Merci de vos questions. J'y répondrais à partir de quatre grands thèmes : la vision de l'avenir des sites, le positionnement de Michelin et l'esprit de dialogue social qui conditionne réussite et échec, l'usine du futur et enfin le rôle pour l'État.
S'agissant de la vision, je souhaite vous communiquer trois chiffres : en 1950, il y avait 50 millions de véhicules dans le monde ; en 2000, 800 millions ; en 2050, il y en aura deux milliards. La croissance et la mobilité se complètent et se supportent mutuellement. Cesser de construire des usines, des voitures, des pneumatiques serait une impasse, mais il s'agit de concevoir des produits et des services vertueux pour les consommateurs comme pour la planète. Nous voulons produire des pneumatiques sobres, efficaces et sûrs.
Nous devons utiliser moins de matière. Le pneu pour poids lourds bénéficie déjà du rechapage, c'est-à-dire de la réparation. Le pneu usé est recreusé et rechapé, jusqu'à deux fois, et offre les mêmes performances que s'il était neuf. Ce processus autorise une économie de 50 % de matière. En termes de coût écologique et économique, ce modèle est sobre et circulaire. Face à la paupérisation du monde, nous devons offrir des pneus pour tous les consommateurs.
Enfin, parce que la sécurité est indispensable, il est nécessaire de continuer à innover dans nos centres de recherche et développement. Le site phare est celui de Ladoux, à Clermont-Ferrand, mais nous avons des antennes en Espagne et en Finlande, afin de disposer d'une offre universelle adaptée à tous les climats. Nous souhaitons continuer à proposer des produits qui préservent la planète, c'est aussi une part du positionnement sociétal de l'entreprise.
Nous sommes donc confiants quant à l'avenir de nos sites, mais les marchés sont volatils et nous ne les maîtrisons pas. Il importe de poursuivre notre stratégie de compétitivité site par site en « sortant de la boîte » en ce qui concerne le dialogue social. Les relations sociales chez Michelin n'ont pas toujours été faciles, mais nous avons gagné en sincérité et en maturité de part et d'autre.
La confiance demande de la discipline. À Roanne, le plus difficile a été de convaincre en interne que nous pouvions transformer un site par l'engagement des personnels, pourvu qu'on lui laisse une véritable chance, sans rien écrire d'avance. Nous avons seulement fixé des cibles afin de rattraper notre retard sur nos concurrents.
Le prérequis, c'est la présence de représentants du personnel dotés de grandes qualités humaines. Alors il devient possible de travailler avec toutes les organisations syndicales. Quel que soit le site concerné, dès lors que se produit cette réconciliation entre l'humain et l'économique, on peut travailler sans préjugé.
Une telle réconciliation de l'humain et de l'économique nous donne confiance en le monde dans lequel nous vivons.
Le dialogue social est une chose, le positionnement stratégique en est une autre. Nous ne pouvons pas nous battre sur tous les marchés : nous ne pouvons pas concurrencer les usines de Serbie, de Roumanie, qui fabriquent en masse des pneus intermédiaires ou de troisième gamme. Le site de Roanne a pu être préservé car il produit du très haut de gamme. Nous avons investi pour y installer des machines très modernes et fabriquer des pneus de très haute performance pour Ferrari, Tesla ou BMW. Nous avons dû transformer les opérateurs en techniciens : 50 % du personnel a été formé à un métier nouveau. À cet égard, l'accompagnement des organisations syndicales est indispensable : libérer les énergies fait gagner en performance mais peut déstabiliser. À Roanne, l'accompagnement du changement, en termes de communication, nous a montré qu'on peut faire énormément de choses dès lors qu'on laisse les personnes devenir acteurs de leur avenir, et que le changement est introduit de manière progressive.
Pour autant, nous sommes toujours otage des marchés. C'est pourquoi la réactivité est si importante. Ainsi, au Puy et à Montceau, pendant trois ans, nous avons fait le gros dos pendant la partie basse du cycle du génie civil, qui est désormais dans une phase très favorable puisque le marché explose. Encore faut-il pouvoir tenir le coup pendant la phase basse du cycle. L'important pour une usine n'est pas le volume mais sa réactivité, sa capacité à attraper des commandes ; cette flexibilité aide à faire face à un marché volatil et à traverser les crises.
Nous avons fermé l'atelier de rechapage de la Combaude l'année dernière parce que les pneus chinois neufs sont moins chers que nos pneus rechapés. Au-delà du positionnement sur un marché où un site est compétitif, de l'organisation d'un bon dialogue social, des phases favorables du cycle, que faut-il encore ? L'État doit favoriser la compétitivité. Il agit, déjà, et le CICE compte pour 9 millions d'euros dans les 80 millions d'investissements effectués à Roanne pour l'achat ou la fabrication de machines. Le CIR doit absolument être maintenu pour aider les entreprises à innover en France. Ce que nous en recevons se retrouve dans tous nos projets : minier, adhérence au sol, balises... Même si cela ne représente que 28 millions d'euros sur un budget total de 600 millions d'euros, cela fait la différence. La stabilité de la fiscalité pourrait être renforcée, car elle est indispensable pour les investisseurs.
Nous avons parlé de taxe foncière. C'est un sujet difficile.