Monsieur le ministre, j’aimerais commencer en rappelant quelques chiffres dont vous avez connaissance.
L’année 2016 a été catastrophique pour l’agriculture française, avec un recul de la valeur ajoutée de près de 15 % en volume.
Depuis 2010, notre pays a perdu plus de 11 % de ses exploitations. Qu’on ne dise pas que le phénomène est inévitable : dans l’Europe des Vingt-Huit, si onze pays ont connu un recul du revenu supérieur à 10 %, dans dix-sept pays, en revanche, on constate une hausse, parfois très marquée, du revenu agricole. La France se retrouve donc du mauvais côté de la ligne, alors qu’elle avait encore, il y a peu, l’agriculture la plus puissante d’Europe.
Enfin, et là c’est un drame pour le pays, le nombre de suicides chez les agriculteurs a été multiplié par trois l’année dernière.
Le budget agricole pour 2018 était donc plus qu’attendu par la profession, qui ne cesse de lancer des cris d’alarme.
Or nous constatons que le premier budget agricole de la nouvelle mandature ne traduit en aucun cas la nécessaire prise de conscience de la très grande fragilité actuelle de notre agriculture. Nous sommes ici bien loin des grandes ambitions affichées par le nouveau Président de la République dans le cadre des États généraux de l’alimentation !
Ce qui nous est présenté n’est pas un budget, non, c’est un virtuel budgétaire !
Les crédits de paiement ouverts par la loi de finances pour 2017 s’élevaient à 3, 4 milliards d’euros. Ajoutez-y une bonne partie des 688 millions d’euros du collectif budgétaire de fin d’année 2016, et encore 1 milliard d’euros au titre du collectif que nous allons prochainement examiner, pour prendre la mesure de ce virtuel budgétaire – un virtuel que la majorité de la commission des finances avait posé dans une équation simple : le budget agricole relève de l’insincérité budgétaire.
Que dire d’autre d’un budget où coexistent systématiquement des dotations non dépensées et des dépenses non dotées ?
Le collectif de fin d’année parle de lui-même. Comme c’est désormais régulier, il présente, avec plus de 1 milliard d’euros, tous les caractères d’un budget agricole bis.
L’hypothèque qui grevait le budget de 2018 s’en trouvera quelque peu allégée. Mais nous ne croyons plus que cette nouvelle péripétie budgétaire suffise à purger l’ensemble des déficits de financement accumulés au fil du temps. La lancinante question de la sincérité budgétaire continue de se poser au regard des risques financiers nouveaux qui devraient se matérialiser en 2018.
Le Gouvernement fait valoir que, en inscrivant 300 millions d’euros au titre d’une réserve pour dépenses imprévisibles, le principe de sincérité budgétaire se trouve enfin respecté.
Assiste-t-on, pour autant, à une révolution de la sincérité ? Comment l’affirmer quand il semble, d’ores et déjà, que cette provision pour dépenses imprévisibles sera absorbée par des dépenses, hélas, tout à fait prévisibles, à commencer par les risques de refus d’apurement européen - un montant de 1 milliard d’euros a été évoqué ?
Plusieurs lignes sont déjà sous-dotées, nous pouvons le prédire sans trop nous avancer. Je veux vous parler ici des suites des contentieux avec les vétérinaires sanitaires, des concours à l’agriculture biologique, de l’impasse totale sur les conséquences budgétaires de situations difficiles, comme celles que connaissent certains laboratoires publics d’analyses…
En bref, les 300 millions d’euros de réserves pour dépenses imprévisibles risquent de se réduire à une simple ligne de comblement, au demeurant très insuffisante, des sous-dotations habituelles que nous réserve le budget agricole – des sous-dotations dont l’ampleur tend à s’élargir à mesure que la programmation de l’enveloppe du second pilier européen apparaît plus impossible à tenir.
Monsieur le ministre, est-il réellement acceptable de sortir de cette dernière impasse par un tour de passe-passe entre le premier et le deuxième pilier de la politique agricole commune, la PAC ?
Dans des conditions budgétaires à ce point délabrées, les véritables risques – ceux de l’exploitation agricole d’aujourd’hui, les risques économiques, les risques environnementaux – demeurent sans provision dans le projet de budget. C’est une raison de plus pour avancer vers une fiscalité plus propice à des mécanismes d’auto-assurance.
Nous avons appris, au détour de la discussion budgétaire à l’Assemblée nationale, que vous pilotiez un groupe de travail sur ce dernier sujet, et nous avons entendu le ministre de l’économie se déclarer prêt à y associer les parlementaires intéressés. Il est regrettable que notre Haute Assemblée, qui a tant travaillé sur ces sujets, n’ait pas été sollicitée. Je vous prie, monsieur le ministre, de bien vouloir réparer cet oubli.
Après les incertitudes, j’en viens au certain.
Ce qui est certain avec ce budget, c’est qu’il traduit un sérieux défaut d’ambition agricole.
Nous voulons souligner que les crédits de paiement sont en repli, alors même qu’ils sont gonflés par des factures héritées d’un passé parfois lointain, que la baisse est encore plus accusée en volume dans un budget qui néglige l’inflation, que le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles, le PCAE, subit une réduction drastique de ses crédits et n’a pas de remplaçant à ce jour.
Quant aux provisions destinées à la nécessaire modernisation des bâtiments d’élevage touchés par les crises aviaires à répétition, leur faiblesse est choquante. Et que dire des 5 millions d’euros de crédits supplémentaires prévus pour protéger les élevages contre les grands prédateurs ?
La question de la crédibilité de la parole publique sur les ambitions agricoles du pays se pose avec d’autant plus d’acuité que le projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques annonce une baisse de plus de 10 % des crédits à l’horizon 2020.
Enfin, pour conclure, nous devons améliorer les performances de notre administration agricole. J’en donnerai deux exemples.
Le premier concerne le domaine de la sécurité sanitaire de l’alimentation. La superposition des intervenants, la complexité des financements, la confusion des missions doivent être surmontées afin que nous disposions d’une meilleure intégration des forces et d’infrastructures tout à fait irréprochables.
Le second exemple concerne les paiements. Du fait des refus d’apurement, nous ne profitons pas de la totalité des enveloppes européennes. Nous devons, en revanche, mettre en place des systèmes extrêmement lourds à gérer pour les agriculteurs, avec les apports de trésorerie remboursables qui s’accompagnent de coûts financiers pour l’État, mais également de retards de paiement aux exploitants, eux dont les trésoreries sont déjà souvent sous très grande tension.