une meilleure coopération des entreprises africaines avec nos PME, lesquelles peuvent notamment faire valoir leur expertise en matière de croissance verte.
Ainsi, monsieur le ministre, au moment où le Président de la République vient d’annoncer une redéfinition de notre politique d’aide au développement, la commission va voter ces crédits. Elle souhaite cependant que nos priorités soient redéfinies dès 2018, notamment à l’occasion de la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, et tiennent compte des réalités et des défis nouveaux des pays aidés. En d’autres termes, elle espère que les actes seront au rendez-vous des promesses, pour permettre à celles-ci d’être tenues.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Richard Yung.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, à l’occasion de son déplacement à Ouagadougou, le Président de la République a réaffirmé son « engagement d’avoir une France au rendez-vous du défi du développement ». Pour être à ce rendez-vous, la France va devoir déployer de nombreux efforts, comme cela a déjà été souligné par plusieurs des orateurs précédents.
La France aime se donner en exemple moral universel. C’est bien, mais dans la réalité, notre aide au développement ne fait que décroître depuis quinze, pour atteindre à peu près la moitié de l’objectif fixé aux Nations unies. Nous sommes bien loin derrière la République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni, pour ne citer que ces deux pays. L’effort à faire est donc considérable.
Le chef de l’État a pris l’engagement que l’aide publique au développement atteindrait 0, 55 % du RNB d’ici à 2022, soit 6 milliards d’euros supplémentaires. Cet objectif est ambitieux, mais nous devrions pouvoir l’atteindre.
Le Président de la République a également souhaité que la réalisation de cette trajectoire budgétaire s’accompagne d’une nouvelle philosophie.
Dans son discours de Ouagadougou, le Président de la République a déclaré vouloir franchir une « nouvelle étape » consistant, pour la France, à se mettre « en situation d’agréger l’aide multilatérale, l’aide d’autres puissances européennes, pour être plus efficace » et « poursuivre les projets dont les Africains ont besoin ».
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus sur les contours de cette proposition innovante ?
Par ailleurs, le chef de l’État a indiqué vouloir renforcer l’évaluation de l’APD afin que cette dernière réponde davantage aux besoins du terrain.
Il faut aussi se féliciter de la concentration de notre APD sur l’Afrique et sur les pays les moins avancés. À cet égard, des propositions intéressantes ont été formulées par le Président de la République, qu’il s’agisse du soutien prioritaire aux programmes visant à la scolarisation des jeunes filles – on connaît toute l’importance de ce travail dans les pays africains et ailleurs – ou du soutien aux PME africaines, comme vient de l’évoquer le président Cambon.
Je me réjouis que l’Assemblée nationale ait adopté un amendement visant à rétablir l’affectation d’une fraction de la taxe sur les transactions financières – les fameux 270 millions d’euros. Il s’agit d’une excellente initiative que nous soutiendrons.
Une partie de l’aide bilatérale française demeure liée. Elle est gérée par la direction générale du Trésor, via la Réserve pays émergents – prêts très concessionnels –, et par le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé – dons, études de faisabilité, etc. La mise en œuvre de ces financements est assurée par Natixis, qui agit au nom et pour le compte de l’État.
Comme souvent en France, notre dispositif est très dispersé. Il est difficile de s’y retrouver, de savoir qui finance quoi, de comprendre pourquoi telle aide est bilatérale et telle autre multilatérale, européenne ou non…
Il ressort de nos travaux que le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé, ou FASEP, est encore trop méconnu. Il s’agit d’un outil très utile qui permet notamment d’orienter les appels d’offres dans un sens favorable aux entreprises françaises. Dans son avis budgétaire, le député Buon Tan explique qu’ « environ deux tiers des dossiers débouchent sur un marché pour une entreprise française » si le cahier des charges a été présenté par le FASEP. Il nous faut donc mieux faire connaître ce dispositif auprès des PME françaises.
Lors du dernier comité interministériel de la coopération internationale et du développement, ou CICID, le 30 novembre 2016, le précédent gouvernement avait chargé l’AFD de compléter « sa gamme de produits destinés au secteur privé dans les pays bénéficiaires de l’aide française, notamment pour contribuer à la réorientation des investissements privés vers l’économie résiliente et à basse émission de gaz à effet de serre ». Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les effets de cette réorientation ?
Le précédent gouvernement avait également demandé à l’AFD de mettre en œuvre un plan d’action « migrations internationales et développement ». Cette initiative est-elle toujours d’actualité ? Dans l’affirmative, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où les choses en sont ?
Dans leur avis budgétaire, mes collègues Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Perol-Dumont suggèrent un « rapprochement opérationnel plus poussé » entre l’AFD et Expertise France afin que ce dernier « apparaisse davantage comme un partenaire naturel pour les projets initiés par I’AFD ».
Pour ma part, je vais même plus loin en pensant que la fusion des deux opérateurs…
… permettrait de constituer un ensemble très solide, à l’instar de ce qui existe déjà dans d’autres pays.
Le groupe La République En Marche votera les crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche– MM. Jean-Marie Bockel et Robert del Picchia applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quel bel objectif que l’aide au développement, qui désigne l’ensemble des ressources fournies aux pays pauvres dans le but de favoriser leur développement économique et d’améliorer le niveau de vie de leurs habitants en luttant contre la pauvreté. Il s’agit d’un objectif que nous défendons tous ici.
En 1970, les pays de l’OCDE se sont engagés à porter leur effort d’aide au développement à 0, 7 % de leur produit national brut. Presque cinquante ans après, peu d’États ont réussi à respecter leur engagement. Notre pays atteint difficilement les 0, 38 %.
Le Président de la République s’est pourtant engagé à porter l’effort d’aide au développement à 0, 55 % d’ici à 2022. Cette promesse se traduit-elle dans ce projet de loi de finances ? La réponse est non. Si une augmentation de 100 millions d’euros est bien inscrite, elle dissimule l’annulation, cet été, de 136 millions d’euros de crédits. Ainsi, cette hausse s’apparenterait plutôt à une perte de 36 millions d’euros.
Dès lors, pourquoi se priver d’une rentrée fiscale d’environ 3 milliards d’euros en abandonnant l’intégration des transactions faites en une journée dans l’assiette de la taxe sur les transactions financières ?
La réponse se situe certainement dans l’opération de séduction menée actuellement auprès des établissements boursiers de Londres. Cela peut s’avérer utile, mais au détriment de nos engagements internationaux qui apparaissent alors moins attrayants…
Lors de l’examen de la première partie de ce projet de loi de finances, nous avions déposé un amendement visant à augmenter le taux de prélèvement de la taxe sur les transactions financières de 0, 3 % à 0, 5 %, ce qui permettait d’accroître d’un milliard d’euros les rentrées fiscales. Quel dommage que cet amendement ait reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement…
Pour poursuivre la dynamique en 2018, la proposition de budget triennal courant jusqu’en 2020, il faudrait s’attendre à une brusque augmentation de l’ordre de 1, 5, puis 2, 4 milliards d’euros, en 2021 et en 2022.
On peut très bien y croire. Cependant, avec une croissance annuelle estimée à 1, 7 % par an, une part de 0, 55 % du RNB en 2022 représente 14, 8 milliards d’euros. Augmenter l’APD de près de 6 milliards d’euros en cinq ans nécessiterait donc une hausse de près de 1, 2 milliard par an, soit dix fois ce qui est inscrit dans ce projet de loi de finances. Le compte n’y est pas !
Il est vrai que seul un tiers des sommes consacrées à l’aide publique au développement est inscrit en loi de finances. Toutefois, ce sont bien ces crédits qui impulsent une marque forte.
Par ailleurs, nous manquons aujourd’hui d’une réelle exigence : nous devons nous donner les moyens de nos ambitions en matière d’aide au développement. Notre pays, cinquième puissance économique du monde, n’est que le douzième contributeur du comité d’aide au développement de l’OCDE.
De plus, il est urgent de revoir la forme de notre aide au développement, qui se concentre de plus en plus sur les prêts et les aides liées, plutôt que sur les dons. Ainsi, la dette des pays pauvres est un gros problème tant pour les États bénéficiaires que pour les États développés.
En effet, le recours au prêt grève à long terme les capacités d’investissement et de développement locales quand le gonflement de leur dette souveraine fragilise ces États. Seuls neuf pays sur quarante-deux ont obtenu une réduction de leurs créances. Et encore la dette n’est-elle que faiblement réduite, laissant ces pays très vulnérables au moindre choc. Nous en connaissons de nombreux exemples.
Certes, les pays développés comme le nôtre accordent des réductions de dettes, mais ils diminuent concomitamment le montant du reste de leur aide au développement.
Nous en parlons déjà depuis de nombreuses années, monsieur le ministre : pourquoi ne pas envisager une annulation complète de ces dettes ? La situation est dramatique.
On dénombre 20 millions de morts chaque année du fait d’un manque d’alimentation, de soins et d’eau. Autant de tragédies que l’aide au développement devrait concourir à empêcher.
En cohérence, le groupe CRCE ne votera pas ce budget insuffisant et mal orienté.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quels critères prendre en compte pour évaluer la pertinence des orientations et des moyens de notre politique d’aide au développement ?
Je pense d’abord à l’affirmation de plus en plus forte d’une jeunesse nombreuse, dynamique et informée, qui ne peut plus se satisfaire ni de la gouvernance parfois défaillante des États – et qui ne date pas d’hier – ni d’une aide au développement élaborée souvent de manière unilatérale par les bailleurs.
C’est bien à cette jeunesse exigeante que le Président de la République s’est efforcé de s’adresser lors de son déplacement en Afrique, la semaine dernière. Pour contribuer à répondre aux aspirations légitimes de cette jeunesse, il me semble impératif de réinvestir – plusieurs l’ont dit avant moi – le champ de l’éducation, y compris celui de l’enseignement supérieur, afin d’éviter que ces jeunes ne doivent systématiquement quitter leur pays pour se former correctement.
Il faut ensuite orienter plus nettement notre aide vers le soutien aux PME pour créer davantage d’emplois. Cette priorité semble aujourd’hui mise en avant.
Enfin, il importe de mettre l’accent sur les programmes destinés à améliorer la gouvernance et à adapter les administrations; y compris les armées, afin que ces pays puissent davantage contribuer à la sécurité de leur continent.
Deuxième évolution à prendre en compte, la montée des désordres écologiques, au premier rang desquels le réchauffement climatique. Il en découle, pour les pays en développement, un impératif : au moment où ils mettent en place leurs infrastructures économiques, ils doivent prendre d’emblée le chemin d’une croissance soutenable. Cette priorité a été, me semble-t-il, parfaitement intégrée par l’AFD, par Expertise France, et par un certain nombre d’entreprises françaises également en mesure d’y contribuer.
Troisième évolution, enfin : il convient de se départir d’une certaine naïveté, en prenant davantage inspiration chez nos principaux partenaires et concurrents européens. Car nous n’avons pas toujours su, autant qu’eux, définir précisément nos intérêts et articuler en conséquence nos priorités.
Actuellement, deux impératifs me semblent s’imposer à nous : le premier est de tout mettre en œuvre pour stabiliser le Sahel afin de pouvoir y réduire à terme une présence militaire très coûteuse ; le second, qui est transversal, est de mieux faire jouer les synergies entre la coopération, la promotion de nos entreprises et le développement de notre commerce extérieur.
Une politique d’aide au développement ne peut évidemment se réduire à la dimension budgétaire. Il existe une spécificité française. Pour autant, il est légitime de s’interroger sur les moyens, comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi.
Je ne reprendrai pas ce qui a été fort bien dit des différents chiffres et des engagements du Président de la République de porter l’ensemble de l’aide publique de 0, 38 % à 0, 55 % du RNB. Si d’autres présidents de la République ont pris des engagements avant lui, il est important de tout faire pour s’y tenir.
Comme le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l’a souligné, le retard pris par rapport à nos voisins et concurrents – je pense notamment à l’Allemagne et au Royaume-Uni – est considérable. Nous devons nous mettre à niveau, même si tout ne se réduit pas au budget.
M. Requier a souligné que des efforts avaient été faits pour soutenir l’action du principal opérateur de notre politique d’aide au développement, l’AFD, et que nous disposions de nouveau d’une certaine force de frappe. Toutefois, la comparaison avec les outils similaires dont disposent les pays que je viens de citer montre que nous avons encore une marge de progression. « Crantons » ce que nous avons, c’est déjà un progrès.
En 2017, par exemple, l’AFD a mis en place la « Facilité d’atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises », dotée de 100 millions d’euros par an, dont le Sahel constitue l’une des quatre régions de mise en œuvre. Cet instrument, très attendu, que notre commission avait appelé de ses vœux, a suscité un véritable engouement de la part des ONG. Il s’est toutefois avéré que les procédures de l’Agence française de développement ne permettaient pas de mettre en place des projets de développement dans un délai aussi rapide que souhaité.
Il nous reste donc du chemin à parcourir pour articuler avec efficacité l’action humanitaire, la stabilisation et les projets de développement dans les pays en sortie de crise.
Plusieurs de nos collègues ont également évoqué l’excellente agence Expertise France, outil récent qui fonctionne et qui a besoin d’être encore conforté, notamment par de la commande publique en provenance de l’AFD. Je ne sais pas si la fusion de ces deux organismes, comme évoquée par M. Yung, est une bonne idée. Je pense qu’à chaque jour suffit sa peine. Confortons Expertise France, ce sera déjà un progrès.
Au total, toutes les conditions d’une remontée en puissance de notre politique d’aide au développement sont réunies. Ne manquent qu’une stratégie plus lisible et une volonté politique forte. Le groupe Union Centriste fait le pari que la volonté de tenir cet objectif existe bel et bien. Nous serons attentifs, étape par étape, à sa mise en œuvre, l’évaluation étant l’une des attributions du Parlement.
Voulant faire le pari de la réussite et de la sincérité des engagements, notre groupe adoptera les crédits de la mission « Aide publique au développement ».
M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’aide publique au développement est un impératif de justice et de solidarité internationale, mais c’est aussi une composante de notre politique d’influence.
Néanmoins, force est de constater, comme beaucoup d’autres l’ont dit avant moi, que nous avons échoué depuis quarante ans à remplir nos engagements internationaux en la matière : l’aide publique française n’a jamais dépassé 0, 6 % du revenu national brut, contre un objectif fixé à 0, 7 % par l’assemblée générale de l’ONU en 1970.
Elle est aujourd’hui plus proche de 0, 4 %, ce qui est insuffisant pour remplir l’ensemble des missions fixées au groupe AFD, notamment au Sahel et dans d’autres zones prioritaires.
Face à ces défis, nous saluons l’initiative du Gouvernement, conformément aux orientations données par le Président de la République, de remettre la France sur la voie du respect de nos engagements. L’objectif intermédiaire de 0, 55 % du RNB en 2022 nous semble réaliste et l’augmentation de 7 % des crédits la mission « Aide publique au développement » est un bon signal dans ce sens.
Notre groupe regarde favorablement cette évolution, mais restera vigilant quant au respect effectif de cet engagement.
Dans un contexte budgétaire contraint, la tentation est souvent de considérer l’aide au développement comme une variable d’ajustement. D’autres pays, comme la Chine, en ont au contraire fait une composante essentielle de leur diplomatie d’influence, en Afrique notamment, avec un volontarisme politique fort et un effort financier conséquent, appuyé sur de puissants opérateurs.
Nous pensons également qu’il faut changer de logique dans notre approche de l’aide au développement. Elle constitue certes un impératif de solidarité, mais elle est aussi et surtout un investissement.
Un investissement dans l’avenir, un investissement dans la réussite, chez elle, d’une jeunesse qui s’abîme trop souvent dans une course folle vers nos rivages. Un investissement pour que la prospérité, demain, ne soit plus dans ces pays un rêve d’ailleurs, mais une réalité concrète.
Avec cet objectif à l’esprit, il faut penser notre aide au développement d’une façon plus large, à la fois dans la définition des bailleurs, dans les types de projets financés et dans le pilotage des fonds.
En ce qui concerne les bailleurs, nous devons améliorer l’articulation entre l’État, les collectivités locales, les ONG et les entreprises ou fondations privées, en fonction des expertises de chacun.
Nous saluons, par exemple, l’accord signé en octobre 2016 entre la fondation Bill et Melinda Gates et le groupe AFD pour financer des projets communs en Afrique subsaharienne dans des secteurs prioritaires tels que la santé, l’éducation, l’agriculture, l’innovation financière et la sensibilisation au développement. Ce type d’accord permet des effets de levier importants et allège la tension sur les budgets nationaux.
S’agissant des objectifs de l’aide au développement, nous voyons d’un bon œil la convergence des processus « objectifs du développement durable » et « financement du développement » au cours des dernières années, sous l’égide des Nations unies.
Ce rapprochement entre aide au développement et développement durable s’est matérialisé lors de la troisième conférence internationale sur le financement du développement, à Addis-Abeba, en juillet 2015.
Le programme d’action d’Addis-Abeba, adopté à son issue, a envoyé un message fort sur l’importance du climat et de son intégration dans l’ensemble des politiques de développement.
Les événements climatiques extrêmes tels que les sécheresses ou les inondations sont des menaces importantes qui touchent l’ensemble des composantes – économique, sociale et politique – du développement.
Les projets visant à atténuer leurs effets devront être mieux soutenus. Nous saluons la création d’une « facilité d’atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises » par le groupe AFD en 2017.
Enfin, sur le pilotage des fonds, deux divisions nous apparaissent structurantes et gagneraient à être éclaircies. Je pense tout d’abord à la division entre aide bilatérale et aide multilatérale. Elles n’ont pas la même signification politique ni la même efficacité.
Je pense ensuite à la division des crédits entre deux programmes budgétaires distincts, pilotés par deux ministères différents. Cet émiettement conduit à multiplier les instances de coordination et fait perdre à notre politique d’aide au développement à la fois lisibilité et efficacité.
Sous réserve de ces points de vigilance, et en espérant, monsieur le ministre, que vous pourrez tenir compte de nos pistes de réflexion, le groupe Les Indépendants - République et Territoires votera ces crédits, qui amorcent une remontée en puissance bienvenue de notre aide au développement.
MM. Jean-Marie Bockel et Jean-Claude Requier applaudissent, ainsi que M. le président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, près de 815 millions de personnes dans le monde sont sous-alimentées. Chaque jour, 16 000 enfants meurent avant d’avoir pu vivre, faute d’accès aux soins.
Malgré la mise en œuvre des objectifs du millénaire pour le développement, requalifiés en objectifs de développement durable, beaucoup reste à faire. La perspective démographique de 9 milliards d’hommes d’ici à 2050, conjuguée à celle d’un changement climatique certain, invite la communauté internationale à se mobiliser encore davantage en faveur de la lutte contre la pauvreté.
Nous ne pouvons le nier, le développement constitue aussi un enjeu géopolitique fort. La crise migratoire touchant l’Europe depuis plusieurs années rappelle cette réalité. L’afflux de réfugiés inquiète un grand nombre de citoyens européens, dont certains pensent à tort qu’embrasser l’idéologie des extrêmes aux élections nationales et locales ouvrirait la voie à des solutions.
Le président Macron l’a rappelé mardi dernier, au Burkina Faso, l’Europe a peur d’être « submergée de migrants au risque de la xénophobie ».
Cette crise offre un avant-goût de ce que pourrait être notre lendemain, au sein de l’Union européenne : une vague de réfugiés climatiques issus de pays concernés par le réchauffement qui n’ont pas les moyens ni le niveau de développement suffisant pour retenir leurs populations.
Déjà, en 1981, à Paris, à l’occasion d’une conférence des Nations unies sur les pays les moins avancés, le président François Mitterrand disait ceci : « Qui pense encore à la croissance harmonieuse d’une moitié du monde sans se préoccuper de l’autre ? » Oui, trente-six ans plus tard, plus que jamais aujourd’hui, c’est une évidence : ce qui se passe là-bas nous impacte ici.
Aussi les pays les plus riches doivent-ils porter des politiques de développement ambitieuses. Au niveau mondial, l’effort est indéniable. En effet, avec un montant de 142 milliards de dollars en 2016, l’apport global des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE a connu son plus haut niveau historique. Mais qu’en est-il de la France ?
Nos collègues rapporteurs de la mission ont donné tous les chiffres, mais permettez-moi, néanmoins, d’en rappeler quelques-uns. La France, cinquième contributeur, tient ses engagements. Mais avec 0, 4 % pour 2017, le fameux objectif d’une aide au développement fixé à 0, 7 % du revenu national brut n’est pas atteint.
Nous pourrions le regretter si le projet de loi pour 2018 ne replaçait pas les crédits dédiés au développement sur une trajectoire ascendante. C’est une bonne chose. Et le chef de l’État a d’ailleurs confirmé l’ambition de porter le montant de l’aide au développement à 0, 55 % du RNB en 2022, lors de son récent déplacement en Afrique. C’est un message fort.
Nous le savons, la majeure partie des crédits de cette mission est consacrée justement à l’Afrique. Et cette priorité, je la fais totalement mienne.
Elle suscite une approbation partagée, tant cette région du monde concentre tous les défis – démographiques, économiques, sociaux, culturels. Nous devons y porter toute l’attention qu’exige notre avenir commun.
J’observe toutefois que l’effort apporté aux pays les moins avancés n’est pas encore conforme aux objectifs pourtant réaffirmés par le plan d’action d’Addis-Abeba de 2015 et par l’Agenda 2030.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, remplacer les dons par les prêts, c’est faire peu de cas de la capacité de ces pays à lever des ressources domestiques ou à attirer des investisseurs étrangers.
Ne le nions pas, les pays les moins avancés sont dépendants de l’aide publique. Et l’Agence française de développement devrait veiller à un meilleur fléchage de ses projets.
Enfin, j’ajouterai que la France contribue également au développement par son action extérieure. À cet égard, le sommet Union africaine-Union européenne qui s’est tenu la semaine dernière à Abidjan envoie un signal fort, avec l’ambition affichée par le président de la Commission européenne de mettre en œuvre un plan d’investissement de plus de 44 milliards d’euros destiné à l’Afrique d’ici à 2020. Reste à en connaître les modalités.
Monsieur le ministre, malgré les réserves que je viens de formuler, parce que les crédits consacrés à l’APD sont orientés à la hausse et parce que l’aide publique au développement n’est qu’une part du soutien que la France et ses partenaires apportent aux pays les plus fragiles, le groupe du RDSE votera ce budget.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. –M. Robert del Picchia applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par les temps qui courent, voir une augmentation de 11 % sur un programme budgétaire n’est pas monnaie courante !
C’est bien pourtant ce que représente la hausse de 100 millions d’euros budgétisée pour le programme 209. Sommes-nous en train de nous positionner sur une trajectoire nous permettant d’atteindre le jalon international de 0, 7 % du revenu national brut consacré à la solidarité internationale ? Pas du tout, hélas !
Un décryptage des chiffres s’impose, pour ne pas persister dans l’insincérité budgétaire.
Alors qu’Emmanuel Macron présente son premier projet de loi de finances, rappelons-nous le précédent quinquennat : François Hollande avait fait de l’augmentation de l’aide publique au développement une promesse de campagne. C’est pourtant durant son quinquennat que l’aide de la France a le plus baissé, tombant même en dessous de la moyenne des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE.
L’APD représente aujourd’hui 0, 38 % de notre revenu national brut, alors qu’elle « pesait » encore 0, 50 % en 2010. Laisserons-nous l’histoire se répéter ?
Emmanuel Macron s’est engagé, y compris devant l’Assemblée générale des Nations unies, à porter l’APD à 0, 55 % du revenu national brut d’ici à 2022 – cet objectif est déjà loin d’être ambitieux, alors que six de nos partenaires européens ont, eux, atteint l’objectif onusien de 0, 7 %.
Or le premier budget qu’il présente ne place pas clairement la France sur une trajectoire permettant d’atteindre cet objectif. Six milliards d’euros supplémentaires seraient nécessaires d’ici la fin du quinquennat ; ce n’est donc pas de 100 millions d’euros par an qu’il faudrait augmenter ce budget, mais de plus d’un milliard.
M. le ministre le conteste.
On est donc très loin du compte ! De surcroît, cette hausse de 100 millions d’euros qui nous est annoncée est trompeuse, car elle intervient alors que le budget de l’aide au développement a été coupé de 136 millions d’euros durant l’été ! La hausse des crédits pour 2018 est ainsi inférieure au montant annulé en 2017…
Le projet de budget triennal 2018-2020 est trop modeste pour rétablir la trajectoire ; il serait nécessaire, pour que nous tenions nos engagements, de doubler notre APD entre 2018 et 2020. N’est-ce pas irréaliste ? Monsieur le ministre, il me semblerait utile que soit publiée une feuille de route dans laquelle serait anticipée, sur cinq ans, une montée en puissance qui pourrait permettre à la France de tenir ses engagements.
La taxe sur les transactions financières est un levier important. Dans le contexte du Brexit, je comprends qu’il faille ménager l’attractivité de la place de Paris. Mais augmenter le taux de taxation de la TTF de 0, 3 à 0, 5 % ne ferait que placer la France à égalité avec le Royaume-Uni ! Par ailleurs, augmenter la fraction des recettes de cette taxe allouées à l’APD ne nuirait en rien à la finance française, et aurait un impact significatif sur le financement du développement.
Monsieur le ministre, je vous serais reconnaissante de bien vouloir clarifier la position du Gouvernement en matière de montée en puissance de la TTF comme levier pour financer notre APD.
Je me contenterai d’aborder encore deux questions.
D’abord, s’agissant de l’autonomisation des femmes dans le pilotage de notre aide au développement – des engagements, là encore, ont été pris –, 28 % de cette aide, en 2016, intégrait le genre. Il faudrait que ce taux passe à 50 % !
Enfin, concernant les mesures contre l’évasion fiscale, on sait que pour 1 euro d’aide accordé aux pays du Sud, dix euros s’en échappent vers des paradis fiscaux.
M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’emblée me montrer très honnête : l’aide publique au développement française n’est pas à la hauteur, et ce depuis longtemps. Elle n’a même cessé de baisser de 2010 à 2016, jusqu’au rebond du budget pour 2017, rebond réel, salué comme tel, mais rebond tardif et insuffisant.
Il n’est donc pas question, ici, a fortiori pour moi, de faire la leçon au Gouvernement. Pour autant, comment ne pas pointer le décalage entre les discours du Président de la République, aux Nations unies en septembre, en Afrique la semaine dernière, et la réalité du budget que vous nous présentez ?
Décalage il y a, en effet, puisque le président Macron a annoncé – mes collègues, avant moi, l’ont beaucoup dit – que d’ici la fin de son quinquennat, l’APD française serait portée à 0, 55 % du revenu national brut.
Or – cela a été dit par plusieurs des orateurs qui m’ont précédé – le budget pour 2018 n’inscrit pas la France dans cette trajectoire. Pour atteindre les 0, 55 %, il faudrait en effet faire passer notre aide de 8, 6 milliards d’euros à près de 15 milliards d’euros, soit 1, 2 milliard d’euros de plus par an pendant cinq ans.
C’est dire si nous en sommes loin, comme nous sommes aussi très loin, et depuis trop longtemps, des fameux 0, 7 %, ce chiffre qui fait consensus au niveau international et que d’autres pays européens, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark ou la Norvège, ont déjà atteint.
Au-delà du budget lui-même, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite ajouter quelques éléments structurels sur notre politique d’aide au développement, qui n’ont pas à voir avec vos décisions – vous êtes en place depuis six mois seulement –, mais qui correspondent à des travers qu’il faut continuer à essayer de corriger dans les années qui viennent.
D’abord, concernant la répartition entre les prêts et les dons, on sait par exemple que l’AFD, sur un montant de 9, 4 milliards d’euros d’engagements chaque année, ne consacre aux dons que 290 millions d’euros. Or, nous le savons, les prêts profitent surtout aux pays à revenu intermédiaire, et bénéficient davantage au secteur productif qu’aux secteurs sociaux et éducatifs, sur lesquels a insisté à juste raison le président Cambon.
Les pays les plus pauvres, eux, ne bénéficient que d’un quart de l’aide française, les autres destinataires étant notamment des pays émergents comme la Chine, le Brésil ou encore l’Afrique du Sud.
La faiblesse de la part des dons dans l’APD française oriente non seulement cette aide vers les pays les plus solvables, mais elle obère nos capacités d’intervention dans les situations de crise ou de post-crise, malgré le travail remarquable accompli par le centre de crise et de soutien.
Il est donc plus nécessaire que jamais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de continuer à essayer de rééquilibrer notre aide en faveur des dons.
Deuxième élément structurel sur lequel je souhaiterais attirer votre attention : la question de l’aide bilatérale et de l’aide multilatérale. Je connais l’inclination des parlementaires français en faveur de la première. Pour autant, je considère, comme d’autres, que les deux sont utiles et complémentaires.
Le problème – d’autres l’ont dit avant moi – est que nous ne disposons pas d’un véritable pilotage coordonné et centralisé des aides multilatérales, certaines étant gérées par Bercy, d’autres par le Quai d’Orsay.
Le Royaume-Uni, lui, a beaucoup investi dans l’aide multilatérale, mais s’y investit aussi beaucoup. Il dispose d’un pilotage coordonné et centralisé qui rend son aide multilatérale plus visible, plus « traçable », si j’ose dire, et plus efficace.
Un mot, maintenant, sur l’aide humanitaire.
Elle reste dramatiquement trop faible en France : 2 % de notre APD lui sont consacrés, soit environ 60 millions d’euros en 2017, alors que l’Allemagne lui consacre 4, 4 % de son APD, et le Royaume-Uni plus de 10 %.
Quant aux financements innovants, c’est-à-dire les deux fameuses taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières, il s’agit sans doute, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de la plus grande déception de votre budget.
D’abord, vous voulez plafonner leur produit à 1 milliard d’euros.
En outre, vous ne prévoyez pas d’augmenter le taux de la TTF, qui est en France de 0, 3 %, contre 0, 5 % au Royaume-Uni.
La troisième déception vient de votre refus d’allouer 100 % du produit de la TTF à l’aide au développement.
Enfin, la plus grande déception est due à votre décision de revenir sur la mesure votée l’an dernier par le Parlement, consistant à taxer les opérations intrajournalières, les fameuses transactions intraday, à partir du 1er janvier 2018 : vous renoncez ainsi à des recettes qui auraient pu atteindre jusqu’à 4 milliards d’euros par an.
Au-delà de cet aspect financier, qui n’est pas négligeable, vous renoncez ainsi à une mesure symboliquement très forte, puisqu’elle consiste à taxer la spéculation financière pour financer la solidarité internationale.
Un mot, pour conclure, sur les associations, les fameuses ONG, autrement dit la société civile : elles sont des acteurs irremplaçables de l’aide au développement.
Elles prennent des risques, elles sont réactives, elles innovent, elles agissent là où d’autres ont du mal à intervenir. L’aide française aux ONG n’est pas suffisante. Le président de la République précédent avait pris l’engagement d’augmenter beaucoup l’aide publique au développement transitant par les ONG ; je ne doute pas que vous aurez à cœur de tenir cet engagement. La part de l’APD française qui transite par les ONG est de 3 % environ ; la moyenne des pays de l’OCDE est de 16 %.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, depuis 2012, des efforts ont été engagés ; ils sont insuffisants, je le répète. J’espère vraiment que le gouvernement auquel vous appartenez continuera dans cette voie. Pour l’heure, le budget que vous nous présentez ne nous semble pas inscrire notre pays dans la trajectoire conduisant aux 0, 55 % du RNB en 2022.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste – nous le regrettons, monsieur le ministre – s’abstiendra sur les crédits de cette mission.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Christine Prunaud applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sur un principe au moins, nous sommes tout à fait d’accord – certains orateurs l’ont dit, et je partage complètement leur analyse – : l’aide publique au développement est un instrument de solidarité, mais aussi un instrument d’influence, et un instrument de gestion globale des crises. Constatons-le ensemble !
Deuxième remarque, à titre d’introduction – là encore, beaucoup l’ont dit – : notre rang parmi les acteurs du développement sur la scène internationale est remis en question, en raison d’une baisse continue de nos moyens, qui se poursuit depuis longtemps – M. Vallini l’a dit tout à l’heure.
Il importe donc d’inverser la tendance.
C’est précisément le sens de l’acte important annoncé par le Président de la République, conforme, d’ailleurs, à son engagement de campagne, consistant à porter l’aide publique au développement de 0, 38 à 0, 55 % du PIB d’ici à 2022.
Cet engagement a été pris devant l’Assemblée générale des Nations unies, pas n’importe où, donc. Il a été répété la semaine dernière, à Ouagadougou et à Abidjan, avec beaucoup de fermeté et de conviction. Il faut donc désormais nous atteler à la tâche, ce qui signifie en effet – certains d’entre vous l’ont souligné, mesdames, messieurs les sénateurs – faire passer notre aide publique au développement de 8, 5 milliards d’euros en 2016 à près de 15 milliards d’euros à la fin du quinquennat, ces chiffres correspondant à l’aide global, et non au seul budget relevant de mon ministère.
Nous devons nous préparer à cet horizon. C’est ce que nous commençons à faire, certes modestement, mais la courbe est inversée avec le budget que je vous présente pour 2018 au nom du Gouvernement.
Pour arriver à ce montant et à ce niveau, il faut définir une trajectoire. Je suis assez sensible à l’idée, développée tout à l’heure par le rapporteur spécial Yvon Collin, de créer quelque chose qui pourrait ressembler à une loi de programmation permettant de valider la trajectoire, en tout cas de marquer les étapes nous menant à ce résultat.
Il importe aujourd’hui, quoi qu’il en soit, que nous prenions la responsabilité d’une telle augmentation ; à défaut, en effet, notre place dans le monde risque d’être progressivement relativisée, et notre message ne portera plus, puisque nous ne pourrons plus être au rendez-vous de nos engagements.
Toujours est-il que ce budget pour 2018 inverse l’évolution récente et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’en avoir pris acte.
Je voudrais faire quelques observations sur les propos tenus par les différents intervenants. Notre aide publique au développement obéit bel et bien à une vision stratégique, articulée autour de priorités. Ces priorités sont tenues, même si, pour chacune d’entre elles, des incertitudes demeurent et des corrections restent à apporter.
La priorité géographique, d’abord – elle a été rappelée par plusieurs orateurs –, est accordée aux 17 pays les plus pauvres, les pays les moins avancés, en particulier depuis le CICID de novembre 2016 – M. Vallini s’en souvient.
La seule difficulté est que les dispositifs mis en œuvre pour accorder cette priorité sont relativement pervers : pour pouvoir assurer cette priorité d’ordre géographique envers les 17 pays les plus pauvres, il faudrait faire davantage de dons que de prêts. Or notre situation, aujourd’hui, est devenue paradoxale : les principaux bénéficiaires de l’aide publique au développement française sont des pays à revenu intermédiaire, comme la Colombie, le Maroc, la Turquie, le Brésil et l’Inde, et non pas les pays les plus pauvres, qui ne peuvent plus emprunter et ne peuvent donc être bénéficiaires que des dons.
Il importe donc d’inverser cette logique ; c’est un des objectifs de la trajectoire 2018-2022 que je serai amené à présenter.
Nos priorités sont d’ordre géographique, mais aussi thématique.
L’action humanitaire, d’abord : plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont souligné son insuffisance. C’est la raison pour laquelle ce budget propose une augmentation des fonds de 20 % dans le domaine humanitaire.
C’est une amorce, mais une amorce significative, l’objectif étant que nous soyons au rendez-vous des différents événements. Par exemple, le fonds de stabilisation destiné à gérer les situations immédiatement postérieures à une crise est dès aujourd’hui mobilisé pour intervenir à Raqqa, aussitôt que Daech en a été extirpé. Quant au fonds d’aide alimentaire, il est utilisé en ce moment même pour compenser, autant que faire se peut, la situation dramatique que vit le Yémen.
Autre priorité thématique : le réchauffement climatique, évidemment, avec la mise en œuvre de l’accord de Paris. Pour répondre en partie à Mme Perol-Dumont, je précise que le fonds commun à la Caisse des dépôts et consignations, et à l’Agence française de développement, auquel elle a fait référence, servira aussi à la réalisation des objectifs de l’accord de Paris – c’est l’une de ses orientations, et vous avez bien voulu signaler, madame la sénatrice, la nouveauté de ce dispositif.
Au titre des priorités thématiques, il faut aussi mentionner la réponse à la situation globale de fragilité en Afrique – cette priorité est d’ordre à la fois géographique et thématique –, avec le lancement de l’Alliance pour le Sahel –Jean-Marie Bockel soulignait l’importance de cette zone. Nous avons décidé de dégager un financement annuel, pour cette initiative, de 35 millions d’euros, en utilisant la « facilité vulnérabilité » issue du Fonds de solidarité pour le développement. Cette “facilité vulnérabilité” est un outil tout à fait efficace pour engager ce type de politiques.
Enfin, dernier thème – je réponds ainsi aux préoccupations du président Cambon – : notre action pour l’éducation et pour la santé, c’est-à-dire pour les deux vecteurs où la qualité française et la spécificité de nos interventions sont généralement au rendez-vous. Ce thème sera placé au cœur de la réunion du Partenariat mondial pour l’éducation qui se tiendra à Dakar le 8 février prochain, coparrainée par le président Macron et par le président Macky Sall.
Ces priorités étant posées, il existe plusieurs cadres d’action – ils ont été identifiés par les différents orateurs ; je les répète.
Concernant le cadre bilatéral, d’abord, je rectifie les chiffres qui ont été annoncés tout à l’heure : le ministère alloue 480 millions d’euros à l’Agence française de développement pour financer les dons, ce qui correspond à une augmentation de 80 millions d’euros des autorisations d’engagement pour 2018. C’est le signe de l’inversion que nous voulons mettre en œuvre.
Je tenais à le souligner, même si – nous en sommes d’accord – il importe de renforcer la part du bilatéral par rapport au multilatéral. Je précise néanmoins que dans l’aide multilatérale, la part communautaire est très importante : notre contribution au Fonds européen de développement s’élève à 850 millions d’euros, soit une hausse de 107 millions d’euros cette année.
C’est essentiel, mais ce n’est pas contradictoire – vous avez raison de le souligner, mesdames, messieurs les sénateurs – avec l’aide bilatérale : la volonté de la France est d’œuvrer à une bonne articulation entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale, singulièrement lorsqu’il s’agit d’aide multilatérale dans le domaine communautaire. Cette dernière constitue un instrument puissant pour nous aider à promouvoir les priorités sectorielles que nous avons identifiées, en particulier l’Afrique, comme cela a été rappelé lors du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, à Abidjan, il y a quelques jours. Nous voulons être acteurs dans la définition des orientations du FED, afin que la conjugaison de l’aide multilatérale, communautaire en particulier, et de l’aide bilatérale puisse servir nos objectifs de développement.
Je fais deux observations supplémentaires, dont la première porte sur Expertise France, puisque cette question a été soulevée : je rejoins l’appréciation positive que l’on peut porter sur cette agence. Elle a réussi la fusion des huit opérateurs qui lui préexistaient ; il reste à poursuivre et à consolider ce travail pour qu’il soit parfaitement achevé, mais je remarque avec beaucoup d’attention et de plaisir que le Sénat, par la voix de ses différents intervenants, s’accorde avec moi sur ce point.
S’agissant enfin de la TTF, je voudrais rappeler que nous avons souhaité la mise en place d’une telle taxe au niveau européen, l’idée étant que nous ne soyons pas seuls dans ce domaine. Cet objectif est toujours affiché, défendu, réclamé auprès de nos partenaires par le Président de la République. Il importe que nous travaillions, dans cette démarche, de manière solidaire avec nos voisins. Si une telle disposition était instaurée, un engagement supplémentaire serait pris au niveau communautaire.
Quant à la TTF française et à la taxe sur les billets d’avion, elles seront vraisemblablement intégrées à la trajectoire 2018-2022 de l’aide au développement, que je serai amené à proposer assez rapidement au Président de la République.
Nous disposerons ainsi d’un socle complet et diversifié, qui nous permettra d’être au rendez-vous des engagements pris par le Président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai pu constater que ces orientations avaient le soutien quasi unanime de votre assemblée ; je vous en remercie.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, sur certaines travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Aide publique au développement
Aide économique et financière au développement
Solidarité à l’égard des pays en développement
Dont titre 2
165 334 981
165 334 981
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
L es crédits sont adoptés.
J’appelle en discussion l’article 49 quater, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Aide publique au développement
Au premier alinéa du III de l’article 68 de la loi de finances rectificative pour 1990 (n° 90-1169 du 29 décembre 1990), le montant : « 2, 040 milliards d’euros » est remplacé par le montant : « 2, 070 milliards d’euros ». –
Adopté.
Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Prêts à des États étrangers
Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France
Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France
Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers
Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
L es crédits sont adoptés.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
La parole est à M. le président de la commission des finances.
Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des finances se réunira un quart d’heure avant la reprise, afin d’examiner quelques amendements en vue de la séance de ce soir.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures vingt.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-et-une heures vingt, sous la présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann.