Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le budget pour 2018 de la mission « Économie » s’inscrit dans une trajectoire qui conjugue notamment deux objectifs étroitement liés : le redressement économique et productif de la France ; la contribution à la restauration progressive des comptes publics de la nation. À cet égard, il s’inscrit dans la continuité du précédent.
Je ne reviendrai pas sur le niveau des crédits des quatre programmes, pour lesquels on constate une certaine stabilité. Mon propos sera plutôt centré sur la question de la place et du rôle de l’État dans la politique industrielle dont notre pays a besoin pour retrouver le rang et les emplois qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Sur la question majeure de la place de l’industrie dans notre production, nous partons de loin. La régression de la production industrielle au cours des décennies passées a été considérable, se traduisant par la perte de plus de 3 millions d’emplois depuis 1980.
Après avoir cru, pendant plus de trente ans, que les pays industrialisés s’acheminaient tous vers une société postindustrielle, dans laquelle les activités de services supplanteraient les activités de production, on constate aujourd’hui l’émergence d’un modèle hyperindustriel, fondé sur la convergence de la productique, du numérique et des services, les coûts très bas du transport maritime engendrant la spécialisation des productions et la reconfiguration des chaînes de valeur à l’échelle du monde.
Dans ce contexte de mondialisation, et donc de concurrence exacerbée, la question de fond est celle de la définition de la stratégie industrielle que le Gouvernement entend mener pour relever les grands défis de la compétitivité et de l’emploi.
C’est l’objet du programme 305, « Stratégie économique et fiscale », et du programme 134, « Développement des entreprises et régulations », dédié au soutien aux entreprises qui s’adaptent aux modes collaboratifs, lesquels prévalent désormais pour rester dans la course.
Sur la question de la transformation des filières, en quoi, madame la secrétaire d’État, votre action se distingue-t-elle de la politique mise en œuvre depuis la sortie du rapport Gallois, qui avait dressé le constat d’un décrochage industriel de la France ? Cette politique s’était traduite par la démarche dite de « nouvelle France industrielle », déclinée initialement sous la forme de trente-quatre plans regroupés en neuf « solutions industrielles » et un projet « Usine du futur ». Je n’oublie pas non plus l’instance de partage que permet l’alliance « industrie du futur ». Quelle appréciation portez-vous sur l’écosystème qui a été mis en place dans notre pays avec les industriels eux-mêmes ? Ces industriels nous disent, quand nous les rencontrons, qu’ils ont besoin de stabilité et de visibilité s’agissant des mesures qui leur sont appliquées. Quelle valeur ajoutée le Gouvernement entend-il apporter par rapport à ce qui existe aujourd’hui et qui produit des résultats encourageants ? Quelle place, forcément nouvelle, l’État doit-il prendre dans ce contexte ? Doit-il se limiter au développement de politiques fiscales et d’allégement des charges, comme le donne à penser le projet de budget pour 2018, ou doit-il aller plus loin ?
Personnellement, je crois qu’il faut aller plus loin dans le soutien à l’organisation industrielle du futur et à la montée en gamme de l’offre. L’État ne peut se borner à agir sur la compétitivité-coût, qui n’est qu’un aspect de la problématique de la compétitivité.
Par ailleurs, on peut se demander quelle politique de soutien l’État entend mener à l’endroit de l’économie industrielle de nos territoires, souvent ruraux, souvent structurés en pôles de compétitivité, étant donné le très faible niveau des crédits qu’il est prévu de lui consacrer dans ce projet de budget. Cette ligne budgétaire connaît même une baisse de 1 million d’euros…
Le ministre de l’économie et des finances, auditionné par notre commission, a évoqué le concept d’« État stratège ». Qu’entendez-vous concrètement par cette notion ?
À cet égard, nous avons besoin d’une clarification de la doctrine du Gouvernement en matière de participation de l’État au capital des entreprises œuvrant dans des domaines relevant de l’intérêt général et de la souveraineté nationale. L’audition récente de M. le ministre de l’économie et des finances par la commission des affaires économiques, à propos notamment d’Alstom et de STX, ne nous a pas permis de comprendre où l’État veut aller en la matière. Il ne faudrait pas que, à terme, l’État qui se veut « stratège » se transforme en spectateur ou en commentateur de décisions prises par d’autres, au détriment de notre souveraineté et de nos emplois.
À partir de 2012, l’État s’est doté d’une doctrine en matière d’actionnariat, qui vise, pour les « entreprises jouant un rôle stratégique pour l’intérêt national, […] à protéger les intérêts économiques et patrimoniaux du pays en veillant à la mise en œuvre d’une stratégie économique, industrielle et sociale exemplaire, garante de la préservation sur le territoire national des emplois et des compétences ».
Cette doctrine a été confortée par l’instauration du droit de vote double, qui permet de renforcer le rôle de l’État au sein des entreprises. Une nouvelle gouvernance des entreprises à participation publique a aussi vu le jour, permettant de doter l’État de plus grandes capacités d’influence dans les sociétés dont il détient une majorité du capital.
Aujourd’hui, la vente de 10 milliards d’euros de titres va diminuer drastiquement les actifs de l’État. Au bénéfice de qui interviendra cette cession massive de titres ? Quelle recette financière procurera-t-elle au budget de l’État, sachant qu’actuellement le rendement de ces actifs est supérieur à celui des marchés ?
Quant au fonds de soutien à l’innovation, qu’une partie de ces recettes de cession est censée alimenter, comme le souligne le rapport pour avis d’Alain Chatillon sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », il devrait financer l’innovation à hauteur de 200 millions à 300 millions d’euros. L’État dépense par ailleurs 8, 5 milliards d’euros, dont 2, 2 milliards d’euros hors dépenses fiscales. L’ordre de grandeur n’est pas du tout le même. On ne comprend pas quelle nécessité il y aurait de céder ces 10 milliards d’euros d’actifs.
On voit, par cet exemple, qu’il y a un grand besoin de clarification de la doctrine de l’État en matière de participation au capital, dans le cadre de la stratégie de développement économique qu’entend mettre en œuvre le Gouvernement.
D’autres points mériteraient d’être abordés, mais je conclurai en disant que, compte tenu des incertitudes qui pèsent pour l’instant sur la stratégie que le Gouvernement compte développer en matière économique, nous nous abstiendrons sur les crédits de cette mission.