Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 5 décembre 2017 à 14h00
Loi de finances pour 2018 — Compte d'affectation spéciale : contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances, pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie  :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, avant d’aborder l’examen de cette mission, je souhaite saluer l’efficacité et le courage de nos forces de l’ordre, dont la mobilisation est particulièrement forte. Leur activité opérationnelle s’effectue dans un contexte de grande tension, comme en témoignent, par exemple, les plus de 900 perquisitions administratives menées en 2016 au titre de l’état d’urgence ou les millions de contrôles aux frontières réalisés au titre du rétablissement temporaire de ces dernières. Je veux également rappeler, avec gravité, les nombreux suicides qui ont eu lieu ces dernières semaines.

Pourtant, malgré le caractère prioritaire de cette mission, le présent projet de budget ne semble pas à la hauteur des enjeux.

Premièrement, les crédits sont en baisse dans le projet de loi de programmation triennale.

Si, en 2018, les moyens de la police et de la gendarmerie nationales sont en légère hausse, il est prévu que les crédits de la mission « Sécurités » augmentent de seulement 2, 1 % sur la période 2018–2020, contre une augmentation moyenne de 3 % pour les missions du budget général. En prenant en compte les prévisions d’inflation du Gouvernement, l’évolution sera négative, puisque les crédits diminueront de 0, 4 %.

Cette évolution est surprenante, alors que la sécurité nationale est toujours présentée comme une priorité.

Par ailleurs, la mise en place d’une « police de la sécurité du quotidien » ne s’accompagne d’aucun volet budgétaire et devrait donc s’appuyer sur les moyens existants. Les annonces faites ne dissipent donc pas à ce stade la crainte de voir émerger un nouveau dispositif créant une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre.

Deuxièmement, la hausse des effectifs s’effectue au détriment des moyens de fonctionnement et de l’investissement, perpétuant ainsi la principale faiblesse des budgets de la fin du quinquennat précédent.

S’il est vrai que le nombre total d’emplois créés s’est élevé à 8 837 au cours des cinq dernières années, le rythme de recrutement devrait sensiblement croître sur le quinquennat actuel, puisque le Président de la République s’est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018–2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale bénéficiera de 7 500 équivalents temps plein – les ETP – et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP. Ainsi, le nombre de policiers et de gendarmes devrait augmenter, en 2018, de 1 835 ETP, dont 459 pour les gendarmes et 1 376 pour les policiers.

Mais la conséquence de cette constante augmentation des effectifs depuis 2014 est que la part des dépenses de personnel sur l’ensemble des crédits, au sein des deux programmes, atteindra 86, 78 % en 2018. Ce ratio ne permettra pas de garantir la capacité opérationnelle des policiers et gendarmes.

Depuis 2006 – en dix ans, donc –, les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 31 %, tandis que les autres dépenses ont connu une baisse de 4, 98 %.

Je rappelle, par ailleurs, que les comparaisons internationales ne témoignent pas d’une sous-dotation des forces de sécurité intérieure de notre pays, bien au contraire. Parmi nos principaux voisins européens, seule l’Italie a des effectifs supérieurs aux nôtres.

Troisièmement, le maintien de ce ratio à un niveau si élevé induit désormais une paupérisation de nos forces.

La faiblesse des dépenses d’investissement et de fonctionnement a des conséquences directes sur le vieillissement du parc immobilier. Je veux citer l’exemple de la dette des loyers de la gendarmerie, pour 114 millions d’euros en autorisations d’engagement et 92 millions d’euros en crédits de paiement, et le plan nécessaire, sur cinq ans, pour résorber cette dette.

Le budget présenté ne permettra pas d’assurer un abaissement de l’âge de la flotte de véhicules, lui aussi en constante augmentation, puisqu’il est passé de 4 ans et 10 mois en 2006 à 6 ans et 9 mois en 2016, alors même qu’il y a de moins en moins de véhicules. Depuis 2006, un véhicule de police est supprimé pour trois postes créés…

L’équipement des agents va également pâtir d’un important sous-financement. Plusieurs centres de tir ont dû fermer depuis le mois de septembre dernier, d’où un fort mécontentement des forces de police et de gendarmerie, qui ne peuvent s’entraîner que douze heures annuellement et ne tirer que 92 cartouches par an.

Quatrièmement, une meilleure organisation des forces aurait permis de gagner en capacité opérationnelle.

L’application à la gendarmerie, pour la première fois à partir de 2017, de la directive européenne de 2003 relative au temps de travail a engendré une baisse de la capacité opérationnelle des forces de 5 % des ETPT – équivalents temps plein travaillé – comme je l’avais prévu l’an dernier. Les recrutements prévus ne compenseront donc pas l’application de cette directive.

Pour la police nationale, l’entrée en vigueur de la vacation forte devrait entraîner, en 2018, une perte opérationnelle s’élevant à 433 ETPT. Mais il est possible que davantage d’effectifs soient, à terme, concernés par ce cycle, qui n’est pas appliqué, par exemple, à la préfecture de police de Paris. La perte opérationnelle pourrait s’accroître dans les années à venir, et cette réforme peut donc toujours être qualifiée de « bombe à retardement ».

Le principal levier permettant de « dégager des effectifs » est le recentrage des forces de l’ordre sur leur cœur de métier, par la suppression progressive des tâches indues, qui mobilisent l’équivalent d’environ 6 000 ETPT. Je pense notamment aux transfèrements judiciaires, à la gestion des procurations et aux tâches administratives, qui détournent les forces de l’ordre de leurs missions premières.

Mes chers collègues, je vous présenterai un amendement visant à substituer à des crédits du titre 2 des dépenses d’investissement et de fonctionnement, afin de donner aux hommes les moyens d’accomplir leur mission. Cet amendement doit être interprété comme la volonté d’aboutir à une vision constructive, dans le cadre de ce budget, sur un sujet si important pour notre pays.

Si le Gouvernement veut, pour ce premier budget du quinquennat, maintenir sa version initiale, si peu conforme aux exigences de la situation, votre rapporteur vous proposera le rejet des crédits de la mission « Sécurités ».

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