Notre ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen du rapport d'information de Claude Kern et Michel Raison sur l'Union de l'énergie. Je vous rappelle qu'avec Michel Delebarre, dont je salue le travail mené au sein de notre commission, nous avions présenté, en février dernier, une première proposition de résolution européenne qui portait sur les volets « énergie renouvelable » et « mécanismes de capacité » du paquet « Énergie propre pour tous les Européens », que l'on désigne sous l'appellation plus ramassée de « paquet hiver ».
En juillet dernier, nous avions pris l'initiative d'une nouvelle proposition de résolution qui concernait l'ensemble des thématiques majeures formant l'ossature de ce « paquet hiver ». Ces deux propositions sont devenues des résolutions du Sénat. Dans l'ensemble de textes très volumineux qui constitue ce « paquet hiver », on peut malgré tout identifier trois lignes directrices : tout d'abord, la lutte contre le changement climatique, ce qui est tout à l'honneur de l'Europe ; ensuite, la place respective des pouvoirs politiques et des purs mécanismes de marché ; enfin, les rôles dévolus respectivement aux États membres et aux institutions de l'Union. Tout en exprimant des critiques, fondées notamment sur le principe de subsidiarité, nous avons affirmé notre soutien à l'Union de l'énergie, qui va dans le bon sens car elle est source de rationalité et d'efficacité.
On ne peut en effet parler de compétitivité européenne sans énergie accessible, sûre et bon marché. Afin de réindustrialiser l'Europe, nous avons besoin d'une énergie à bon marché, alors qu'elle est aujourd'hui fois plus onéreuse qu'aux États-Unis. Le rapport de nos deux collègues est l'occasion de faire un point sur l'électricité dans l'Union de l'énergie. Je leur donne la parole.
Le rapport d'information que nous vous présentons aujourd'hui porte sur l'électricité dans la stratégie pour l'Union de l'énergie. Tel était l'objet des quelque 5 000 pages formant ce que l'on appelle couramment « paquet d'hiver », publié par la Commission européenne le 30 novembre 2016 sous l'intitulé « Énergie propre pour tous les Européens ». Notre commission s'est déjà prononcée sur ce paquet, par deux résolutions européennes devenues résolutions du Sénat et par deux avis motivés, dont l'un concernait la réforme de l'Agence de la coopération des régulateurs de l'énergie, habituellement désignée par son sigle anglais ACER, et l'autre portait sur la directive tendant à réorganiser le marché de l'électricité.
Traiter l'ensemble en 20 pages aurait à l'évidence relevé de la mission impossible. Nous avons donc regroupé les grands thèmes de l'électricité dans l'espace européen d'une part, la place de la souveraineté des États membres d'autre part. Je vous présenterai les grandes problématiques, avant que Michel Raison n'aborde la place des États membres dans cet ensemble, aujourd'hui et demain.
La production d'énergie a pour finalité de satisfaire la demande, dans les conditions les plus favorables à la croissance, donc à la compétitivité internationale. Mais fournir la contrepartie à la demande économiquement solvable peut à juste titre être jugé insuffisant, des lors qu'une partie de la population souffre, par pauvreté, de précarité énergétique.
En outre, certaines installations produisant de l'électricité émettent dans l'atmosphère des substances chimiques dangereuses pour la santé. Et toute combustion, même chimiquement propre sur le plan sanitaire, provoque inévitablement la diffusion de gaz à effet de serre, notamment de dioxyde de carbone ou CO2. Dans le cadre des orientations tendant à combattre le changement climatique, une évolution du mix énergétique peut être souhaitée, afin de réduire la quantité de CO2 émise par mégawattheure.
Ainsi, la raison d'être économique du secteur de l'électricité doit être satisfaite dans des conditions compatibles avec la préservation de l'environnement et la lutte contre la précarité énergétique.
A priori, plus l'énergie à fournir est faible, moins il est indispensable de mettre en oeuvre les moyens de production les plus fortement polluants. La façon la plus simple de satisfaire l'impératif environnemental consiste donc à contenir la demande effective, par tout moyen qui ne prive pas les citoyens et les entreprises de l'énergie dont ils ont besoin. Tel est le sens des incitations à la sobriété énergétique.
Un autre moyen de contenir le recours aux centrales électriques les plus polluantes disponibles sur un territoire consiste à développer les réseaux à l'échelle du continent. L'idée est la suivante : au lieu de mettre en fonctionnement ici une capacité productive émettant par exemple des microparticules et du CO2, il sera possible grâce au réseau étendu d'importer de l'électricité produite ailleurs dans des conditions plus favorables à la qualité de l'air et à la lutte contre le changement climatique.
La possibilité de consommer de l'électricité produite au loin est évidemment favorisée par l'existence de câbles à haute, voire à très haute tension. Mais un autre facteur intervient aussi : l'organisation du marché de l'électricité entre opérateurs des États membres. En théorie économique, on considère habituellement que le marché fonctionne de manière plus satisfaisante lorsque les autorités publiques se contentent de l'organiser, tout en veillant à combattre les situations dominantes. De son côté, la boucle des connexions est bouclée si les instances de régulation et les gestionnaires de réseau de pays membres voisins travaillent ensemble, plutôt qu'avec les autorités politiques de chaque État.
Avec la sobriété énergétique, les interconnexions et l'organisation du marché, je viens de décrire trois des quatre grandes orientations structurant le paquet d'hiver.
Reste le cas des énergies renouvelables, que la Commission européenne traite comme un ensemble parfaitement homogène, dont l'essor serait strictement synonyme de baisse des émissions de CO2. Or, la filière électronucléaire n'est pas renouvelable en l'état des techniques disponibles ; elle ne reste pas moins exemplaire sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. D'autre part, la combustion du biométhane, l'utilisation de biocarburants et le chauffage à la biomasse-énergie émettent certes moins de CO2 que les hydrocarbures, mais à un niveau qui reste très largement supérieur aux performances des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques. Enfin, l'énergie obtenue à la demande et celle produite en fonction des caprices de la météorologie ne rendent pas du tout le même service. Fixer des objectifs en faveur des sources renouvelables d'énergie est donc simpliste, surtout lorsque des subventions publiques restent indispensables à l'équilibre économique de certaines filières.
Il n'est donc pas étonnant que, dans les discussions en cours sur le paquet d'hiver, l'articulation entre le niveau national et celui de l'Union apparaisse comme un facteur de clivage. Je laisse à Michel Raison le soin de vous en parler.
En effet, la toute première résistance des États membres tient au mix énergétique. La Commission avait quelque peu anticipé cette résistance à le faire évoluer pour inclure plus d'énergie renouvelable, puisqu'elle avait fait preuve de prudence dans la rédaction des objectifs. Ainsi, la proposition de directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables comporte un seul objectif « contraignant » de 27 % du mix énergétique à l'horizon 2030 pour l'ensemble de l'Union. Les États membres devraient déterminer leur propre contribution à la réalisation de cet objectif, avec une première étape imposée pour 2020. Sauf unanimité au Conseil, l'obligation ainsi faite aux États membres de modifier leur mix énergétique n'en reste pas moins incompatible avec l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Certes, chacun est tenu par les accords de Paris, mais ceux-ci comportent des objectifs en matière de CO2, pas de mix énergétique. Il y a donc une obligation d'objectifs, pas de moyens.
S'ajoute le besoin de maîtriser suffisamment les réseaux nationaux pour que les producteurs, les gestionnaires de réseau et l'autorité de régulation puissent à tout instant prendre les décisions qui conviennent. Il n'est pas neutre à cet égard que le réseau de transport d'électricité en France par exemple dispose de quatre secondes seulement pour éviter un black-out. Agir avec efficacité en pareille circonstance suppose une parfaite délimitation du domaine d'intervention sur les producteurs, et une maîtrise suffisante des interconnexions. Enfin, la tarification et la place laissée à l'autoproduction d'électricité forment un tout dont les États membres veulent fort logiquement conserver la maîtrise.
Il ne faut pas croire cependant que cette défense ait vocation à structurer l'avenir de l'électricité au sein de l'Union européenne, car de vastes programmes de recherche devront être conduits à leur terme pour procurer à notre continent une énergie propre à tous égards, disponible en fonction des besoins et à des tarifs raisonnables.
Je n'ai pas le temps de rentrer dans le détail des grandes orientations stratégiques de recherche exigeant de mobiliser l'Europe, qui forment l'objet du dernier quart de notre rapport. Je me limiterai donc à les énoncer brièvement.
S'il est une leçon incontestable à tirer du contre-exemple allemand sur le plan économique, c'est bien que l'intermittence subie de l'offre menace l'ensemble du secteur de l'électricité. Il est donc souhaitable que la part intermittente des sources d'électricité serve, en l'absence de demande, à produire de l'hydrogène, car la mobilité propre de demain ou d'après-demain devrait logiquement utiliser à grande échelle des piles à combustible, qui fournissent du courant électrique en utilisant l'hydrogène. Ainsi, le stockage d'énergie intermittente dite « fatale » permettra d'atteindre un objectif environnemental majeur dans le domaine des transports.
La deuxième grande orientation consiste à surmonter au moins une partie de l'intermittence inhérente aux filières éolienne et solaire, bien sûr, mais aussi au rythme des marées.
L'énergie solaire ne peut évidemment être captée que le jour, mais il ne faut pas confondre « énergie solaire » et « panneaux photovoltaïques ». En effet, le solaire thermique stocke non la luminosité, mais la chaleur, qu'il peut restituer pendant la nuit. Ainsi, l'intermittence de l'ensoleillement n'est pas un obstacle insurmontable à la continuité de l'électricité obtenue grâce au soleil. Encore faut-il disposer des technologies adaptées et d'un régime climatique favorable. La première condition peut être satisfaite grâce à la recherche. Il est peu probable cependant que la combinaison du photovoltaïque et du thermique solaire convienne à l'Europe. Elle paraît en revanche adaptée à l'Afrique, à l'Amérique latine, probablement au Sud des États-Unis et à une large partie de l'Asie, dans l'état actuel des connaissances. Maîtriser ces filières représenterait donc un avantage pour les entreprises européennes intervenant ailleurs dans le monde.
En Europe même, il est théoriquement envisageable de placer des éoliennes flottantes autour des îles britanniques, car le vent souffle en permanence dans cette région. L'exploitation de cette ressource naturelle suppose de gros investissements, en commençant par la recherche. À terme, le potentiel de cette zone est extrêmement important, mais son utilisation par l'Union ne sera pas simplifiée par le Brexit, ni par le cas de la Norvège.
Cet obstacle géographique n'existe pas pour l'énergie des marées, dont l'utilisation se heurte cependant à de réelles difficultés techniques ayant empêché à ce jour une diffusion plus large d'installations marémotrices. S'il était possible de surmonter le risque de corrosion et l'obstacle représenté par les coquillages, un ensemble d'unités marémotrices pourrait être associé à des stations de transfert d'énergies par pompage (STEP), afin de fournir en permanence l'énergie obtenue grâce au mouvement biquotidien des marées.
Enfin, le rapport mentionne les espoirs représentés par les réacteurs nucléaires de quatrième génération, qui supprimeraient la quasi-totalité des déchets radioactifs. Il aborde également le programme de recherche ITER, qui n'occasionnera guère de déchets radioactifs, et doit ouvrir la voie à la fusion nucléaire, ouvrant ainsi des perspectives d'énergie pratiquement inépuisable et sans legs radioactif aux générations futures.
Comme vous le voyez, l'énergie reste par excellence le domaine de l'innovation technique, de la politique, donc du long terme puisque gouverner, c'est prévoir.
Je vous remercie, mes chers collègues, de votre présentation de ce sujet complexe. Il est très important d'avoir une Union de l'énergie, considérée comme une échéance extrêmement lointaine par M. Christophe de Margerie que nous avions auditionné lors d'un petit-déjeuner de travail. Compte tenu de leurs ressources en lignite et en charbon, certains États, comme la Pologne et l'Allemagne, demeurent fidèles à un mix énergétique peu respectueux de l'environnement.
Je n'ai pas la prétention de maîtriser le sujet comme nos deux rapporteurs, mais j'ai bien écouté notre collègue M. Michel Raison. On a peu parlé, dans ce mix énergétique, de la capacité à maintenir un niveau d'énergie cohérent avec l'utilisation courante. Dans le cadre de la recherche, il nous faut insister sur le stockage. Quelle est la réponse européenne à cette question ?
Il est vraisemblablement plus aisé d'envisager l'avenir et d'y consacrer des programmes internationaux, plutôt que de faire converger les stratégies historiques des États membres. Je vois trois chantiers qui mériteraient que soient lancés des programmes communs de recherche.
Le premier concerne le stockage, pour régler les problèmes d'intermittence.
Le second a trait au nucléaire au travers de la fusion, qui fonctionne déjà en laboratoire mais n'est pas encore industrialisée de manière probante. À ce jour, l'industrie nucléaire, par la fission, produit des déchets radioactifs qui entravent son acceptation. Passer de la fusion du laboratoire à l'industrialisation pose problème et pourrait être assuré par un projet européen, assurant une dépollution complète de l'énergie.
Le troisième chantier concerne le transport de cette énergie entre États membres, avec des dispositifs fluides d'unification. Je ne sais où en sont les États membres dans leur discussion sur ces sujets, mais ces trois chantiers pourraient être porteurs de projets européens, puisque nous sommes au début d'un processus.
Je félicite les rapporteurs de s'être impliqués sur ce sujet complexe.
L'Union de l'énergie est focalisée sur la production, alors qu'il faut rechercher un impact en termes de recherche et d'efficience énergétique.
La principale ressource énergétique réside dans les économies d'énergie. Elle se trouve dans l'habitat, les installations industrielles et dans les transports. Ce sujet est malgré tout cantonné dans une dimension développement durable et assez peu lié à cette Union de l'énergie.
Comme l'a souligné notre collègue Jean-Pierre Leleux, la projection sur l'avenir, c'est à dire la recherche, est la source de réels changements. L'idée d'une agence des innovations de rupture est là. La question du stockage, dans les batteries, s'est posée à partir du moment où l'on a considéré qu'un marché pour les automobiles électriques était possible et ce, contre l'avis des acteurs traditionnels. Il a ainsi fallu l'entrée en scène de nouveaux acteurs pour assurer une progression rapide dans ce domaine. Je ne suis pas un défenseur du solaire photovoltaïque, du fait de son coût exorbitant et de ses externalités écologiques, avec l'utilisation des terres rares qu'il suppose. Cependant, pour le solaire thermique, nous sommes totalement dans le sous-développement. Ainsi au Canada, on abaisse de moitié les coûts de climatisation dans les salles de cirque à Montréal. En outre, s'ajoute une autre difficulté plus institutionnelle : la plupart de nos États - la France étant un bon exemple - sont centralisés. Au nom de l'équivalence, remettre au réseau l'énergie solaire autoproduite pour la racheter ultérieurement est proprement insensé, pour des volumes de production ridicules et pour un coût d'accès très lourd. Certains énergéticiens, notamment dans le secteur de l'électricité, ont une culture politique les incitant à tout contrôler, ce qui ne favorise ni l'innovation, ni les initiatives individuelles.
Un potentiel inexploité se trouve également dans l'hydroélectrique ; la réglementation des microcentrales électriques est un handicap dans notre pays. Trop de nos barrages sont obsolètes. Au Canada, Alstom, en changeant les turbines du barrage Bourassa, avait augmenté de 15 % la production d'électricité. Nous avons la technologie, elle est française, mais nous sommes incapables d'engager de l'argent pour rénover nos barrages, alors que l'énergie hydraulique demeure la plus écologique possible. Celle-ci est ainsi laissée à l'arrêt, en termes d'investissements, depuis trente ans.
J'ai apprécié ce rapport sur un sujet extrêmement complexe qui exige d'avancer pas à pas, en amorçant une première forme d'interconnexion des réseaux.
Je partage l'avis de notre collègue Jean-Pierre Leleux sur la recherche, qui doit être conduite au niveau européen. Il est difficile de forger une politique européenne de la recherche, alors que les politiques nationales ne sont pas rapprochées.
J'en viens au rapport, dont deux phrases suscitent mon interrogation. La première figure dans la synthèse : « les énergies obtenues à partir de ressources renouvelables intermittentes sont vraisemblablement destinées à jouer un rôle, une fois satisfaites deux conditions sine qua non : que le prix obtenu de l'électricité soit nettement inférieur à celui obtenu dans les filières hydrauliques ou nucléaires ». Je ne vois pas de difficulté pour le rapport aux filières hydrauliques ; ce qui n'est pas le cas pour l'énergie nucléaire ! Comment mesurer le prix de l'énergie nucléaire ? Qu'intégrons-nous pour estimer ce prix ? Avec les futurs coûts de démantèlement, j'ai bien peur que le coût de cette énergie ne s'avère excessif. Il conviendrait ainsi d'évoquer ce rapprochement avec prudence dans un rapport. Enfin, ma seconde objection portera sur la liste des principales propositions que j'attribue à une sorte de « rapidité de plume » : « classer la filière électro-nucléaire parmi les filières non polluantes » me semble faire peu de cas des déchets, dont le stockage s'effectue dans la douleur, sans doute du fait de la réaction des populations qui considèrent que ces productions sont polluantes.
Nous sommes trop timides sur l'hydraulique qui présente une capacité de stockage et de régulation ; ce que ne permet pas, du reste, l'éolien et le photovoltaïque. J'ai été le premier à poser des panneaux sur mes bâtiments, il y a près de dix ans. Aujourd'hui, avec la neige, je n'ai aucune production alors qu'en décembre, le besoin d'énergie est réel ! Toute une réflexion sur le mix énergétique doit ainsi être conduite. Comme rapporteur du projet de loi de finances sur l'énergie, je dois reconnaître que la France a besoin d'une programmation énergétique, afin de mieux organiser les choses. Il faut que cette démarche soit reprise au niveau communautaire. À cet égard, j'insiste sur la septième proposition du rapport qui me paraît très importante, car l'interconnexion permet d'éviter les black-out. En revanche, je ne sais si l'absence de lien avec les centres de conduite régionaux est possible, vu le rôle-clé qui est actuellement le leur !
Enfin, en termes de recherche, l'hydrogène recèle de nombreuses perspectives.
Je voudrais saluer le travail des rapporteurs. Mes réflexions porteront sur les énergies renouvelables sur lesquelles je pointerai quelques difficultés.
Vous avez évoqué les énergies marémotrices. Celles-ci peuvent revêtir deux aspects : soit une usine, comme à la Rance, qui connaît actuellement un problème d'envasement impliquant l'extraction de centaines de milliers de mètres cubes de sédiments. Ce problème va en s'amplifiant et modifie les paysages. Ensuite, les turbines, que l'on peut poser dans les secteurs de forte courantologie. Elles paraissent susciter une plus grande adhésion, même si les pêcheurs en discutent l'intérêt, tout comme pour l'éolien maritime. Il y a manifestement une grande timidité sur ces sujets et pas seulement des pouvoirs publics, encore que ! Il nous faut parler de l'opérateur EDF, qui n'a pas fait récemment preuve d'allant ni de bonne volonté sur les projets. C'est là une question qu'il faudra soulever un jour.
L'éolien maritime mériterait d'être davantage développé. Je constate aussi que des projets terrestres suscitent parfois des oppositions vives. Serait-il aujourd'hui possible de construire des barrages en grand nombre ? Pensez à la retenue d'eau de Sivens ! Chacun gère ses contradictions. La société n'est pas plus mal pourvue, à cet égard, que les politiques.
J'aurai juste une observation sur le primat du marché. Soyons prudents. Le marché peut conduire à ne pas respecter certaines orientations, avec un report sur les collectivités locales. En effet, celles-ci devront, de plus en plus, travailler sur le mix énergétique. Je l'ai constaté, comme président de la Communauté urbaine de Strasbourg où l'on a voulu, à un moment donné, développer des réseaux de chaleur. La baisse inattendue du prix du gaz a économiquement invalidé ce projet ! De même, les collectivités se sont trouvées en porte-à-faux en matière de géothermie profonde. Si l'on veut tenir les objectifs environnementaux, tout en assurant l'approvisionnement, la régulation du marché doit être assurée, comme l'indique notre histoire énergétique depuis la Seconde guerre mondiale. L'Union est encore trop fondée sur le primat du marché !
Le sujet m'intéresse particulièrement, puisque j'ai présidé pendant vingt ans le Syndicat d'électricité et de gaz du Rhin.
En matière d'énergie, l'Union européenne accorde une grande importance au marché. Il ne permet pas, à lui seul, de faire face d'une façon équilibrée aux besoins à venir. En outre, les intérêts du marché ne sont pas forcément ceux des États. Il me semble que dans une affaire aussi stratégique que l'énergie, les États doivent jouer un rôle pendant longtemps, ne serait-ce qu'en raison de leur éventuelle contribution financière.
On peut aussi avoir confiance dans la recherche, les technologies nouvelles ainsi que dans les réseaux. J'ai constaté une stratégie d'évitement des comportements sociétaux. Ainsi, en Alsace, à nos propres écologistes, se joignent les Suisses et les Allemands, qui franchissent aisément la frontière. Ceux qui trouvent tout à fait normal qu'une centrale nucléaire en Suisse dure quarante-cinq ans s'indignent que Fessenheim reste en service bien avant d'avoir atteint cette durée. On a beau être écologiste ; on est avant tout suisse ! Je constate ces comportements sociétaux.
L'installation d'éoliennes et de turbines à marée motrice provoque des perturbations importantes - notamment sur la faune - qu'il ne faut pas négliger dans la durée.
Les lignes à très haute tension - 400 000 volts - doivent être également prises en compte. L'Allemagne a certes un grand programme d'investissement dans les éoliennes en Mer du Nord, mais il faut ensuite amener l'électricité jusqu'en Bavière ! Cela suppose de construire quatre lignes de 400 000 volts. Pour l'instant, l'Allemagne n'en a pas construit le premier mètre ! Pour alimenter la Bavière, à la fois très agricole et très industrielle, il faut actuellement passer par le réseau de la République tchèque qui risque le black-out. Il importe ainsi de prendre en compte des comportements sociétaux.
Enfin, les énergies renouvelables me paraissent avant tout intermittentes. Aujourd'hui, et pour longtemps, à toute production d'énergie intermittente doit correspondre la possibilité de produire en quelques secondes une énergie équivalente d'origine thermique. Seul le gaz peut y parvenir ! Ce qui nous amène tout droit à la seconde partie de notre ordre du jour.
Nous n'avons pas évoqué l'énergie thermique des mers, alors que le système Sea Water Air Conditioning (SWAC) commence à avoir des applications. Ainsi, l'hôpital de Saint-Pierre à La Réunion, ainsi que celui de Papeete, seront dotés de ce système d'avenir dont la mise en application a dû surmonter des raisons de coûts et la réticence des opérateurs, notamment publics, à s'engager. Le chaud et le froid représentent un aspect considérable de la consommation énergétique.
Messieurs les rapporteurs, vous avez été interpellés et votre communication me semble être une sorte d'intervention d'étape sur un sujet dont nous reparlerons.
Sur le stockage, nous sommes tous d'accord. Sans stockage, l'énergie intermittente produite le demeure. Les filières d'électricité intermittente nécessitent bien évidemment la recherche. Il va falloir que, sur le plan mécanique, des solutions soient trouvées pour les éoliennes.
Sur la recherche relative à la fusion nucléaire, le projet ITER rassemble trente-cinq pays : l'ensemble des États membres, auxquels s'ajoutent l'Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse. Il faut sans doute que nous insistions sur l'importance de la recherche.
Sur l'hydroélectricité et l'acceptation sociétale, il nous faut gérer les contradictions de ceux qui se déclarent en faveur des énergies renouvelables, mais organisent une manifestation dès que trois éoliennes sont érigées sur une colline ! Outre les grands barrages, la remise en service des petits barrages est malaisée, en raison des exigences financières et environnementales, comme les passes à poissons soumises à une taxe foncière ! Il faudrait également dénombrer les poissons qui empruntent ces passes. Je m'attends à des surprises ! Il y a trop d'habitudes, de postures et de slogans. La recherche sur l'hydrogène doit être développée, comme sur la fusion nucléaire.
Je laisserai mon collègue Claude Kern parler des productions non polluantes et répondre à l'objection qui a été faite à l'issue d'une lecture attentive du rapport. Sur le stockage, nous ne disposons guère que des STEP, qui assurent 99 % du stockage mondial. Il va donc nous falloir améliorer nos dispositifs de stockage !
En mentionnant la filière nucléaire parmi les sources non polluantes d'électricité, nous pensions à l'air, notamment au dioxyde de carbone.
La septième recommandation porte sur les centres de conduite régionaux. Le dispositif en place repose sur le volontariat. Son institutionnalisation obligatoire nous paraît critiquable.
Sur quels chiffres doit reposer la comparaison entre les filières électriques ? Le thème est complexe, car la prolongation d'une centrale existante n'induit pas une dépense identique à celle suscitée par une construction nouvelle.
Elle figure dans le rapport. Son développement actuel est soutenu. Une coproduction agricole et urbaine peut être organisée. Dans notre département, nous avons près d'une dizaine de stations de méthanisation, qui suscitent des réactions sociétales. Les maîtres d'ouvrage et les concepteurs devraient systématiquement construire ces équipements loin des zones habitées.
Outre la méthanisation, nous avons mentionné les centres de valorisation énergétique provenant de la combustion des ordures ménagères résiduelles. C'est une forme d'énergie renouvelable.
À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
Nous allons maintenant entendre la communication de Claude Kern et Michel Raison qui vont nous présenter leur projet d'avis motivé concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.
Je rappelle que, lors de sa réunion du 23 novembre dernier, le groupe de travail sur la subsidiarité a considéré que la proposition de règlement pouvait poser une difficulté quant au respect des compétences des États membres dans la négociation des accords internationaux concernant la fourniture de gaz. Nos deux collègues ont approfondi cette question. Ils vont nous rendre compte du résultat de leurs travaux. Je leur donne la parole.
Je présenterai d'abord le contexte politique, tandis que Michel Raison exposera l'analyse juridique.
Le dispositif auquel nous vous proposons d'opposer un avis motivé tend à rendre le droit de l'Union applicable aux gazoducs reliant un État membre à un pays tiers. Cette extension géographique du droit interne s'explique par un contexte politique à expliciter en tout premier lieu.
En effet, bien que la Commission européenne ait écrit benoîtement que « le choix d'un acte modificatif reflète le caractère limité de la présente proposition », la motivation politique expliquant les modifications souhaitées par la Commission revêt une grande importance. Il s'agit du gazoduc Nord Stream-2, bien que cet ouvrage ne soit pas mentionné dans le corps de la proposition.
Cette observation me conduit à une petite parenthèse historique. Le gazoduc South Stream devait relier le territoire russe à la Bulgarie - et à la Roumanie dans sa toute première mouture - en contournant l'Ukraine par le fond de la mer Noire. En définitive, le harcèlement des autorités bulgares par la Commission européenne finit par avoir raison de South Stream, officiellement abandonné le 1er décembre 2014. Un itinéraire alternatif à South Stream a été très rapidement trouvé par Gazprom avec Turkish Stream, qui devrait approvisionner le sud-est de l'Union européenne à compter du 1er janvier 2020.
Parallèlement, le consortium Nord Stream, présidé par l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, a élaboré un nouvel accord, destiné à doubler le gazoduc existant. Sans surprise, cette nouvelle infrastructure a été appelée Nord Stream-2, avec une nouvelle entité juridique à la clé, uniquement constituée par des acteurs économiques de droit privé. Son tour de table associe Gazprom, BASF, E.ON, Shell, l'autrichien OMV et Engie.
Signé le 18 juin 2015 en marge du forum économique international de Saint-Pétersbourg, le projet Nord Stream-2 tend à doubler le gazoduc Nord Stream, portant ainsi la capacité de cette liaison à 110 milliards de mètres cubes par an au lieu des 55 milliards antérieurement. Ce projet est donc légèrement plus modeste que ne l'était South Stream : avec 63 milliards de mètres cubes par an, celui-ci compensait très précisément la fin de tout transit par les gazoducs ukrainiens. Cette nouvelle géographie gazière de l'Union a suscité une levée de boucliers provenant pour l'essentiel d'Europe centrale, mais aussi d'Italie.
Dans ces conditions, la Commission européenne a tenté de reprendre la main sur le dossier. Il n'y avait là rien de simple, puisque le caractère strictement privé du consortium limite les moyens de la Commission pour influencer l'avenir de ce gazoduc, presque entièrement situé en dehors du territoire de l'Union. Telle était d'ailleurs la raison d'être de la nouvelle entité.
Pour cette raison, la Commission européenne a tenté de contourner le consortium en demandant au Conseil, le 12 juin 2017, un mandat de négociation avec la Russie. Cette demande est intervenue trois mois après une « fuite » ayant rendu public l'avis formulé par le service juridique de la Commission européenne. La conclusion du document était formelle : le droit de l'Union ne s'applique pas à un gazoduc assurant la liaison entre le réseau d'un État membre et celui d'un État tiers. À l'appui de la demande présentée au Conseil, la Commission a néanmoins fait valoir la nécessité d'assurer le respect du droit de l'Union - en fait, la directive de 2009 - pour éviter les effets dommageables pour le marché intérieur du gaz que pourrait provoquer une infrastructure relevant à la fois du droit allemand et du droit russe. Elle a souligné la possibilité d'un conflit entre les règles juridiques applicables par des États distincts, dont l'un n'est pas membre de l'Union. Assez curieusement sur le plan logique, la Commission européenne a également invoqué le « vide juridique » entourant le projet Nord Stream-2. Enfin, elle a mentionné un risque de dépendance accrue des États membres envers un même fournisseur, en l'occurrence Gazprom. Cette situation serait contraire à la politique de diversification, conduite pour conforter la sécurité d'approvisionnement en gaz.
La volonté d'extérioriser le droit de l'Union jusqu'au-delà des frontières n'a pas convaincu le Conseil. Réuni le 19 octobre dernier, celui-ci a donc refusé à la Commission européenne le mandat qu'elle avait demandé. Il n'y avait là aucune surprise, puisqu'une autre « fuite » intervenue le 2 octobre avait révélé un document qui aurait dû rester confidentiel, où le service juridique du Conseil avait étrillé le projet de la Commission.
Le jour même de cette décision, M. Juncker a annoncé le recours à « une méthode communautaire plus orthodoxe ». En clair, il a annoncé la proposition de directive à laquelle nous estimons qu'il convient d'opposer un avis motivé, pour les raisons que Michel Raison va maintenant vous exposer.
Le droit de l'Union s'applique-t-il par-delà ses frontières ? Incontestablement, non, sauf accord intergouvernemental ou accord entre un État tiers et l'Union européenne en tant que telle, représentée par sa Commission. Celle-ci peut-elle conduire une telle négociation ? Pas sans l'aval du Conseil unanime, que celui-ci a refusé. Comment contourner l'obstacle du Conseil ? Telles sont les questions qui se posaient à la Commission européenne le 19 octobre dernier, juste après la réunion du Conseil. La réponse a pris la forme de la proposition de directive à laquelle nous considérons nécessaire d'opposer un avis motivé. Son texte est court, avec un dispositif comportant moins de deux pages.
Concrètement, la Commission propose tout d'abord que le mot « interconnexion », qui figure à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, cesse d'être réservé aux liaisons transfrontalières reliant deux réseaux nationaux. Désormais, ce concept inclurait les portions de gazoducs reliant le réseau national d'un État membre au réseau national d'un État tiers. Cette modification sémantique utilise une bizarrerie du droit actuel, puisque le mot introduit dans le traité de Lisbonne n'a été défini que dans la directive 2009/73 du 13 juillet 2009. Il suffit donc de modifier cette définition pour étendre le domaine d'application du traité sur fonctionnement de l'Union européenne.
Utilisant cette astuce, pour ne pas dire ce tour de passe-passe, la Commission européenne propose de modifier cinq articles de la directive 2009/73, par une sorte de coordination juridique. Chaque modification tend à obliger telle ou telle autorité d'un État membre à s'assurer que « les dispositions de la présente directive sont appliquées de manière cohérente jusqu'à la frontière du territoire de l'Union » par l'infrastructure visée. Les modifications proposées à trois autres articles relèvent de ce qui est couramment dénommé « la clause grand-père », consistant ici à exempter les infrastructures préexistantes des nouvelles obligations.
La Commission européenne invoque la nécessité d'unifier le cadre juridique des gazoducs « à destination ou en provenance de pays tiers ». Or, les chantiers aux deux extrémités du gazoduc sont placés chacun sous la souveraineté exclusive de l'État dont le territoire accueille le chantier. S'agissant d'une infrastructure sous-marine, comme Nord Stream-2, l'essentiel de l'ouvrage d'art voit son régime juridique totalement déterminé par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite « de Montego bay », signée le 10 décembre 1982. Le cadre juridique est donc parfaitement clair, contrairement à ce que prétend la Commission européenne.
D'autre part, plusieurs articles de la Convention sur le droit de la mer mentionnent « les pipelines », terme qui regroupe les oléoducs et des gazoducs. Un Tribunal international du droit de la mer a été créé pour trancher des contentieux portant sur la mise en oeuvre de cette convention, dont aucune disposition ne permet à un État de vérifier les conditions dans lesquelles un gazoduc est commercialement utilisé par son propriétaire. Par suite, lorsque la directive de 2009 interdit aux propriétaires de gazoducs toute vente du gaz, cette disposition restrictive ne peut pas s'appliquer à la partie immergée du gazoduc. En cas d'infrastructure exclusivement terrestre, comme celle envisagée à la frontière entre la Turquie et la Grèce, prétendre appliquer systématiquement le droit de l'Union à un gazoduc au moins partiellement situé sur le territoire d'un pays tiers se heurterait évidemment à la souveraineté de l'État concerné.
Une liaison directe évite les éventuelles crises induites par des complications impliquant un pays traversé par un gazoduc. Vouloir conforter la sécurité d'approvisionnement, un objectif inscrit à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, devrait donc inciter la Commission européenne à soutenir le projet Nord Stream-2. L'argument contraire, tiré de la prééminence prétendument renforcée de Gazprom sur le marché gazier intérieur de l'Union, est dépourvu de substance, puisque la construction de ce gazoduc n'empêcherait aucune réalisation et utilisation d'autres infrastructures gazières à destination de l'Union. La Grèce et l'Italie, par exemple, pourraient être desservies grâce aux gisements découverts au large de l'Égypte, sans que Nord Stream-2 ne constitue un obstacle.
Enfin, l'Union européenne doit respecter les choix des États membres s'agissant de leur approvisionnement en énergie. Empêcher la desserte directe d'un État membre par un gazoduc méconnaîtrait manifestement cette limitation.
Quelle que soit la facette juridique envisagée, le principe de subsidiarité trouve donc à s'appliquer. D'où l'avis motivé que nous vous avons soumis.
Je vous remercie de vos présentations techniques. La proposition de la Commission européenne concerne Nord Stream-2, un gazoduc extrêmement important pour la sécurité d'approvisionnement de l'Union, dès lors que la traversée de l'Ukraine devient incertaine. Si ce pays perd les quelque 400 millions de dollars perçus au titre des droits de transit, il pourrait solliciter l'Union européenne. J'ai toujours estimé que Nord Stream-2 allait faire de l'Allemagne le hub gazier européen. Celle-ci aura donc des obligations envers les pays d'Europe centrale et orientale.
Je souscris à la conclusion de nos rapporteurs sur la non-conformité au projet de directive avec le principe de subsidiarité. Je les félicite d'avoir débusqué le motif réel de cette directive et de le citer nommément dans la résolution : Nord Stream-2. Ce projet divise notoirement les Européens. Treize pays de l'Union, à commencer par la Pologne, y sont opposés. L'Allemagne refuse l'implication de Bruxelles pour les raisons qui ont été évoquées. Pour Berlin, Nord Stream-2 reste un projet commercial. Ajoutons à cela, pour parachever le tableau politique, que le Sénat américain s'est formellement opposé au pipeline Nord Stream-2. Conformément à ses habitudes, il a menacé de sanctions ceux qui financent ce projet. Parmi les entreprises visées, figure Engie. Cette décision intervient dans le contexte politique de la Crimée et de la crainte des pays d'Europe centrale envers leur voisin russe. La position du Sénat américain est politique et économique, car il s'agit de favoriser l'exportation de son gaz de schiste en Europe, qui sera un grand importateur de gaz. L'industrie américaine n'approuve pas ces exportations, car le gaz de schiste lui permet d'obtenir les coûts compétitifs dont devraient désormais bénéficier ses concurrents européens.
Dans ce contexte géopolitique, la Commission de Bruxelles veut s'imposer dans les négociations internationales, en révisant la directive de 2009. Pour moi, sa proposition est contraire au principe de subsidiarité. Accessoirement, l'alinéa 10 de l'avis motivé relève opportunément que les modifications de la directive de 2009 « conduisent à étendre le domaine d'application du droit de l'Union en dehors de ses frontières », exactement ce qui est couramment reproché aux États-Unis !
Je veux bien que l'on conteste la méthode utilisée par la Commission européenne. Je me suis déjà exprimé contre ce gazoduc. Je pense qu'il accroît la dépendance envers la Russie. Il faut rappeler ce qui s'est passé avec le précédent projet d'un gazoduc via l'Ukraine. Les Ukrainiens n'y étaient pas opposés, mais ce sont les Russes qui ont fait marche arrière, de peur de ne pas pouvoir le couper eux-mêmes. Certes, on essaye de nous rassurer en nous disant que Nord Stream-2 sera géré par des sociétés privées. Or, Gazprom est une entreprise publique dans un pays semi-autoritaire. Et, même si Gerhard Schröder est un grand homme d'État, il y a ici un mélange des genres gênant. Si notre collègue Jean-Yves Leconte était là, il nous rappellerait que l'on pourrait passer par la terre via la Pologne. C'est une décision politique qui a été prise. Or, si on souhaite que l'Union européenne dispose d'un minimum de souveraineté, il faut contester ce qui se passe. Certains pays, comme la Finlande, les pays baltes et scandinaves combattent ce projet. Il faut entendre leurs préoccupations. Notre position leur semble très détendue. Ce gazoduc est un choix géopolitique voulu par les Allemands. Ils s'y prêtent volontiers. Je ne suis pas sûr qu'ils en aient besoin pour peser en Europe.
Sur le fond, je ne désapprouve pas la volonté de la Commission européenne de contrôler ce qui se passe.
Il est vrai que les États-Unis profitent du contentieux entre l'Union européenne et la Russie au sujet de l'Ukraine pour donner un avis sur le projet Nord Stream 2.
Je trouve cela choquant, car j'y vois une intrusion dans la politique intérieure de l'Union européenne. Le fait de fabriquer à partir du gaz de schiste des produits énergétiques qu'ils voudraient vendre à un moment donné à l'Union n'est sans doute pas étrangère à la position des États-Unis.
L'exportation de pétrole brut a longtemps été interdite aux États-Unis, mais cet embargo a été récemment levé. Le pays a une certaine autonomie énergétique. Nous constatons une certaine vision de la géopolitique, une extrême réactivité, mais pas toujours une grande objectivité dès que les intérêts nationaux sont en jeu.
Le gazoduc Nord Stream-2 comporte une dimension géopolitique majeure. Toutefois, comme l'ont dit les rapporteurs, il faut raisonner sur le long terme. Or, à partir de la réserve gazière du côté de Chypre, demain ou après-demain, il y a aura une alimentation de l'Europe par le sud. Certes, la Turquie risque de se manifester. Mais cela rééquilibrera la prééminence de Gazprom dans l'approvisionnement énergétique européen. Il ne faut pas non plus oublier les quelque 50 à 60 milliards de mètres cubes annuels en provenance de l'Algérie et de la Tunisie.
En tout état de cause, nous devons trouver un subtil équilibre entre le fait de pouvoir assurer des accords commerciaux avec un grand voisin turbulent, mais qu'il ne vaut mieux pas laisser totalement isolé, et la protection contre une dépendance énergétique.
Lors de la COSAC à Tallin, il y a quelques jours, j'ai constaté que certains pays d'Europe du Nord sont inquiets. L'Estonie regarde la Russie avec une grande objectivité, en se préparant au cas où. D'autres pays baltes, comme la Lituanie, la regardent avec appréhension, voire agressivité. De manière générale, les uns et les autres considèrent que nous sommes un peu trop tolérants à l'égard de la Russie.
À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution portant avis motivé.
Le 8 novembre 2017, la Commission européenne a publié la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2009/73/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, référencée COM(2017) 660 final.
Cette proposition tend à modifier huit articles de la directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009. La principale modification (article 2) porte sur la définition du concept d'interconnexion, pour l'étendre aux lignes de transport « entre des États membres et des pays tiers jusqu'à la limite du territoire de l'Union », alors qu'il désigne actuellement une ligne de transport qui franchit la frontière entre deux États membres, à seule fin de relier les réseaux de transport. La nouvelle définition est cohérente avec la modification introduite aux articles 34, 36, 41, 42 et 49 de la directive 2009/73/CE, via des alinéas quasiment identiques, tendant à imposer l'application de la directive modifiée à ces interconnexions « de manière cohérente jusqu'à la frontière du territoire de l'Union ». Les modifications apportées aux articles 9 et 14 autorisent les États membres à tolérer la possession par l'entreprise verticalement intégrée de l'interconnexion avec le réseau d'un pays tiers lorsqu'elle appartient déjà à une entreprise verticalement intégrée. Dans le même esprit, la nouvelle rédaction de l'article 49 permet de déroger à l'application du nouveau régime juridique en faveur des gazoducs achevés avant la date d'entrée en vigueur de la directive modificatrice.
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat fait les observations suivantes :
- l'édiction de règles communes aux États membres régissant le marché du gaz n'est pas en soi contraire à l'idée d'une Union de l'énergie, dont il approuve le principe ;
- toutefois, l'énergie étant une compétence partagée, il convient de limiter l'intervention de l'Union aux objectifs qui ne peuvent pas être atteints de façon suffisante par les États membres, mais qui peuvent l'être mieux au niveau de l'Union ;
- les modifications proposées interviennent dans un domaine régi jusqu'à présent par des accords internationaux, qui peuvent être intergouvernementaux ou commerciaux, ce dernier cas étant celui du gazoduc Nord Stream 2 ;
- elles ne sont pas de nature à renforcer la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union ;
- elles aboutissent à interférer dans les compétences des États membres au titre de la négociation des accords internationaux et d'accords commerciaux portant sur la réalisation d'infrastructures ;
- elles conduisent à étendre le domaine d'application du droit de l'Union en dehors de ses frontières, sans que cette extension ne trouve une base juridique dans les traités européens ;
- si l'application de ces dispositions empêchait la réalisation d'un gazoduc, il en résulterait une atteinte à la souveraineté de l'État membre concerné pour déterminer les conditions générales de son approvisionnement énergétique ;
- au surplus, les gazoducs sous-marins sont actuellement régis par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, qui n'autorise pas les parties à contrôler l'utilisation commerciale de ces infrastructures ;
Notre ordre du jour appelle maintenant la communication de Colette Mélot et d'André Gattolin sur l'examen de subsidiarité auquel ils ont procédé concernant les ventes de biens en ligne. Lors de sa réunion du 23 novembre, le groupe de travail sur la subsidiarité a considéré que la proposition de directive peut soulever un problème de subsidiarité en ce qu'elle tend à une harmonisation complète pour toutes les ventes de biens de consommation. Je rappelle que nous avions déjà manifesté des réserves, en 2016, dans un avis motivé, sur une proposition de directive qui prévoyait une harmonisation complète de certains aspects des contrats de vente, ne laissant que peu de place aux États pour apporter des garanties supplémentaires. Nos deux rapporteurs vont donc nous livrer leur appréciation sur ce nouveau texte.
Avant de débuter, je souhaite préciser que notre communication sera concise et appellera d'autres investigations. Il y a deux ans, dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne a présenté deux textes pour favoriser le commerce en ligne transfrontière. La première proposition porte sur les contrats de fourniture de contenus numériques, comme les vidéos, les jeux et la musique. Le second texte vise certains aspects des contrats d'achat en ligne de biens.
La Commission estime que l'Union européenne ne tire pas assez parti des possibilités offertes par le numérique en ce qui concerne le commerce transfrontière. Comme souvent, c'est la faute aux législations nationales qui fragmentent le marché, compliquent la tâche des entreprises et augmentent leurs coûts pour vendre dans un pays qui n'est pas leur pays d'établissement.
Pour avancer, et en attendant une étude sur le droit de la consommation menée dans le cadre de l'exercice « Mieux légiférer », le Conseil a décidé de travailler en premier sur le texte sur la fourniture de contenus numériques. En ce domaine, il y a actuellement peu ou pas de législation propre, il est donc plus facile de bâtir des règles européennes communes. Un long travail a été mené pendant un an et demi et qui a abouti à une orientation générale adoptée en juin dernier.
Une fois, cette orientation générale adoptée, dans un souci de cohérence, les États membres sont tombés d'accord sur le principe qu'il ne peut y avoir trois types de règles pour les consommateurs : un pour la vente de biens en face en face, un pour les ventes de biens en ligne et un pour la fourniture de contenus numériques. C'est à la fois dans l'intérêt des consommateurs et des professionnels qu'il y ait un maximum de règles communes. Il a donc été décidé que la proposition visant les achats de biens en ligne ne se limiterait pas seulement à ceux-ci, mais s'appliquerait à l'ensemble des achats. Pour assurer la cohérence, les discussions devraient s'appuyer sur les dispositions adoptées pour la fourniture de contenus numériques.
C'est suite à ce virage qu'une proposition de directive modifiée a été soumise au Sénat au titre du contrôle de subsidiarité. Or, lors du contrôle que nous avions mené sur les propositions initiales, nous avions estimé que le principe d'harmonisation maximale prôné par la Commission européenne pour ces directives était contraire au principe de subsidiarité. Et le Sénat avait adopté un avis motivé le 7 mars 2016.
L'approche de l'harmonisation maximale interdit aux États membres d'adopter des mesures qui divergeraient de celles de la directive, y compris pour proposer une protection plus grande pour leurs consommateurs. À nos yeux, une directive doit fixer un résultat à atteindre, une sorte de niveau minimum de protection, et elle doit ensuite laisser aux États membres les moyens d'y parvenir, quitte à adopter des règles plus protectrices s'ils le souhaitent.
Dans la réponse qu'elle a adressée au Sénat le 15 juin 2016, la Commission estimait que le choix de la méthode d'harmonisation ne relève pas, je cite : « du choix entre l'action de l'Union et l'action des États membres, qui est l'objet propre du principe de subsidiarité. Ce choix se réfère plutôt au contenu et à la forme de l'action de l'Union qui ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités, selon le principe de proportionnalité ».
La proposition révisée qui nous est soumise ne change pas d'approche, elle vise toujours une harmonisation maximale. Mais en outre, elle abroge une directive de 1999 sur la garantie des biens de consommation, qui est une directive d'harmonisation minimale.
Avec André Gattolin, nous nous sommes posé la question d'un nouvel avis motivé pour rappeler une nouvelle fois notre position à la Commission européenne. Mais nous craignons le dialogue de sourds ! Et il faut avouer que nous étions la seule chambre parlementaire, à l'époque, à avoir estimé qu'il y avait un problème de subsidiarité.
C'est pourquoi, Monsieur le président, je pense que nous devrions sortir du seul contrôle de subsidiarité et prendre le temps d'une étude plus longue du texte au fond. Nous pourrions ainsi vous soumettre une proposition de résolution à l'égard du Gouvernement et un avis politique à destination de la Commission européenne, dans lequel nous pourrions nous prononcer sur l'opportunité d'une harmonisation maximale.
Je partage l'avis de Colette Mélot. La Commission européenne connaît notre position sur l'harmonisation maximale au regard du principe de subsidiarité. Si elle refuse d'en tenir compte, nous pouvons lui faire connaître notre position au fond, par le biais du dialogue politique.
Nous ne sommes pas les seuls à nous interroger sur le niveau de l'harmonisation. Notre gouvernement s'interroge aussi et n'est pas le seul. Je remarque que lors des négociations sur la proposition concernant la fourniture de contenus numériques qu'a évoquée Colette Mélot, le gouvernement français a obtenu qu'en ce qui concerne la limitation dans le temps de la responsabilité du fournisseur de contenu, la clause d'harmonisation soit minimale. Ainsi, le jeu de pression politique existe, même si sur le principe, la Commission européenne nous a opposé une fin de non-recevoir. C'est donc la preuve qu'il ne peut y avoir d'harmonisation maximale sur tous les aspects du droit des consommateurs, qui relève parfois de cultures juridiques nationales très différentes.
La Commission le reconnaît d'ailleurs. Mais, dans son approche, elle dit : si sur certains aspects tel ou tel pays verra la protection des consommateurs régresser, il faut regarder les réformes dans leur ensemble pour voir si, au total, les consommateurs seront mieux ou moins bien protégés. C'est pourquoi, je pense moi aussi que nous devrions approfondir notre étude de cette réforme.
J'en reviens maintenant au contrôle de subsidiarité. La Commission européenne profite d'une ambiguïté dans la rédaction du protocole n° 2 au traité sur l'Union européenne qui ne me paraît pas de nature à nourrir des échanges constructifs avec les parlements nationaux.
Si l'article 5 de ce protocole prévoit que, je cite, « les projets d'actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité », l'article 6 énonce que « tout parlement national ou toute chambre de l'un de ces parlements peut adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité » uniquement, et pas au principe de proportionnalité.
On voit bien ici la différence entre la lettre et l'esprit du texte et l'intérêt qu'à la Commission européenne à nous contenir dans un contrôle plus étroit. Mais est-ce démocratique ? Est-ce le sens qu'ont voulu donner les rédacteurs du traité ?
Jean-Claude Juncker a annoncé, le 14 novembre dernier, la création d'une task force « subsidiarité, proportionnalité et « faire moins et de manière plus efficace ». Elle devra remettre à la mi-juillet 2018 un rapport avec des recommandations sur la manière de mieux appliquer les principes de subsidiarité et de proportionnalité, en recensant les domaines d'intervention dans lesquels l'activité pourrait être « redéléguée » ou définitivement réattribuée aux États membres. Elle doit également réfléchir sur les moyens permettant de mieux associer les autorités régionales et locales à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques de l'Union européenne.
Je ne sais pas comment cette équipe va travailler, ni comment nous pouvons l'interpeller. Mais je crois, Monsieur le président, que nous devrions lui faire part de nos interrogations quant à l'interprétation que fait la Commission européenne du contrôle de subsidiarité par les parlements nationaux.
Je crois que nous pouvons aussi poser la question de ces directives d'harmonisation maximale qui ne laissent quasiment aucune marge aux États. Ainsi, cette directive s'apparente de plus en plus à un règlement d'application totale et directe. Le marché unique ne peut pas tout justifier.
Il y a une tendance, une volonté, via des outils comme les actes délégués, d'aller vers un renforcement de la Commission européenne, au détriment des États membres. En l'espèce, sur la protection des consommateurs, la Commission cherche à mettre tout le monde à un même niveau moyen. Pour certains pays, notamment les pays de l'Est cela sera une progression, mais pour d'autres pays comme la France, c'est une régression de la protection qui se profile. Ce n'est plus l'esprit du « mieux disant » qui prévalait dans la rédaction des directives européennes. Je suis pour la construction européenne, mais elle doit se faire avec les États membres et pas contre eux, surtout quand ils veulent améliorer les droits de leurs citoyens.
C'est le résultat d'une certaine pression que l'on met sur la Commission européenne. La subsidiarité doit s'exprimer parce que certains Etats membres doivent pouvoir positionner leur niveau d'exigence, surtout sur des sujets qui conditionnent le quotidien de demain.
Je souhaitais également vous rendre compte de ma participation à la huitième conférence sur la subsidiarité organisée par le Parlement autrichien et le Comité des régions de l'Union européenne à Vienne le 4 décembre dernier. J'ai été frappé par la volonté de nombreuses régions présentes qui affichaient leurs ambitions. Les organisateurs voulaient échanger sur les moyens à mettre en oeuvre pour, je cite, « transformer ce principe en action », dans un contexte marqué, comme je vous l'ai indiqué précédemment, par la création de la Task force, évoquée à Tallinn, suite au discours de l'Union du président Juncker. La Commission européenne a en effet indiqué qu'il y aurait trois représentants des parlements nationaux, aux côtés du Parlement européen et de la Commission pour surveiller la subsidiarité. J'ai, dans ce cadre, été invité à m'exprimer sur le rôle des parlements nationaux en matière de contrôle de subsidiarité. La Commission européenne, la Cour de justice de l'Union européenne et des représentants des parlements nationaux et des assemblées régionales étaient associés à cette réunion.
Des échanges qui ont rythmé la journée je retiens plusieurs éléments.
En premier lieu, les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont, aux yeux de l'ensemble des intervenants, une des clefs de voûte de l'édifice européen - ce qui n'était pas le cas, il y a encore quelques années. Leur plein respect garantit la stabilité de l'ensemble. Toute refondation de l'Union européenne passera par une amélioration de leur prise en compte. Il convient néanmoins d'avoir une idée précise de leurs contours. La notion de subsidiarité ne saurait se confondre avec celle de souveraineté. J'ai trop entendu, de la part de représentants des régions, la volonté de ne laisser à l'Union européenne et aux États que la portion congrue des affaires publiques. La subsidiarité ne saurait conduire à l'exacerbation des crispations identitaires, surtout par les temps qui courent. Si la subsidiarité est devenue, à juste raison, un moyen d'action politique, elle ne doit pas être détournée de son objectif initial : faciliter l'action de l'Union européenne lorsque les circonstances l'exigent et faire en sorte que cette action ne soit pas mise en oeuvre isolément au sein de chaque État membre.
J'ai pu relever une différence d'approche pour partie légitime entre États fédérés et États décentralisés. Même si le traité indique que la subsidiarité peut aussi prendre en compte la dimension locale, il me semble néanmoins que son contrôle doit revenir aux seuls parlements nationaux. Certaines régions militent en effet pour que la procédure mise en place au sein du Protocole n°2 soit en quelque sorte décentralisée aux assemblées régionales qui pourraient donc émettre comme les parlements nationaux des avis motivés et, une fois un seuil atteint, un carton jaune adressé à la Commission européenne. On voit ainsi la dimension que souhaitent prendre ces régions, qui veulent s'approprier cet outil. C'est notamment le cas dans les États fédérés. Je me souviens des discussions à propos de la politique agricole commune. Chaque région voulait pouvoir organiser sa propre politique. Je trouve que l'équilibre que l'on a mis en place en France pour les fonds européens, avec les régions comme autorité de gestion, mais non décisionnaires sur le cadre de la politique de cohésion, est pertinent.
Au-delà de cette question, les options que nous défendons au Sénat et en particulier au sein de cette commission trouvent un écho chez nos partenaires. Il en va ainsi de l'allongement nécessaire du délai d'examen des textes limité à huit semaines qui peut apparaître court et mériterait une prolongation d'au moins deux semaines.
La question du carton orange tel que défini dans le paquet Tusk puis abandonné par l'Union européenne après le referendum britannique, reste également d'actualité. Il était en effet envisagé que dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentent plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil devrait inscrire la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie. À la suite de cette délibération, les représentants des États membres pourraient mettre fin à l'examen du projet d'acte en question ou le modifier pour prendre en compte les préoccupations exprimées.
Plusieurs intervenants sont également revenus sur la question de la simplification. Nous l'avons toujours dit ici, celle-ci est connexe au contrôle de subsidiarité. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la Task force, créée par Jean-Claude Juncker, prévoit aussi de « faire moins mais de manière plus efficace ». Je vous renvoie à nos travaux passés sur le sujet.
Je conclurai mon propos en revenant sur un point qui nous préoccupe depuis de nombreuses années : le contrôle des actes d'exécution et des actes délégués sous l'angle de la subsidiarité. Pratiquement tous les intervenants en ont parlé. Nous avons attiré l'attention de la nouvelle secrétaire générale des affaires européennes, qui a dit en prendre bonne note. Ces actes ne nous sont aujourd'hui pas transmis par la Commission. Or, il s'agit de compléments d'actes législatifs. Notre position est partagée par d'autres parlements nationaux. Le juge français de la Cour de justice de l'Union, Jean-Claude Bonichot, a indiqué lors de son intervention à la Conférence que ces actes devraient eux aussi faire l'objet d'un contrôle au titre de la subsidiarité. La Commission pourrait donc être conduite, à l'avenir, à réviser sa position sur le sujet. La Cour est, indiscutablement, un véritable allié en la matière. Je relève d'ailleurs que si la subsidiarité est un moyen d'action politique, elle reste également un principe juridique. La Cour s'est déjà exprimée à 135 reprises sur des cas supposés de violation du respect du principe de subsidiarité, le Tribunal de l'Union européenne 68 fois. Aucune décision sanctionnant la Commission n'a cependant pour l'heure été rendue - et je ne pense pas en voir une un jour.
Sur la refondation de l'Union et la subsidiarité, il y a une prise de conscience réelle de l'ensemble des États membres. Ce qui peut freiner ce sont les revendications des régions. L'Union européenne a été créée pour obtenir une masse critique, et avoir une voix, si ce n'est unique, a minima d'ensemble, mais tout en faisant entendre la spécificité de chaque État membre.
En ce qui concerne la Task force, le nombre de trois représentants pour les parlements nationaux est faible.
La COSAC réunit les parlements nationaux des 27 États membres, ainsi que ceux des États dits observateurs. Ses travaux sont animés par une « troïka », constituée par le pays ayant la présidence, et les deux pays qui vont lui succéder (en l'occurrence, la Bulgarie, puis l'Autriche). Il est important d'être présent à la COSAC, car cela permet de faire passer des messages.
Avec Simon Sutour et Philippe Bonnecarrère, nous souhaitons vous rendre compte des travaux de 58è COSAC qui s'est tenue à Tallinn et à laquelle nous avons participé. Le premier débat a porté sur l'avenir de l'Union européenne. En priorité, je retiendrai les propos optimistes et volontaristes de la présidente estonienne Mme Kersti KALJULAID, selon laquelle, « on est sortis de la morosité ; on voit les opportunités ; il faut agir fermement et privilégier ce qui unit. » Elle a souhaité que l'Union ouvre des perspectives aux jeunes, que le futur cadre financier permettre de renforcer la solidarité et que la subsidiarité soit le principe directeur.
Michel BARNIER, négociateur en chef pour le Brexit, a souligné le rôle clé des parlements nationaux pour promouvoir un nouvel élan dans le débat démocratique. On ne peut que souscrire à son constat selon lequel, pour l'Union européenne, le pire c'est le silence. Il faut, selon lui, évaluer objectivement les politiques européennes et « accorder plus d'importance aux grands sujets et moins aux petites choses. »
S'agissant du Brexit, le négociateur en chef a fait valoir que la construction d'un partenariat solide dépendrait de trois éléments clés. Il s'agit tout d'abord d'un accord sur un retrait ordonné à partir des trois conditions posées par l'Union européenne (situation des citoyens, Irlande et règlement financier). Comme vous avez pu le lire dans les journaux, l'Irlande est un sujet à rebondissement. Par ailleurs, il ne devra y avoir aucune concession sur le marché unique. Enfin, il est nécessaire de s'assurer du respect des règles du jeu pour l'avenir : il faudra apprendre à gérer désormais le risque de la divergence réglementaire en évitant qu'elle ne soit un instrument de dumping. Ce message est très clairement adressé à Londres, ainsi qu'aux Etats-Unis. Si ces trois conditions sont respectées, alors il sera possible de construire un partenariat ambitieux, qui pourra inclure également la recherche, la coopération universitaire ou encore la sécurité.
Le besoin d'unité au-delà du Brexit a été souligné par Danuta HUBNER, présidente de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, qui a également jugé possible de permettre à ceux qui veulent aller plus vite de le faire dès lors que la porte reste ouverte aux autres pays. Ce sont les coopérations renforcées, auxquelles toutefois les pays de l'Europe centrale et orientale ne sont pas favorables, de peur d'une Europe à deux vitesses.
Dans le débat qui a suivi, le besoin de plus de transparence, de lutte contre le dumping, d'une Europe qui protège et d'un socle commun de droits sociaux ont été fréquemment mentionnés.
Je ferai référence à la réponse de Michel BARNIER qui a appelé fort justement à comprendre le sentiment populaire exprimé dans plusieurs pays auquel il faut répondre en ne le confondant pas avec le populisme. Il faut, selon lui, ajouter une dimension sociale au marché unique avec plus de cohésion et un socle commun de droits sociaux.
Ces préoccupations ont été également largement exprimées dans un deuxième débat qui portait précisément sur le rapprochement de l'Union européenne des citoyens. J'y ajouterai l'idée d'une Europe qui fait moins mais de façon plus efficace, en donnant des réponses aux problèmes concrets des citoyens. C'est précisément ce que nous avons défendu ici-même au Sénat dans notre rapport sur la refondation de l'Union européenne.
Au cours d'un troisième débat sur l'Europe du numérique, j'ai pu faire partager à nos collègues européens les préoccupations que nous avons souvent mises en avant, en particulier sur la couverture numérique du territoire - l'engagement du Sénat français, notamment par les travaux de nos collègues André Gattolin, Colette Mélot et Catherine Morin-Dessailly, et de la commission de la culture, a été rappelé -, l'émergence de champions européens, les conditions de mise en oeuvre des règles de concurrence, la régulation des plateformes, la protection des données personnelles ou encore la cybersécurité. Les interventions ont montré une forte sensibilité de nos collègues européens aux enjeux de l'accès de tous au numérique et de la cybersécurité. On notera sur ce dernier point l'ouverture de la première «ambassade des données » par l'Estonie au Luxembourg pour sauvegarder les données les plus importantes. Une loi luxembourgeoise permet de protéger ce « centre de données » comme une ambassade. Si certains pays de l'Europe du Nord sont très avancés en matière d'administration numérique, il n'est pas certain que toutes les précautions aient été prises pour faire face à une cyberattaque.
Enfin, deux autres débats ont porté respectivement sur l'Union de la sécurité et sur la dimension extérieure des migrations. Sur la sécurité, on retiendra essentiellement les besoins de partage d'informations et de prévention de la radicalisation, soulignés tout particulièrement par le commissaire Julian King. Sur les migrations, a été relevée la nécessité d'aider les pays d'origine pour prévenir le phénomène et favoriser le développement, de mieux identifier ceux qui ont besoin d'une protection par rapport aux migrants économiques et de promouvoir les retours notamment à travers des accords de réadmission. Autant de pistes que nous avons mises régulièrement en avant.
Enfin, s'agissant de la Task force sur la subsidiarité, annoncée par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l'état de l'Union, la COSAC ne s'est pas satisfait du nombre de trois représentants des parlements nationaux. Elle a donc demandé à pouvoir désigner trois membres supplémentaires. En toute hypothèse, un groupe de travail composé des parlements nationaux intéressés, viendrait nourrir un dialogue régulier sur les travaux de cette Task force.
Voilà, quelques éléments que je souhaitais vous livrer et que mes collègues peuvent compléter s'ils le souhaitent.
Je souscris pleinement à votre présentation. En marge de la COSAC, j'ai participé à deux évènements liés à mon groupe politique, et en accord avec le Président de notre commission, il nous a semblé intéressant de vous faire part de ces éléments, concernant principalement la vie politique allemande. J'ai participé grâce à la fondation Adenauer à une réunion avec M. Schäuble. Nos amis allemands pensent que la Chancelière fera l'objet d'un vote de confiance au Parlement en janvier, mais que la constitution du gouvernement prendra du temps. La « coalition Jamaïque » n'a pas vu le jour car le FDP ne l'a pas souhaitée. Pourtant, les Verts ont accepté de nombreux compromis, notamment la mise en place d'un quota de 200 000 migrants, ainsi que de règles permettant d'éviter les regroupements familiaux. On se dirige désormais vers une « grande coalition » entre le CDU-CSU et le SPD. L'hypothèse de nouvelles élections est écartée, tout comme celle d'un gouvernement minoritaire. En effet le seul précédent historique est celui de la République de Weimar.
M. Schäuble nous a également indiqué avoir rencontré le président français en octobre. À cette occasion, il a attiré son attention sur l'importance que jouait, dans la lecture de la vie politique allemande, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Il estime qu'en France, nous n'y prêtons pas suffisamment attention, et que nous n'avons qu'une connaissance parcellaire de la Loi Fondamentale allemande.
Dans le cadre d'une autre rencontre avec la fondation Schuman et la fondation Adenauer, il nous a été indiqué une interrogation à la CDU sur qui sont leurs correspondants politiques en France. Ils ne savent pas s'ils doivent se tourner vers Les Républicains, ou la République en marche ou les deux à la fois. Cela pose notamment des questions dans la perspective des prochaines élections européennes. Ils s'inquiètent ainsi du devenir du PPE.
La question de la défense européenne reste compliquée. L'Allemagne reste très en retrait. En outre, elle reste attachée à la notion d'élargissement, notamment vers les Balkans, principalement la Serbie, voire la Macédoine.
Enfin, on constate une inflexion sur ses relations avec la Chine. Nous connaissons l'importance de l'export allemand et des relations commerciales pour ce pays. Or, un changement est en train de s'opérer, notamment suite à l'échec à la dernière minute de l'achat par des industriels chinois de la plus grande entreprise de robot allemande, Kuka. Leur politique est devenue plus pragmatique et réaliste.
Je suis assez sceptique sur la mise en place de la « grande coalition ». En effet, Martin Schulz va faire monter les enchères. Or, Mme Merkel ne dispose pas de beaucoup de marges de manoeuvre. En outre, la CSU vient de changer de président qui a affirmé que son objectif était de gagner les élections en Bavière et de faire reculer l'AfD. Aussi, si Mme Merkel arrive à trouver un accord avec les socialistes, il n'est pas sûr que la CSU accepte les compromis qu'elle aura dû concéder.
La réunion est close à 19 h 35.