Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 7 décembre 2017 à 10h45
Loi de finances pour 2018 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce budget s’inscrit dans un contexte toujours plus difficile pour les agriculteurs, qui subissent la course aux prix bas et la multiplication de crises climatiques, sanitaires ou de marché. L’extrême fragilité des exploitations agricoles, quelle que soit la filière, perdure.

Les rapporteurs de la commission des finances parlent de « désagriculturalisation », en parallèle de la désindustrialisation de notre pays. C’est une expression dans laquelle nous nous reconnaissons, puisque nous n’avons cessé de dénoncer la disparition, au profit de véritables entreprises agricoles, des petites exploitations. Ainsi, l’INSEE soulignait, en mars 2017, « une décroissance très rapide du nombre d’exploitations avec une division de moitié [de leur] nombre ».

Dès lors, si les crédits de la mission sont en légère hausse, ce budget en trompe-l’œil ne répond pas aux menaces qui planent sur l’avenir des agriculteurs et qui nécessitent des mesures fortes en matière d’intervention publique, en premier lieu sur les prix, mais aussi en matière d’accompagnement vers des modèles de production plus durables et créateurs de plus de valeur ajoutée.

À l’heure où les aides européennes diminuent, et même si l’on fait abstraction des nombreux retards de paiement dont celles-ci souffrent, le compte n’y est pas, tant les moyens ne permettent pas de mettre en place une véritable politique alimentaire et une orientation réelle vers l’agroécologie.

Sans moyens adaptés, comment assurer une production de qualité sur tous les territoires, et comment assurer un revenu digne aux agriculteurs, objectifs prioritaires de la politique agricole ? Comment répondre aux défis que nous n’avons cessé de pointer – la préservation de l’environnement, la sécurité alimentaire, le renouvellement des générations, la préservation d’un modèle agricole familiale et la lutte contre ce fléau qu’est la spéculation foncière ?

Aujourd’hui, l’appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles est en baisse de près de 14 %, en autorisations d’engagement. De même, les lignes budgétaires consacrées à l’installation des jeunes agriculteurs baissent, tout comme celles du soutien aux coopératives d’utilisation de matériel agricole, pour ne prendre que quelques exemples.

Ainsi, à la lecture du bleu budgétaire et des différents rapports, il y a lieu de remettre en cause le modèle de soutien au secteur agricole qui se dessine, un modèle non de soutien budgétaire clair, orienté et volontariste, mais de soutien passant par le biais des prélèvements obligatoires. Comme le souligne le rapport de la commission des finances, « le poids des allégements de cotisations sociales dans les concours publics à l’agriculture n’a cessé d’augmenter au cours de la période [2013-2018] au point que, comptant pour un peu plus de 10 % des concours publics à l’agriculture il y a cinq ans, ils en représentent désormais près de 25 % ».

Or ce ne sont pas les bas salaires et les exonérations de plus en plus importantes qui permettront le sursaut et la transformation de notre modèle agricole. Nous devons travailler à un changement fondamental d’orientation permettant de mener, dans chaque filière, de nouvelles politiques, avec comme objectif la satisfaction des besoins et revendications des salariés et des petits et moyens agriculteurs.

Nous en sommes loin, car ce mouvement de retrait se dessine dans toute la politique de soutien direct de l’État en matière économique. Dès lors, cela a été maintes fois souligné, il est difficile d’entrevoir les lignes directrices du Gouvernement en matière agricole, et ce malgré les différentes annonces.

De plus, la structure même de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est de moins en moins lisible, comme le constatent des différents rapporteurs. Outre la modification permanente du périmètre de la mission, la suppression de certains programmes, tel le programme 149 relatif à la forêt, le budget dont nous discutons aujourd’hui connaîtra certainement, comme tous les ans, de véritables modifications entre la phase de programmation et la phase d’exécution.

En ce qui concerne le service public de la sécurité alimentaire, le projet de loi poursuit la politique destructrice des gouvernements précédents, sur fond d’austérité renforcée. La restructuration tant des services du ministère de l’agriculture que de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, n’est pas remise en cause. Pourtant, l’alimentation, la sécurité alimentaire et la traçabilité devraient être des axes essentiels de notre politique ; cela est indispensable et c’est attendu des consommateurs comme des agriculteurs eux-mêmes.

Enfin, si nous apprécions les efforts budgétaires en matière de formation, nous ne pensons pas qu’il faille transformer les agriculteurs en manageurs, comme cela s’est entendu lors des débats à l’Assemblée nationale. La situation de l’agriculture française ne trouve pas son origine dans un manque de compétences, mais plutôt dans un coût de production qui n’est plus couvert par les prix de vente, et dans un rapport plus qu’inégalitaire entre agriculteurs et grande distribution.

Vous le comprendrez, mes chers collègues, nous partageons les conclusions de la commission des affaires économiques. Ce budget n’est pas à la hauteur des attentes et des annonces qui ont été faites lors de l’ouverture des États généraux de l’alimentation ; il n’est pas plus à la hauteur des défis que représentent les négociations commerciales en cours à l’échelon européen ; il n’est pas davantage à la hauteur des attentes d’un monde agricole dévasté par les crises successives et par le choix du libéralisme en matière agricole.

Nous voterons contre les crédits, en l’état, de la mission, et nous serons attentifs aux différents amendements soutenus, car ceux-ci, même s’ils se confronteront au problème des gages, pointent de vraies questions.

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