Intervention de Martial Bourquin

Réunion du 6 décembre 2017 à 21h45
Loi de finances pour 2018 — Remboursements et dégrèvements

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » s’illustre par l’incertitude et la confidentialité qui l’entourent. Cette incertitude et cette confidentialité conduisent progressivement à dessaisir le Parlement de son pouvoir de contrôle sur la stratégie de l’État.

Le chiffre annoncé de 5 milliards d’euros au titre des recettes de ce compte d’affectation spéciale, à l’instar de ces dernières années, est plus qu’hypothétique. Cependant, nous pouvons constater un infléchissement qui nous paraît extrêmement préoccupant.

Cet infléchissement est doublement perceptible : à la fois dans les déclarations du ministre de l’économie et des finances, mais surtout, dans ses dernières décisions. Ainsi, Bruno Le Maire déclarait au mois de juillet dernier : « À partir du mois de septembre, nous allons céder des participations non stratégiques de l’État dans un certain nombre d’entreprises publiques. » Encore faut-il, madame la secrétaire d’État, avoir la même définition du terme « stratégique » et permettre un véritable débat démocratique au sein du Parlement ! En effet, le recentrage du portefeuille des participations de l’État implique que le Gouvernement précise sa conception de l’État stratège. Or toute redéfinition du périmètre de l’État actionnaire ne saurait intervenir sans un véritable débat au Parlement, sauf à ce que le pouvoir de contrôle du Parlement soit complètement mis sous tutelle.

Ces cessions, selon le ministre, devraient atteindre 10 milliards d’euros pour permettre le financement de l’innovation et, plus précisément, de l’innovation de rupture.

À cet égard, permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de souligner ici un premier aspect de cette stratégie. Cela reviendrait en effet à céder 10 % du portefeuille de l’État pour abonder un dispositif qui représenterait 2 % des montants consacrés chaque année à l’innovation. De même, ce serait ignorer que ces cessions consistent pour l’État français à se priver de dividendes qui, entre 2012 et 2016, s’élevaient à 3, 26 milliards d’euros, versés au budget général. À titre de comparaison, les crédits prévus dans le projet de loi de finances pour 2018 pour la mission « Relations avec les collectivités territoriales » s’élèvent à 3, 66 milliards d’euros.

Le ministre a récemment décidé de céder le 5 septembre dernier 4, 5 % du capital d’Engie, puis le 2 novembre dernier 4, 73 % du capital de Renault. Ces cessions ont été présentées comme les premières étapes du plan de cession d’actifs.

Une première question peut se poser : si 1, 5 milliard d’euros provient de ses deux récentes cessions, il reste à savoir où trouver les 8, 4 milliards pour alimenter ce fonds pour l’innovation. Ce sont des entreprises publiques qui risquent d’être directement visées. Aussi, nous voudrions en savoir plus avant de voter ce chapitre important du budget de la nation.

Outre ce fonds, l’un des autres objectifs est le désendettement de l’État. Le rapporteur pour avis Alain Chatillon a indiqué que cela représentait une charge annuelle de 2, 5 %. Or les participations ont une rentabilité courante de 3, 5 %. Cela reviendrait à une absurdité financière. On perdrait de l’argent ! Avec cette stratégie, l’État perdrait de l’argent ! Alors que cette décision pourrait paraître d’une logique financière extrêmement douteuse, elle correspond surtout à une menace – et là est l’essentiel – sur la capacité de réaction de l’État face aux difficultés sectorielles, en la soumettant aux contingences budgétaires annuelles à rebours d’une vision à long terme. L’industrie ne peut pas reposer que du court terme ! Elle doit aussi se fonder sur du moyen et du long terme.

Permettez-moi de revenir sur un épisode de notre histoire industrielle. En 2012, PSA enregistrait une perte historique de 5 milliards d’euros. Son action en bourse passa alors de 80 euros à 5 euros. L’État a agi, en investissant dans le capital de PSA aux côtés de Dongfeng. Aujourd’hui, la société est redressée.

Qu’a fait Barack Obama lorsque l’entreprise automobile américaine General Motors était en difficulté ? Il a nationalisé en partie le secteur, qui s’est relevé.

C’est en ce sens que notre interrogation est entière. Quelle place aujourd’hui réservez-vous à l’État stratège dans la politique du Gouvernement ?

Concernant la fusion Alstom-Siemens, le refus du Gouvernement d’entrer au capital empêche l’État de jouer un rôle stratège, le privant d’exercer tout contrôle direct sur le nouveau groupe qui va se constituer. Il aurait certainement mieux valu que Siemens ait moins de 51 % des parts et que l’État français ait un droit de regard pour pouvoir agir sur cette fusion, en vue d’en faire un EADS du ferroviaire.

Telles sont nos interrogations. Quand le ministre Bruno Le Maire a été interrogé sur ces questions, il nous a répondu que la politique de l’État consistait avant tout à prévoir des baisses de charges. Il nous a très peu parlé de cette vision de l’État stratège, une vision qui, de la Libération à Charles de Gaulle jusqu’à aujourd’hui, implique que l’État français entend jouer un rôle dans l’économie : l’État doit pouvoir jouer tout son rôle pour aider une entreprise lorsque celle-ci rencontre des difficultés ou pour mettre en œuvre sa volonté de doper un secteur industriel. J’ai l’impression que cette vision purement financière à court terme risque de se traduire par une conception de l’État stratège rabougri.

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