Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce budget est essentiel, puisqu’il semble traduire la volonté du Gouvernement de mieux maîtriser les flux migratoires, optimiser le dispositif de l’asile et renforcer les moyens dédiés à l’intégration.
Nous avons tous conscience de l’importance de ces enjeux sensibles et de notre responsabilité à en débattre sereinement.
La mission « Immigration, asile et intégration » est dotée de 1, 3 milliard d’euros de crédits et progresse ainsi de 285 millions d’euros. Je tiens à saluer la décision du Gouvernement d’augmenter les moyens alloués aux dispositifs pour répondre à la pression migratoire exceptionnelle que connaît la France. Compte tenu du contexte budgétaire contraint, c’est évidemment une avancée.
En commission, notre rapporteur a présenté de nombreux chiffres. Certains d’entre eux se sont révélés incomplets. En effet, notre collègue Thani Mohamed Soilihi l’a lui-même souligné : l’immigration clandestine est mesurée à travers les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. Or cette aide n’est pas applicable à Mayotte. Pourtant, vous en conviendrez, monsieur le ministre d’État, le recensement des clandestins est essentiel pour apporter une réponse adaptée.
Si les pressions migratoires auxquelles font respectivement face la Guyane et Mayotte sont souvent évoquées dans nos débats, la gravité de la situation reste largement sous-estimée. J’aimerais donc prendre un instant pour illustrer avec quelques chiffres l’ampleur de ces phénomènes.
Premier chiffre : le nombre moyen de reconduites à la frontière effectuées chaque année à Mayotte depuis 2010 est de 18 000. En 2016, ce sont plus de 22 600 retours qui ont été opérés. À titre de comparaison, le ministère de l’intérieur a annoncé pour la même année près de 13 000 reconduites aux frontières de l’Hexagone. Je rappelle que Mayotte détient par ailleurs le taux de natalité le plus élevé de France et que 70 % des femmes qui y accouchent sont en situation irrégulière.
Le second chiffre concerne la Guyane : le nombre de demandes d’asile enregistrées au cours des trois dernières années est de 11 000. Notons que ces demandes concerneraient au total plus de 20 000 personnes en comptant les familles. Là encore, c’est comme si la France comptabilisait chaque année près d’un million de demandeurs d’asile sur son seul territoire hexagonal.
Mes chers collègues, demander l’asile est un droit qu’il n’est pas question de remettre en cause. Mais c’est une réalité, la Guyane est aujourd’hui trop attractive pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas en besoin manifeste de protection. En 2016, seuls 2, 6 % des dossiers ont été acceptés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.
Les reconduites à la frontière sont importantes, mais elles sont coûteuses et souvent insuffisantes. Il nous faut aller plus loin, innover et développer des mesures structurelles.
En octobre dernier, le Président de la République a annoncé en Guyane plusieurs mesures qui visent le même objectif : la réduction à deux mois du versement de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, l’accélération des délais de traitement, le conditionnement de l’accès au revenu de solidarité active à quinze ans de résidence sur le territoire plutôt qu’à cinq ans ou encore la démonétisation du revenu de solidarité.
Récemment, un nouvel élan vient également d’être donné à la coopération avec le Surinam, voisin de la Guyane. Cela donne bon espoir que l’accord de réadmission signé en 2004 soit prochainement ratifié par notre voisin surinamais.
Par-delà ce budget, nous devons nous satisfaire de voir le chef de l’État et le Gouvernement ouverts à un dialogue franc et responsable sur la manière de mieux lutter contre l’immigration irrégulière dans ces territoires au bord de l’asphyxie.
Je souhaiterais maintenant appeler votre attention sur un autre point : la situation des mineurs non accompagnés ou isolés et l’accompagnement des départements. Le nombre croissant de ces jeunes se déclarant mineurs et isolés – passant de 4 000 en 2010 à 13 000 en 2016 pour atteindre près de 25 000 en 2017 – entraîne la saturation des dispositifs de protection de l’enfance. Les départements, qui doivent accueillir et prendre en charge ces mineurs, ne pourront faire face à cette évolution sans le soutien de l’État.
Le Premier ministre et la ministre de la santé ont confirmé un financement exceptionnel de l’État en 2018. Cependant, l’enveloppe de 132 millions d’euros annoncée semble en deçà de l’évaluation effectuée par l’Assemblée des départements de France, selon laquelle le coût total de la prise en charge des mineurs isolés s’élèverait à 1 milliard d’euros. Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous éclairer sur cette situation d’urgence ?
Enfin, comment évoquer tous ces sujets sans penser aux drames humains qui se jouent en Méditerranée ? Éligibles ou non à l’asile, nous devons assistance à ces victimes de trafiquants qui, lorsqu’elles ne sont pas poussées à la mort en mer, sont vendues sur des marchés d’esclaves – c’est un véritable scandale mondial –, rappelant les heures les plus sombres de notre histoire.
C’est cette même assistance que l’aide médicale d’État, l’AME, apporte quotidiennement aux personnes étrangères sur le territoire national. Il faut le rappeler, cette aide vise un double objectif, humanitaire et sanitaire. Aussi, nous ne pouvons que regretter que la majorité sénatoriale ait décidé de diminuer ses crédits de 300 millions d’euros.
Ces situations en sont la preuve : en outre-mer comme dans l’Hexagone, les défis migratoires, d’asile et d’intégration ont profondément changé. Les réformes à venir ne peuvent donc se contenter d’être conjoncturelles.
Monsieur le ministre d’État, notre groupe soutiendra ce projet de budget, qui va dans le bon sens en prévoyant une hausse significative des crédits pour 2018. L’attention portée par le Gouvernement sur ces sujets et les efforts consentis dans cette mission marquent le point de départ de réformes ambitieuses capables de répondre, avec responsabilité et dignité, aux défis migratoires de la France et de ses outre-mer.
Nous espérons que le Gouvernement poursuivra ce travail avec le projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration.