En effet, la toute première résistance des États membres tient au mix énergétique. La Commission avait quelque peu anticipé cette résistance à le faire évoluer pour inclure plus d'énergie renouvelable, puisqu'elle avait fait preuve de prudence dans la rédaction des objectifs. Ainsi, la proposition de directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables comporte un seul objectif « contraignant » de 27 % du mix énergétique à l'horizon 2030 pour l'ensemble de l'Union. Les États membres devraient déterminer leur propre contribution à la réalisation de cet objectif, avec une première étape imposée pour 2020. Sauf unanimité au Conseil, l'obligation ainsi faite aux États membres de modifier leur mix énergétique n'en reste pas moins incompatible avec l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Certes, chacun est tenu par les accords de Paris, mais ceux-ci comportent des objectifs en matière de CO2, pas de mix énergétique. Il y a donc une obligation d'objectifs, pas de moyens.
S'ajoute le besoin de maîtriser suffisamment les réseaux nationaux pour que les producteurs, les gestionnaires de réseau et l'autorité de régulation puissent à tout instant prendre les décisions qui conviennent. Il n'est pas neutre à cet égard que le réseau de transport d'électricité en France par exemple dispose de quatre secondes seulement pour éviter un black-out. Agir avec efficacité en pareille circonstance suppose une parfaite délimitation du domaine d'intervention sur les producteurs, et une maîtrise suffisante des interconnexions. Enfin, la tarification et la place laissée à l'autoproduction d'électricité forment un tout dont les États membres veulent fort logiquement conserver la maîtrise.
Il ne faut pas croire cependant que cette défense ait vocation à structurer l'avenir de l'électricité au sein de l'Union européenne, car de vastes programmes de recherche devront être conduits à leur terme pour procurer à notre continent une énergie propre à tous égards, disponible en fonction des besoins et à des tarifs raisonnables.
Je n'ai pas le temps de rentrer dans le détail des grandes orientations stratégiques de recherche exigeant de mobiliser l'Europe, qui forment l'objet du dernier quart de notre rapport. Je me limiterai donc à les énoncer brièvement.
S'il est une leçon incontestable à tirer du contre-exemple allemand sur le plan économique, c'est bien que l'intermittence subie de l'offre menace l'ensemble du secteur de l'électricité. Il est donc souhaitable que la part intermittente des sources d'électricité serve, en l'absence de demande, à produire de l'hydrogène, car la mobilité propre de demain ou d'après-demain devrait logiquement utiliser à grande échelle des piles à combustible, qui fournissent du courant électrique en utilisant l'hydrogène. Ainsi, le stockage d'énergie intermittente dite « fatale » permettra d'atteindre un objectif environnemental majeur dans le domaine des transports.
La deuxième grande orientation consiste à surmonter au moins une partie de l'intermittence inhérente aux filières éolienne et solaire, bien sûr, mais aussi au rythme des marées.
L'énergie solaire ne peut évidemment être captée que le jour, mais il ne faut pas confondre « énergie solaire » et « panneaux photovoltaïques ». En effet, le solaire thermique stocke non la luminosité, mais la chaleur, qu'il peut restituer pendant la nuit. Ainsi, l'intermittence de l'ensoleillement n'est pas un obstacle insurmontable à la continuité de l'électricité obtenue grâce au soleil. Encore faut-il disposer des technologies adaptées et d'un régime climatique favorable. La première condition peut être satisfaite grâce à la recherche. Il est peu probable cependant que la combinaison du photovoltaïque et du thermique solaire convienne à l'Europe. Elle paraît en revanche adaptée à l'Afrique, à l'Amérique latine, probablement au Sud des États-Unis et à une large partie de l'Asie, dans l'état actuel des connaissances. Maîtriser ces filières représenterait donc un avantage pour les entreprises européennes intervenant ailleurs dans le monde.
En Europe même, il est théoriquement envisageable de placer des éoliennes flottantes autour des îles britanniques, car le vent souffle en permanence dans cette région. L'exploitation de cette ressource naturelle suppose de gros investissements, en commençant par la recherche. À terme, le potentiel de cette zone est extrêmement important, mais son utilisation par l'Union ne sera pas simplifiée par le Brexit, ni par le cas de la Norvège.
Cet obstacle géographique n'existe pas pour l'énergie des marées, dont l'utilisation se heurte cependant à de réelles difficultés techniques ayant empêché à ce jour une diffusion plus large d'installations marémotrices. S'il était possible de surmonter le risque de corrosion et l'obstacle représenté par les coquillages, un ensemble d'unités marémotrices pourrait être associé à des stations de transfert d'énergies par pompage (STEP), afin de fournir en permanence l'énergie obtenue grâce au mouvement biquotidien des marées.
Enfin, le rapport mentionne les espoirs représentés par les réacteurs nucléaires de quatrième génération, qui supprimeraient la quasi-totalité des déchets radioactifs. Il aborde également le programme de recherche ITER, qui n'occasionnera guère de déchets radioactifs, et doit ouvrir la voie à la fusion nucléaire, ouvrant ainsi des perspectives d'énergie pratiquement inépuisable et sans legs radioactif aux générations futures.
Comme vous le voyez, l'énergie reste par excellence le domaine de l'innovation technique, de la politique, donc du long terme puisque gouverner, c'est prévoir.