Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget du ministère de la justice bénéficiera, en 2018, d’une hausse de 3, 9 % de ses crédits de paiement, à périmètre constant.
Certains considèrent que cette augmentation est insuffisante. Il est vrai que l’on peut regretter que notre pays consacre seulement 72 euros par habitant à la justice, contre 95 euros en Italie ou même 146 euros en Allemagne.
Néanmoins, replacée dans le cadre du budget général de l’État, la mission « Justice » apparaît bien considérée comme une priorité. Si l’on compare avec d’autres politiques publiques prioritaires – je pense en particulier à l’armée et aux forces de sécurité –, la justice bénéficie d’un traitement plutôt favorable : contrairement aux missions « Défense » et « Sécurités », les efforts budgétaires en faveur de la mission « Justice » devraient être à la fois durables sur la période triennale 2018–2020 et renforcés en fin de période.
Bien sûr, les réformes paraissent toujours trop lentes et leurs résultats tardent à se traduire dans les chiffres et dans les faits. La surpopulation carcérale n’a ainsi jamais été aussi élevée dans notre pays. Le traitement des détenus est indigne dans certaines maisons d’arrêt et la France pourrait bien finir par se faire sérieusement rattraper par la Cour européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, les délais de jugement s’allongent devant certaines juridictions, ce qui n’est satisfaisant pour personne : quel est le sens d’une peine prononcée à l’encontre d’un mineur désormais majeur, installé dans la délinquance profonde, et condamné depuis pour d’autres faits autrement plus graves ? Qu’en est-il pour un majeur, désormais installé dans une vie tranquille et responsable, qui n’a plus eu affaire à la justice depuis lors ? Quelle efficacité ? Aucune ! Mais quelle perte de temps !
S’agissant de l’emprisonnement, je soulignais l’année dernière, dans un rapport présenté à la commission des finances sur l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, que dans bien des domaines – trafic de drogues ou criminalité organisée, par exemple –, la saisie et la confiscation des biens étaient nettement plus efficaces qu’un séjour d’emprisonnement, d’ailleurs considéré comme un « risque du métier » par les auteurs de ces infractions.
Par ailleurs, en étudiant les modalités de financement des dépenses de santé des personnes détenues prises en charge par le ministère de la justice jusqu’à cette année, je me suis interrogé sur la fin de vie en détention, mais aussi sur la prise en charge de certaines maladies mentales.
Est-il vraiment efficace et digne d’enfermer des personnes grabataires ou relevant de maladies psychiatriques lourdes dans des établissements pénitentiaires inadaptés à leur pathologie et nécessitant une prise en charge par des personnels pénitentiaires parfois démunis ?
La réponse à ces questions ne passe pas d’abord par l’octroi de moyens supplémentaires, mais bien par une réflexion plus large sur la place de la justice dans la cité et le sens de la peine dans notre société.
À ce titre, si je suis favorable à la construction rapide de 15 000 nouvelles places de prison, il me semble indispensable d’adapter la taille comme la localisation des établissements à la diversité des profils qui s’y côtoient. Il faut bien admettre que tout cela va prendre du temps.
Nous le savons tous, les défis sont colossaux pour améliorer le fonctionnement de la justice. Mais à quoi bon voter la création de centaines de postes supplémentaires s’ils ne sont pas pourvus parce que les agents renoncent à leur concours en raison de conditions de travail trop difficiles ?
Mme la garde des sceaux a prévu plus de 1 000 postes supplémentaires en 2018 au sein du ministère de la justice, ce qui devrait contribuer à améliorer la situation des juridictions et des établissements pénitentiaires. Mais comment favoriser l’attractivité des métiers du ministère de la justice, en particulier celui de surveillants pénitentiaires ? Cette question me semble prioritaire.
Je sais que les questions indemnitaires sont au cœur du débat, mais, en visitant dernièrement le tribunal de grande instance de Bobigny, il m’a semblé que l’amélioration des conditions de travail, au sens large, devrait faire l’objet d’une attention particulière.
Les créations de postes de surveillants pénitentiaires prévues en 2018 permettront d’ouvrir de nouveaux établissements, mais pas de résorber les vacances de postes. Or cette vacance, dans un contexte de surpopulation carcérale, tend à dégrader encore davantage les conditions de travail des agents et contribue, comme dans un cercle vicieux, à réduire l’attractivité de ces métiers.
Par ailleurs, ce projet de loi de finances devrait ne constituer qu’une première étape dans un programme plus profond de transformation du fonctionnement de la justice. Certes, vous inscrivez 328 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 65 millions d’euros de crédits de paiement en faveur d’un plan numérique, mais ce chantier ne saurait, à lui seul, assurer le désengorgement des juridictions et la modernisation de la justice.
Nous attendons donc impatiemment la présentation de votre projet de loi de programmation de la justice pour évaluer la stratégie et mesurer le volontarisme du Gouvernement pour que l’augmentation continue des moyens ne constitue pas l’unique réponse aux dysfonctionnements et au malaise de la justice.
C’est donc un budget en demi-teinte que Mme la garde des sceaux nous présente pour 2018 : d’un côté, l’augmentation des moyens est indéniable, la priorité donnée à la transformation numérique et au recrutement de personnels me semble pertinente au vu de la situation actuelle et des défis à venir ; d’un autre côté, je m’interroge sur la capacité réelle du ministère à se transformer, à se moderniser et même à recruter. Peut-être votre projet de loi de programmation saura-t-il définitivement nous convaincre ?
Certaines économies prévues, notamment sur les frais de justice, me laissent dubitatif. J’espère sincèrement que la plateforme nationale des interceptions judiciaires, la PNIJ, permettra de réaliser les économies ambitieuses prévues.
S’agissant justement des économies, peut-être pourriez-vous nous préciser les projets ou les actions qui seront concernés par le « coup de rabot » de 9, 4 millions d’euros voté en seconde délibération par l’Assemblée nationale ?
Malgré des réserves et des doutes sur les points que j’ai évoqués précédemment, et bien consciente des lourdes contraintes qui pèsent sur le budget de la mission « Justice », la commission des finances est favorable à l’adoption de ces crédits.
Toutefois, ayant participé à l’audition de Mme la garde des sceaux par la commission des lois, le 29 novembre dernier, c’est-à-dire après le vote de l’avis de la commission des finances, je veux préciser que je regrette, à titre personnel, que la garde des sceaux ait annoncé revenir sur l’engagement du Président de la République de construire 15 000 places de prison avant la fin du quinquennat, alors que l’immobilier pénitentiaire a tant besoin d’être soutenu.