Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du 5 décembre 2017 à 21h45
Loi de finances pour 2018 — Justice

Photo de Nathalie DelattreNathalie Delattre :

Ce principe partagé, entrons dans le détail de ce que vous nous proposez.

Tout d’abord, s’agissant de la question de l’accès au droit et du fonctionnement de notre système judiciaire, malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, votre budget ne suffit pas à répondre à la situation catastrophique dans laquelle se trouvent aujourd’hui nos juridictions : situation d’engorgement des tribunaux, situation de manque de moyens matériels, situation chronique de fonctionnement ou, devrais-je dire plus exactement, de dysfonctionnement en sous-effectif.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes prêts à laisser au Gouvernement le temps nécessaire, mais l’expérience de Mme la ministre a déjà dû la convaincre de l’urgence.

Concernant la question de l’administration pénitentiaire, à comparer vos engagements de campagne avec leur traduction opérationnelle dans ce projet de loi de finances, on ne peut que constater l’abandon de l’objectif affiché de la construction de 15 000 places de prison.

Certes, j’ai bien noté le lancement des travaux de la prison de Bordeaux-Gradignan – je vous en remercie vivement. Il n’en demeure pas moins que l’horizon où l’on verrait se profiler la construction de ces places supplémentaires est bien incertain, d’autant plus depuis le discours du chef de l’État devant la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme, le 31 octobre dernier, annonçant la création d’une agence des travaux d’intérêt général.

Il est plus qu’incertain, également, car aucune loi de programmation ne vient graver ces investissements dans le marbre. Dans les faits, l’objectif n’est pas atteint.

Faut-il s’en alarmer ? Je ne le pense pas. À court terme, la construction de places de prison s’avère indispensable, car il est inhumain et indigne d’un pays comme la France d’atteindre un taux de densité carcérale de 117 % au 1er novembre 2017. À tel point que le Conseil d’État a reconnu que la situation dans les prisons françaises était si catastrophique que, pour certaines d’entre elles, on pouvait connaître des situations d’« atteinte à la vie privée des détenus » et des conditions « de nature à les exposer à un traitement inhumain ou dégradant ».

Mais, à long terme, est-ce que la construction de nouvelles places de prison résoudra tous les problèmes ? Évidemment non ! Il nous faut donc nous attaquer aux causes de cette surpopulation carcérale. C’est sur la raison même de l’emprisonnement qu’il nous faut nous interroger.

Pourquoi la prison ? Quelle finalité dans l’enfermement d’un individu, si ce n’est celle de suspendre sa liberté de circulation, afin de l’empêcher de nuire de nouveau ? C’est aussi lui infliger une peine pour lui donner à réfléchir et au final protéger la société.

Pourtant, dans la réalité des différents profils composant la population carcérale, certains individus ont surtout besoin d’être protégés d’eux-mêmes et de bénéficier de soins adaptés. Je fais référence aux cas psychiatriques, aux cas véritablement pathologiques. Est-ce que la place de ces personnes est en prison, ou bien dans des unités spécialisées adaptées à leur pathologie ?

Le problème est ancien, mais il est toujours, tragiquement, d’actualité. Dans un rapport remis en mai 2010, l’ancien président du groupe du RDSE, Gilbert Barbier, avec un certain nombre de ses collègues de la commission des affaires sociales et de la commission des lois, avait pointé du doigt la confusion qui règne en la matière. Il relevait que 10 % de la population carcérale n’avait strictement rien à faire en prison puisqu’il s’agissait d’individus souffrant des troubles mentaux les plus graves : schizophrénie, psychoses. C’est au total jusqu’à 30 % de la population carcérale qui pourrait faire l’objet d’une prise en charge psychiatrique spécifique. En cause : la division par deux depuis trente ans de la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale dans notre pays.

Dès lors, la tendance naturelle des experts a été de refuser d’accorder l’irresponsabilité pénale, afin d’éviter au maximum de mobiliser une place qui n’existait pas dans un hôpital ou un centre spécialisé. C’est ainsi que des milliers de personnes se sont retrouvées incarcérées, au mépris du bon sens et de la situation objective de leur état de santé.

Ma conviction sur le sujet est profonde : la prison n’est définitivement pas un lieu de soins. Ce n’est donc pas par les ajustements que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'État, que nous sortirons de cette situation absolument intolérable.

Quand je lis votre bleu budgétaire, je vois que vous souhaitez la « création, en partenariat avec le ministère de la santé, de locaux destinés aux services de psychiatrie au sein des unités sanitaires pour une meilleure prise en charge des détenus présentant des troubles mentaux. » C’est un bon début, et je le salue volontiers. Mais le combat sera véritablement gagné lorsque nous disposerons d’une palette complète de solutions à proposer au juge pour placer les individus qui le nécessitent dans les structures adaptées en dehors du milieu carcéral traditionnel.

En définitive, et compte tenu des réserves que j’ai pu exprimer, le groupe du RDSE s’abstiendra lors du vote de cette mission.

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