Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 7 décembre 2017 à 15h00
Loi de finances pour 2018 — Outre-mer

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel :

Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comment parler de cette mission lorsque l’on a été soi-même ministre des outre-mer ? L’exercice est difficile !

Les premiers exercices budgétaires d’un quinquennat sont toujours des symboles, on le sait. Ils concrétisent des engagements de campagne, traduisent une volonté et dessinent une vision.

Aujourd’hui, le budget des outre-mer est à mon sens le symbole d’une résignation, le symbole d’un désengagement, celui du Gouvernement et de l’État.

Madame la ministre, je ne me présente à cette tribune ni en nostalgique, ni en cynique, ni en aigri, parce que je connais la difficulté de l’exercice, parce que je me refuse à verser dans la critique systématique, et donc stérile, mais surtout parce que je souhaite sincèrement la réussite de ce quinquennat pour les outre-mer.

Je fais partie des rares parlementaires qui ont gardé le silence jusqu’ici sur l’action gouvernementale, sauf à propos de l’organisation des secours à Saint-Martin. L’occasion m’est donnée aujourd’hui de m’exprimer.

Depuis plusieurs mois, j’observe, comme sœur Anne, sans jamais rien voir venir. Loin d’être en marche, nous sommes à l’arrêt, dans l’attente des assises. Votre premier acte concret et tangible pour nos territoires, c’est donc ce projet de budget.

J’ai pour habitude d’être direct, franc et responsable, même si je suis trop souvent tenu par les liens de l’amitié. Je ne me présente pas en juge de l’action d’un gouvernement dont je partage par ailleurs certains choix politiques. Je me dois cependant d’être honnête en affirmant que ce budget est décevant. J’y reviendrai.

En préambule, je tiens cependant à faire part d’un ressenti, madame la ministre. Je dois vous dire que les mots sont une arme, et que les mots blessent.

Au-delà de l’inaction manifeste, la rhétorique de l’État est progressivement devenue offensante. Je vous ai écoutée avec attention, et je sais que vous prônez désormais la frugalité comme philosophie de l’action publique outre-mer. Oserez-vous donc dire que les outre-mer n’en feraient pas assez avec trop ? Que nous gérerions l’abondance ? Que nous vivrions au-dessus de nos moyens ?

Vous qui connaissez parfaitement les outre-mer, comment pouvez-vous nier la nécessité d’un État interventionniste outre-mer ? Comment faire semblant d’ignorer que, au vu des enjeux et des besoins, la politique de l’État outre-mer est largement sous-dimensionnée ?

Oui, j’ai le sentiment tenace que le langage évolue et que cette évolution n’est pas anodine ; elle est signifiante. J’ai le sentiment que les mots « vie chère », « lutte contre la rente » ont disparu du vocabulaire gouvernemental, que, au lieu de parler de convergence, et donc de vision de long terme et de trajectoire concertée, stabilisée et sécurisée, on renvoie le traitement de tous les problèmes à des assises qui prennent de plus en plus la forme d’appels à projets pour les premiers de cordée ultramarins…

Connaissant votre engagement et mesurant votre poids politique, j’ai donc la triste impression que des arbitrages ont été perdus, qu’une logique exclusivement comptable de redressement de la prétendue hubris budgétaire outre-mer a présidé à l’élaboration d’un budget atrophié, à l’ambition minimaliste : en somme, la frugalité comme ligne directrice d’une politique !

Nous ne sommes pas dupes des chiffres qui nous sont présentés. Nous demandons simplement de la transparence et de la sincérité sur les grands équilibres financiers de ce budget.

Votre ministère prétend bénéficier d’une hausse de crédits de 4, 4 %. Nous affirmons que ce budget accuse une baisse de 0, 51 % en crédits de paiement et de 1, 5 % en autorisations d’engagement. Une fois n’est pas coutume, les affichages budgétaires nominalistes abusent d’artifices de périmètre.

Prétendant vous inscrire dans une démarche de sincérité budgétaire, vous fondez la hausse de votre budget sur une exécution budgétaire ayant entériné le transfert de crédits à d’autres ministères, pour un montant de 90, 4 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 82 millions d’euros en crédits de paiement.

Pour être tout à fait sincère, vous auriez dû aller au bout de cette logique en transférant les quelque 87 millions d’euros qui figurent dans la mission « Outre-mer » au budget de l’éducation nationale. Au lieu de cela, vous créez une ligne budgétaire pour la construction d’écoles, de collèges et de lycées à Mayotte, en Guyane et en Polynésie, dotée de plus de 50 millions d’euros !

Je dis cela pour faire comprendre que, encore une fois, nous allons voter un budget qui sera certainement amputé par décrets d’annulation de plusieurs millions d’euros d’ici à quelques mois.

Au-delà de cette baisse, ce budget est l’illustration d’une philosophie budgétaire globale promue par le Gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, une philosophie du rabot, du court terme, par laquelle on tend à demander à tous les mêmes efforts. On demande notamment aux ménages, pour mieux financer les entreprises. Or, vous le savez, traiter à l’identique des situations différentes constitue une discrimination.

Pis, à la lecture du rapport de notre collègue Georges Patient, j’apprends que « sur le triennal 2018-2020, les crédits augmenteraient de 0, 5 % en valeur, contre une augmentation de 3 % en moyenne pour les missions du budget général. En volume, les crédits devraient connaître une baisse de 2 %. » Ce budget frugal, le premier du nouveau monde, n’est donc que la première étape d’un désengagement programmé de l’État dans nos territoires.

Cette trajectoire mortifère est d’autant plus inacceptable que l’État, je le rappelle, s’est engagé à hauteur de plus de 1 milliard d’euros en faveur de la Guyane, qu’une loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer a été votée à l’unanimité par le Parlement et en accord avec tous les membres du gouvernement de l’époque, dont vous faisiez partie, madame la ministre, et que le Président de la République s’est lui-même engagé sur plusieurs milliards d’euros.

Dès lors, madame la ministre, comment puis-je voter un budget qui consacre la baisse des crédits destinés à la mobilité ? Comment puis-je voter un budget qui réduit de plus de 300 000 euros les crédits du plan Séisme ? Sur ce point, je demande de la clarté : on nous dit que cette baisse doit être relativisée, puisque les crédits du fonds national augmenteraient.

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