Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce sont les Français qui le disent : à chaque fois qu'ils sont interrogés, ils soulignent tout l'attachement qu'ils portent à leurs élus locaux, ces élus de terrain, ces élus qu'ils côtoient, ces élus qui savent prêter l'oreille à leurs souhaits, dialoguer, débattre.
Le comble serait que ce soit la République qui oublie ses élus locaux !
Dans le contexte actuel de réformes institutionnelles, voulues par le Président de la République, il est temps de leur donner toute la place qu'ils méritent. Il est temps de réfléchir aux perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local.
Les attentes sont fortes. Des évolutions rapides sont nécessaires. Nos concitoyens le souhaitent. Les élus les attendent. L'Observatoire sénatorial de la décentralisation le rappelle chaque jour.
Ce domaine conditionne largement le fonctionnement de notre démocratie.
À la demande de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, l'institut TNS-SOFRES a effectué une enquête auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux - maires de petite commune, de grande ville, présidents de conseil général, présidents de conseil régional - sur la mise en oeuvre de la décentralisation ainsi que sur l'évolution des relations entre l'État et les collectivités territoriales.
Les conclusions de cette enquête sont claires. On note une adhésion massive des élus au principe de décentralisation. Mais, en même temps, ceux-ci parlent d'une crise de légitimité, d'une crise de confiance entre les élus et l'État, ainsi que d'une grande inquiétude quant à l'avenir du financement des collectivités locales.
Près de 80 % des élus se déclarent attachés au principe de la décentralisation et, au même moment, expriment une profonde insatisfaction quant à leur « statut », à leur reconnaissance, à leur légitimité, à leur protection sociale, à leur régime de responsabilité pénale, à leurs conditions de travail. Selon eux, c'est l'absence de statut qui constitue leur statut !
Lors de la préparation de notre rapport sur l'émancipation de la démocratie locale, l'Observatoire a pris la mesure du retard français en matière de décentralisation et d'autonomie locale. L'étude des expériences européennes, ainsi que les contacts directs noués sur place, en province, avec des élus allemands, italiens et espagnols, ont montré le chemin que la France a encore à parcourir.
La route est encore longue. Cette route est à la mesure du temps qu'il a fallu à la France pour ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale qu'il faut maintenant mettre en oeuvre.
Je rappelle que j'ai dû intervenir au nom de l'Observatoire, et à plusieurs reprises, pour que cette ratification ait lieu au mois de mai 2007, près d'un an après la loi du 10 juillet 2006 autorisant la ratification, et ce alors que notre signature du traité datait du 15 octobre 1985, soit près de vingt-deux ans auparavant !
À qui cette charte faisait-elle donc si peur ? Les tenants du jacobinisme ne veulent décidément rien lâcher !
Cette charte, signée par la quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe, indique notamment que l'autonomie locale est « le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité, et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». Quels obstacles insurmontables !
Ces responsabilités locales doivent être « exercées par des conseils ou des assemblées, composés de membres élus au suffrage libre, secret, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux ».
Il nous a fallu vingt-deux ans pour accepter définitivement ces textes ! Cela montre combien sont grandes les réticences s'agissant de l'adhésion à ces principes fondamentaux.
Nous avons donc maintenant entre nos mains des outils, un état des lieux et des expériences comparées. Le moment est venu de réformer.
Je me permettrai de rappeler les principales propositions formulées par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation.
En ce qui concerne la clarification des compétences entre les collectivités territoriales, la question « qui fait quoi ? » n'a toujours pas trouvé de réponse évidente pour les élus et, a fortiori, pour nos concitoyens, qui continuent à patauger dans le maquis des administrations.
La poursuite de la clarification des compétences de chaque niveau d'administration locale apparaît donc comme une nécessité. Il est essentiel que les citoyens puissent, notamment, mieux identifier le rôle de chacun des exécutifs. Cet effort de simplification devrait également s'accompagner d'une stricte limitation des financements croisés, qui entretiennent la confusion sur les responsabilités de chacun. Ces incertitudes brouillent l'image et affaiblissent la légitimité des élus.
Or il convient de renforcer la légitimité des exécutifs locaux en recourant à un mode plus direct de désignation.
Avec la décentralisation, les exécutifs locaux exercent des responsabilités lourdes. Ils en assurent les risques avec courage et compétence. Ils les assurent dans des conditions difficiles, devant une opinion publique prompte à réagir, souvent sans bien connaître les difficultés de l'élu dans la conduite de plus en plus difficile des dossiers - j'ai cette expérience et ce recul ! -, avec un État plus enclin, aujourd'hui, à contrôler qu'à accompagner.
Le renforcement de la légitimité des élus pour leur permettre d'exercer pleinement leur mission est indispensable. Cette évolution serait dans la logique de la Ve République.
Dans un cadre qui repose, pour l'essentiel, sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, les exécutifs locaux sont actuellement désignés selon des modalités qui se rattachent plus aux usages et moeurs de la IIIeou de laIVe République.
Sur le terrain de l'administration locale, la France a une République de retard. Elle risque, du coup, de ne plus être en phase avec le pays réel.
Si une telle réforme était envisagée, deux branches d'une alternative s'offriraient à nous : l'élection au suffrage universel direct des exécutifs et la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste.
La première solution consisterait, comme en Allemagne, en Italie, bientôt en Espagne et dans la plupart des pays de l'Union européenne, à élire les exécutifs locaux au suffrage universel direct. Les électeurs seraient ainsi amenés à voter deux fois : une fois pour élire l'exécutif et une autre fois pour élire les conseillers de l'assemblée délibérante. Une telle distinction entre les modalités d'élection de l'exécutif local et des membres du conseil élu pourrait constituer une première étape d'une séparation des fonctions exécutive et délibérative.
En France, le président du conseil général et le président du conseil régional, élus au scrutin uninominal, pourraient être désignés selon ce mode direct, comme on le fait dans les provinces en Espagne, dans les Kreise en Allemagne, dans les comtés au Royaume-Uni, et pratiquement dans tous les pays de l'Union européenne. Bien évidemment, pour les départements, la circonscription cantonale resterait le cadre de l'élection des conseillers. On reproduirait au niveau départemental ou régional ce qui se passe au niveau national dans le cadre de la Ve République.
La seconde solution - la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste -, retenue par quelques pays, consisterait à préserver notre traditionnel scrutin de liste aux élections municipales et régionales en prévoyant, comme dans certains pays, que la tête de liste gagnante deviendrait automatiquement maire ou président du conseil régional.
Par ailleurs, pour éviter de refaire une élection en cas de démission de l'exécutif, il pourrait être utile et plus clair, dans cette logique, de prévoir que l'exécutif local démissionnaire soit remplacé par le suivant de la liste. Pensez à ce qui s'est passé dans certaines villes du Sud, à Toulouse, à Montpellier et à Bordeaux... Les électeurs ont-ils été consultés quand le maire s'est retiré ? Effectivement, à Bordeaux, on a remis les choses au clair. Sans développer, je dirai qu'il s'est passé un certain nombre de choses sans que personne réagisse. Pour moi, ce sont de vrais problèmes auxquels il faut quand même apporter une réponse.
J'en viens au cumul d'une fonction exécutive locale avec une fonction ministérielle.
Les Français sont de plus en plus conscients qu'il n'est pas possible pour une même personne d'assumer deux charges aussi importantes que celle de membre du Gouvernement et celle d'une importante fonction exécutive locale. Voilà pourquoi le non-cumul pourrait être proposé.
Quant à la pratique du cumul entre des fonctions exécutives qui requièrent une mobilisation à temps plein et un mandat de parlementaire, les progrès de la décentralisation ont radicalement changé la nature même de la mission des exécutifs locaux.
Il ne s'agit nullement de transformer les parlementaires en élus « hors sol », tant il est bon qu'un sénateur ou un député ait l'expérience du mandat local que procure un mandat de conseiller municipal, général ou régional.
En revanche, il ne me semble plus possible, comme je viens de le dire, de cumuler des mandats nationaux ou européens avec des fonctions exécutives locales - maire d'une grande ville, notion dont le seuil reste à déterminer, président de conseil général ou président de région - qui doivent être exercées maintenant à temps plein.
Tout cela, je l'ai personnellement un peu vécu. Avant la décentralisation, j'ai en effet été élu président du conseil général du « petit » département de l'Aveyron.