Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 5 décembre 2017 à 14h00
Loi de finances pour 2018 — Administration générale et territoriale de l'état

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, à travers la mission « Administration générale et territoriale de l’État », le ministère de l’intérieur « met en œuvre trois de ses responsabilités fondamentales : garantir l’exercice des droits des citoyens dans le domaine des grandes libertés publiques, assurer la présence et la continuité de l’État sur l’ensemble du territoire de la République et mettre en œuvre au plan local les politiques publiques nationales ».

C’est en ces termes que l’annexe budgétaire introduit la présentation stratégique de la mission dont nous débattons à l’instant.

Au-delà des trois programmes qui la constituent, et sur lesquels je reviendrai, l’énonciation de ces trois responsabilités amène à questionner les missions exercées par la puissance publique dans nos territoires et, donc, la place de l’État sur ces territoires, ainsi que l’articulation de son action avec celle des acteurs locaux.

Certes, cette réflexion est censée être engagée dans le cadre d’un nouveau programme Action publique 2022, tout juste lancé par le Premier ministre. Mais si une telle réflexion est loin d’être nouvelle, elle n’a jusqu’à présent trouvé, comme réponse principale, qu’une succession de réformes, sans réelle interrogation sur les missions et l’implantation de l’État dans les territoires et, par conséquent, sur le rôle du réseau des préfectures et des sous-préfectures.

Or ce sont bien les missions qui doivent déterminer les moyens, et non l’inverse, avec un objectif d’égal accès à un service public de qualité, notamment au profit des territoires les plus éloignés.

Permettez donc que je développe trois points.

Premier point, un État de proximité dématérialisé et métropolisé.

S’agissant des moyens, des efforts importants ont été consentis en matière de rationalisation et de mutualisation, d’une part, et en matière d’adaptation des préfectures et de leur personnel à la nouvelle carte régionale, d’autre part. Au-delà des effets économiques de la reconfiguration géographique du réseau, il en ressort souvent un sentiment d’éloignement, voire d’abandon des territoires, éprouvé par les usagers et les élus locaux, qui voient dans cette évolution une forme de démantèlement de l’État de proximité.

À ce titre, si le plan Préfectures nouvelle génération a permis, ou devrait permettre, de moderniser l’administration et de simplifier l’accomplissement de démarches administratives pour les usagers, avec le concours non négligeable des mairies pour les cartes d’identité, il y a lieu de s’interroger sur l’accès équitable de tous les usagers aux services désormais dématérialisés.

Je rappelle que la fracture numérique continue d’être une réalité pour plus de 3 millions de personnes et que tous nos concitoyens ne maîtrisent pas de manière uniforme les nouvelles technologies.

Cette fracture numérique nécessite des moyens en matière d’accompagnement des démarches de téléprocédures. Or cet accompagnement est difficile à envisager dans le cadre de la réduction des missions de guichet.

Ainsi, la simplification et le progrès pour les uns deviennent l’exclusion pour les autres, que ce soit pour des raisons géographiques, socioéconomiques ou générationnelles.

Dans cette perspective, il apparaît essentiel de déployer des moyens pour renforcer le dispositif des points numériques permettant à tous les usagers d’effectuer des téléprocédures.

En outre, l’objectif de 100 % de services dématérialisés d’ici à 2022 fixé par le Président de la République appelle une action budgétaire plus volontariste, à la fois pour développer les services dématérialisés existants et pour pouvoir investiguer de nouveaux champs pour cette dématérialisation.

Or, étonnamment, la mission « Administration générale et territoriale de l’État », dans son programme 307, ne fait pas apparaître un tel volontarisme. On constate même plutôt une curieuse contradiction, puisque le programme tend à réduire les crédits alloués au fonctionnement et à la maintenance des matériels informatiques et des systèmes d’information.

Nous serons donc plus qu’attentifs aux moyens alloués pour qu’aucun usager ne soit exclu du service public, auquel l’État a l’obligation de garantir un égal accès à chacun d’entre nous.

Deuxième point, des moyens limités pour exercer les missions des préfectures auprès des collectivités locales.

Sur un autre plan, le PPNG devait également permettre à l’État de se recentrer sur ses missions prioritaires – parmi lesquelles l’expertise juridique, le contrôle de légalité et la coordination territoriale des politiques publiques – et de les renforcer.

Cela nous conduit à nous interroger sur le rapport de l’État aux collectivités territoriales et à sa mission de conseil, inhérente à celle du contrôle de légalité, et ce afin que l’État soit ce qu’il est censé être : un coconstructeur et un facilitateur du développement des territoires.

Cette réflexion apparaît d’autant plus importante à la suite de l’annonce, par le Président de la République, du renforcement de l’ingénierie territoriale, mais aussi du dialogue de gestion entre les préfectures et les collectivités locales, dans le cadre des fameux contrats d’objectifs.

En matière de contrôle de légalité, le PPNG a permis la montée en puissance du pôle interrégional d’appui au contrôle de légalité et le renforcement de la capacité d’expertise juridique par la création de quatre pôles juridiques et deux à venir.

Toutefois, on constate parallèlement un resserrement du nombre d’actes à transmettre au contrôle de légalité et une priorisation des actes à contrôler inégale entre les préfectures. D’après un rapport de la Cour des comptes de 2016, le facteur explicatif serait le manque de temps, de capacité d’expertise des agents et d’efficience de la procédure de transmission des actes.

Dans cette perspective, la soutenabilité des missions du réseau des préfectures pose question, tout comme la place des sous-préfectures dans l’architecture du réseau. Malgré une augmentation des autorisations d’engagement et des crédits de paiement de 2, 24 %, les moyens octroyés nous semblent sous-estimés.

Troisième point, une limitation des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance.

Mon dernier point porte sur la réduction sensible de ce fonds – de l’ordre de 27 millions d'euros – dans le cadre du programme 216. Cette baisse s’explique par la réduction du format des centres de réinsertion et de prévention de la délinquance, dans le contexte de la mise en place d’une nouvelle stratégie.

Pour autant, ce fonds étant destiné à l’accompagnement des jeunes en voie de radicalisation et à leur insertion sociale, l’actualisation de la stratégie interministérielle ne devrait pas se limiter à réaliser des économies sur les structures de réinsertion et de déradicalisation, compte tenu de la situation que nous connaissons.

Ainsi, pour les raisons évoquées précédemment, qui relèvent principalement de la présence de l’État et de la perception de cette présence dans les territoires, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».

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