Intervention de Yves Dauge

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 décembre 2017 à 11h30
Plan national en faveur des nouveaux espaces protégés — Audition de M. Yves dauGe

Photo de Yves DaugeYves Dauge :

À la demande du précédent Gouvernement, j'ai rédigé un rapport au Premier ministre - M. Bernard Cazeneuve à l'époque - sur la mise en place d'un « Plan national en faveur des nouveaux espaces protégés ». Depuis, le sujet a pris de l'ampleur. Le problème est apparu avec la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Nous avions en effet indiqué à l'époque qu'il n'était pas possible de faire une loi sur le patrimoine sans s'intéresser à la réalité de la situation. Or, on constate aujourd'hui un décrochage des villes petites et moyennes, par rapport aux grandes villes. Certes, cela n'est pas nouveau, et le Sénat est beaucoup plus conscient de ce problème que l'Assemblée nationale. Sur ce sujet, le Premier ministre devrait faire demain plusieurs annonces, dont certaines découlent directement du rapport que j'ai rédigé, en collaboration avec Jean-Michel Galley, de l'association des sites et cités remarquables de France.

Les mesures prises doivent s'articuler autour de trois axes majeurs. Tout d'abord, il ne faut pas opposer les grandes villes aux villes petites et moyennes. Au contraire, il faut développer l'idée d'une alliance de ces dernières avec les métropoles, les départements et les grandes régions. C'est en retissant des liens entre les différents échelons que l'on arrivera à faire évoluer la situation dans les petites et moyennes villes. Cette alliance doit se construire autour de tous les sujets : la mobilité, la culture ou encore la santé. C'est ainsi l'ensemble des fonctions urbaines qui doivent être déclinées dans le cadre de ces alliances avec les métropoles, les départements et les grandes régions. L'État a lui aussi contribué aux difficultés de ces villes, par exemple avec la fermeture de près de 150 tribunaux.

Le deuxième axe majeur consiste à mobiliser une ingénierie autour d'un chef de projet pour mettre en oeuvre ces alliances. Cette idée a d'ailleurs été reprise dans le plan qui sera présenté demain à Cahors. Une alliance se construit, se nourrit. Il faut réunir les personnes pour les faire travailler ensemble, afin de définir conjointement un projet. Je pense notamment à l'opportunité d'associer l'agence d'urbanisme la plus proche, ou le conseil d`architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Il faut également associer les services de l'État. Il ne s'agit pas de créer une nouvelle agence, mais de mettre en place un chef de projet, un référent, autour duquel va se développer le projet. Les grandes villes ont des moyens, elles ont également des compétences : elles ont en effet démontré leur capacité à mettre en valeur leurs centres-villes historiques. Ces derniers sont devenus un lieu d'attractivité culturelle, économique. Or, aujourd'hui, les territoires ne fonctionnent pas ensemble. Ainsi Chinon, dont j'ai longtemps été maire, a très peu de contact avec Tours, située pourtant à cinquante kilomètres à vol d'oiseau.

Bien évidemment, la mise en place et la montée en puissance d'une ingénierie nécessitent des moyens financiers importants. L'État et les régions doivent appuyer les petites et moyennes villes dans le développement de leurs projets. Une expérimentation a été lancée dans trois régions. Je me suis rendu il y a peu en Occitanie, où elle connaît un certain succès, notamment en raison d'un engagement fort du préfet de région, Pascal Mailhos, et de la présidente de la région, Carole Delga. Philippe Richert, alors président de l'association des régions de France (ARF), soutenait également cette démarche. Je dois bientôt voir le nouveau président de l'ARF pour évoquer avec lui ce sujet. Je n'oublie pas non plus le département, qui peut jouer un rôle important. D'ailleurs, mon département, l'Indre-et-Loire, a mis en place une agence dédiée aux collectivités territoriales.

Enfin, le troisième axe concerne le logement. Il faut faire revenir les habitants dans les centres-villes. La ville de Bourges a perdu 12 000 habitants en l'espace de dix ans, alors qu'en périphérie, on construit des lotissements et installe des hypermarchés. Dans de nombreuses villes, la situation est très mauvaise et leur revitalisation est un défi très difficile à relever. À Lodève, il n'y a pratiquement plus de commerces dans le centre-ville, les immeubles sont squattés. Profitons de ce que de très nombreuses villes soient classées au titre des sites patrimoniaux remarquables. C'est un atout, car ce label s'accompagne de documents de protection, les plans de sauvegarde et de mise en valeur et les plans de valorisation de l'architecture et du patrimoine, à l'élaboration desquels l'État doit ou peut apporter son concours. Le ministère de la culture accorde des crédits à ces sites en 2018, même s'il faut reconnaître qu'ils ne permettent de financer que les études préalables.

Il faut monter des programmes de restructuration lourde, avec des acquisitions d'immeubles, des destructions et des reconstructions s'il le faut. Le retour des habitants dans les centres-villes est un préalable au retour des commerces. Les commerces ont besoin d'espace. Ainsi, à Troyes, a été mise en oeuvre l'ingénieuse idée de conserver la façade extérieure historique d'un bâtiment et de réaménager intégralement l'intérieur pour des activités de commerce sur 2 500 m2. Troyes fait partie des villes d'appui, qui se sont pleinement saisies du problème. Cahors, où le Premier ministre se rend demain, a commencé à avancer sur ce sujet. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Certaines ruelles du centre-ville historique sont encore constituées d'immeubles vides, à réhabiliter. La ville de Pézenas, avec ses moyens, a également fait un travail intéressant. Pour ma part, à Chinon, j'ai dû procéder à la démolition d'un certain nombre d'immeubles, car il n'était pas possible de les rénover.

Il faut aussi construire une nouvelle relation avec les architectes des bâtiments de France (ABF). L'existence d'un projet global de revitalisation du centre historique peut d'ailleurs être un moyen d'obtenir l'accord de l'ABF sur des demandes qui auraient été refusées si elles avaient été présentées séparément. Bien évidemment, cela pose la question de la capacité de l'État à accompagner ces projets et de ne pas figer les centres-villes au nom de la conservation.

Pour soutenir davantage le développement des commerces en centre-ville, j'ai proposé que tout projet de centre commercial hors zone urbaine, qui placerait la région au-dessus d'un seuil moyen de mètres carrés commerciaux par habitant, puisse être interdit. Jugée trop radicale, cette idée n'a pas été suivie mais j'espère qu'elle fera peu à peu son chemin. Par ailleurs, l'échelon départemental ne me paraît pas pertinent pour discuter de la question de l'implantation de nouveaux centres commerciaux car la commission départementale d'aménagement commercial, dans les faits, refuse très peu de projets. Les chaînes de grandes surfaces, qui se livrent une concurrence féroce sur le terrain, élèvent toute création de nouveaux centres commerciaux en contentieux auprès de la commission nationale d'aménagement commercial. Pour moi, la commission départementale devrait être transférée au niveau de la région, afin d'avoir un peu plus de recul sur les projets proposés. Si l'État a été complice de l'abandon progressif des centres-villes, les élus locaux portent aussi leur part de responsabilité : certains ont poussé pour la création de centres commerciaux en périphérie dans l'espoir de retombées financières et de création d'emplois.

En matière de financement, il me paraît aberrant que l'État subventionne davantage, via les dispositifs fiscaux existants, les constructions de pavillons en périphérie des villes, que le logement dans les centres-villes historiques. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, des amendements ont été déposés visant à apporter une modification aux défiscalisations existantes, mais, malheureusement, aucun n'a été adopté. La carte des villes petites et moyennes confrontées à une dévitalisation se superpose partiellement avec celle du vote Front national.

Le dispositif Malraux a sauvé les centres-villes des grandes villes. Toutefois, on peut se poser la question de l'opportunité du maintien de ce dispositif pour financer la rénovation du Marais à Paris, ou du coeur de Bordeaux, compte tenu des moyens financiers de ces villes, alors que les petites et moyennes villes n'y ont pas accès ou très difficilement. En effet, le taux est trop bas pour permettre à ces dernières d'en profiter. D'où ma proposition d'augmenter les taux et de les bonifier particulièrement pour les îlots les plus insalubres, afin d'y attirer l'investissement privé. Celui-ci est nécessaire pour garantir une mixité en centre-ville et empêcher que la rénovation se limite exclusivement à la transformation des immeubles en logements sociaux. Le Premier ministre devrait annoncer une expérimentation demain dans dix villes.

Le dispositif Pinel devrait être étendu aux centres-villes et y être plus avantageux puisque le coût d'achat du logement y est plus élevé.

En outre, il est certain qu'un financement spécifique sera nécessaire pour l'ingénierie. L'État doit prendre sa part.

On peut également imaginer la mise en place de concours d'architectes, afin de changer l'image de nos villes. Nantes, Bordeaux ou Lyon y sont parvenus. Nos petites et moyennes villes pourraient ainsi devenir des hauts lieux de la création architecturale. Certains l'ont fait à l'image de Pézenas.

Je souhaite revenir brièvement sur les services départementaux d'architecture. Les conditions de travail des ABF se sont dégradées : on leur demande de répondre dans des délais plus courts, et ils disposent de moins de moyens. Les ABF sont aujourd'hui menacés car ils sont souvent perçus comme une contrainte. Ce qui soulève la question de leur recrutement et de leur formation pour qu'ils soient davantage dans le dialogue avec les maires et puissent les appuyer dans les projets de revitalisation.

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