Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 7 décembre 2017 à 22h10
Loi de finances pour 2018 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « la jeunesse n’est qu’un mot », disait Bourdieu. Nous nous accorderons tous en tout cas à dire qu’elle est une chance.

D’abord, parce qu’elle est extrêmement diverse : ses origines multiples, qu’elles soient sociales, culturelles ou géographiques, sont autant d’ouvertures au monde, de projets en devenir foisonnants, de lendemains prometteurs qui ne ressembleront pas aux constructions d’hier.

Ensuite, elle reste, dans son ensemble, profondément volontariste et lucide. Malgré certains discours ambiants, où ne jaillissent que nostalgie et angoisses quant à l’avenir, elle résiste, elle s’adapte et plonge dans le présent ainsi que dans le futur, cette « parcelle plus sensible de l’instant », comme l’écrivait Paul Valéry.

Si 78 % des jeunes sont aujourd’hui optimistes quant à leur devenir, ils sont en revanche majoritairement pessimistes sur les sujets qui touchent le monde. Ils ont conscience des problèmes actuels. D’ailleurs, nombre d’entre eux y font face ; ils acceptent le monde tel qu’il est et sont prêts à l’affronter.

S’il y a tant d’initiatives de la part de notre jeunesse, que ce soit dans les domaines de l’entreprise, des arts, du sport, de l’environnement ou de l’engagement, c’est grâce à ce réalisme et à cet optimisme de la volonté, qui nourrissent ce désir de transformer le monde, de l’améliorer, de mieux vivre tout simplement. Albert Camus écrivait que « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde ». Si une partie de la jeunesse est en capacité de le faire, une autre n’a même pas la possibilité de s’y projeter.

Au fond, ce n’est pas une affaire d’ancien ou de nouveau monde. C’est plutôt une affaire de sens. Quel sens donner au monde ? Quel sens donner à ses propres engagements ? Je crois que les jeunes générations ont une conscience particulièrement aigüe et se posent constamment ces questions. Probablement est-ce cette quête permanente de sens qui les conduit à imaginer, concevoir et entreprendre tant d’initiatives, sans être tétanisés d’emblée par le risque d’échec.

C’est pourquoi nous avons une responsabilité collective envers la jeunesse, et je dirai même envers toute la jeunesse : celle de lui offrir les meilleures conditions pour apprendre, comprendre et réaliser ses projets. En un peu moins de quarante ans, la France a réussi son pari d’amener nombre d’élèves d’une même classe d’âge au baccalauréat, le taux de réussite passant de 64 % en 1980 à presque 90 % en 2017.

Naturellement, cette massification de l’enseignement secondaire, ajoutée au baby-boom des années 2000, se reporte sur l’enseignement supérieur, si bien que l’un des plus grands défis auquel est aujourd’hui confrontée la Nation est sa capacité à accueillir, à former convenablement tous les jeunes qui désirent légitimement poursuivre leurs études et à les insérer dans la société.

Il faut le rappeler, le droit d’accès à l’enseignement supérieur demeure un principe cardinal, qui est à réaffirmer. Or la situation présente n’est pas satisfaisante. Outre les chiffres qui ont été rappelés par mes collègues et qui témoignent de l’essoufflement de notre modèle, il faut ajouter la pratique injuste du tirage au sort et certaines conditions d’accueil inacceptables, par manque de places. Ce constat nous fait comprendre qu’il n’est plus possible de poursuivre dans cette voie.

Madame la ministre, vous avez présenté la réforme que vous souhaitez mettre en œuvre afin de favoriser la réussite étudiante. Je ne m’y appesantirai pas, dans la mesure où nous débattrons prochainement, c’est-à-dire au début de l’année prochaine, de ce projet de loi dans l’hémicycle.

En revanche, j’attire votre attention sur un constat partagé par nombre d’acteurs universitaires, et en particulier le président de la Conférence des présidents d’université, selon lequel « le projet de loi de finances pour 2018 ne peut être, en l’état, considéré à la hauteur des enjeux par les universités. »

Certes, le Gouvernement effectue un effort en augmentant les crédits affectés à l’enseignement supérieur d’environ 1, 5 %, soit 190 millions environ, complétés, à l’Assemblée nationale, par l’ouverture de crédits, à hauteur de 15, 5 millions d’euros, en faveur des formations supérieures et de la recherche universitaire. Néanmoins, cette hausse est malheureusement en deçà des 250 millions d’euros qui seraient nécessaires en vue d’accueillir décemment de 30 000 à 40 000 nouveaux étudiants.

Plus substantielle à moyen terme, la démographie étudiante, particulièrement dynamique cette dernière décennie, avec 300 000 étudiants supplémentaires depuis 2007, restera très vigoureuse, puisque les projections font état d’une augmentation de 300 000 élèves d’ici à 2025.

Autrement dit, il se révèle primordial que les moyens alloués à l’université continuent de croître intensément pendant cette période. Je doute que le milliard d’euros annoncé pour financer votre réforme, sur l’ensemble du quinquennat, soit suffisant… Si tel n’est pas le cas, la responsabilité collective que j’évoquais en introduction, et qui a pour finalité de créer un environnement propice au succès de nos étudiants, commandera de trouver des financements supplémentaires. Quoi qu’il en soit, la réforme et l’accroissement des effectifs ne doivent pas peser sur le budget de fonctionnement des universités, déjà notoirement mis à mal.

Par ailleurs, notre jeunesse est attachée à la promesse méritocratique. Les bourses sur critères sociaux ont connu une hausse continue lors du précédent quinquennat et sont encore en progression cette année. Veillons donc à ne pas en diminuer le nombre dans les années qui viennent.

Pour autant, les inégalités sont toujours patentes. En effet, si le taux d’élèves boursiers atteint 40 % en première année dans certaines universités, il n’est plus que de 10 % à 12 % en master. Cette statistique n’est pas si surprenante : elle n’est que la continuité de l’étude PISA, qui conclut que notre système éducatif, sans être déficient, est le plus inégalitaire parmi ceux de l’OCDE. Une politique éducative de rééquilibrage, qui part du primaire jusqu’au supérieur, est donc impérieuse.

En corollaire, le plan pour la vie étudiante que vous avez décliné, madame la ministre, a le mérite de s’attaquer à certaines barrières susceptibles d’empêcher les étudiants de suivre le cursus voulu : le logement, la santé, la complexité à concilier études et emploi rémunéré, enfin la mobilité, facteur vraisemblablement le plus discriminant et le plus violent.

Quant à la recherche, elle constitue bien sûr les promesses de demain. Depuis les travaux de l’économiste Paul Romer, l’importance de la recherche pour la croissance, le développement et le rayonnement d’un pays est démontrée. À l’heure où l’économie et la société sont de plus en plus régies par la connaissance, ainsi que par l’exploitation de données, la recherche a un rôle encore plus fondamental.

D’ailleurs, la stratégie Europe 2020 incite chaque État de l’Union européenne à consacrer 3 % de son PIB à la recherche. En France, l’investissement intérieur se situe encore aux alentours de 2, 3 %, mais félicitons-nous que le budget pour 2018 de la recherche croisse d’environ 3, 5 %.

Certaines baisses nous interpellent. Ainsi, la recherche culturelle et la culture scientifique accusent une baisse de 6, 2 % de leurs crédits. Parmi les objectifs de ce programme figure en particulier la promotion auprès du public de la culture scientifique, technique et industrielle, la CSTI, singulièrement par l’intermédiaire d’Universcience, dont le budget diminue dans le cadre de ce projet de loi de finances.

La CSTI n’échappe plus aux remises en cause postmodernes et aux campagnes de désinformation. Par exemple, il est intéressant de citer les polémiques incessantes autour du réchauffement climatique ou de l’efficacité des vaccins. Ainsi la stratégie nationale de CSTI, portée avec volontarisme par notre ancienne collègue Dominique Gillot, a-t-elle pour objet d’améliorer l’accessibilité et la diffusion de cette culture. Elle cible la population française dans son ensemble, mais se focalise principalement sur un public prioritaire, les jeunes de 3 ans à 20 ans.

Parmi les thématiques transversales retenues, je citerai notamment l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon moi, si la CSTI est un enjeu scientifique essentiel, elle est aussi devenue un enjeu éducatif et sociétal.

L’accès aux savoirs et leur diffusion passent par les bibliothèques universitaires. Mes chers collègues, vous connaissez mon attachement aux bibliothèques, quelles qu’elles soient. Lors de nos échanges en commission, vous avez expliqué, madame la ministre, les raisons de l’effritement du plan Bibliothèques ouvertes +. Parallèlement, vous avez soutenu l’idée de faciliter l’emploi des étudiants dans les bibliothèques universitaires. Sur ce sujet, peut-être pourrait-il y avoir des dispositions législatives au sein du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ?

Enfin, je suis convaincue que l’avenir de la recherche est éminemment européen. Les États qui investissent le plus dans la recherche et le développement font émerger des champions pointus à l’extrême dans leur domaine de compétences. La coopération européenne existe déjà, avec le laboratoire européen pour la physique des particules, le laboratoire européen de biologie moléculaire ou encore l’agence spatiale européenne, qui en est peut-être l’illustration la plus aboutie.

Pour autant, il serait probant d’aller plus avant dans cette coopération. Tout d’abord, la mutualisation des ressources humaines et financières accélère le processus de recherche. Ensuite, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, qui irrigue tous les secteurs d’activité, il pourrait s’avérer pertinent de coordonner les efforts de recherche à l’échelle européenne, afin d’éviter que des pays n’investissent massivement dans les mêmes directions et n’aboutissent aux mêmes découvertes. Piloter les spécialisations aurait la vertu de faire émerger des champions européens par domaine d’activité.

Madame la ministre, vous avez conforté, voire fait progresser, deux budgets essentiels qui représentent l’avenir de la Nation. Si nous soutenons votre ambition pour l’enseignement supérieur, nous restons néanmoins perplexes quant à l’adéquation des moyens avec cette ambition. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra.

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