Intervention de François Grosdidier

Réunion du 13 décembre 2017 à 14h30
Réhabilitation de la police de proximité — Rejet d'une proposition de loi

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier :

Depuis sa décision d’avril 2005, il censure les dispositions ne définissant que des orientations ou ne présentant aucun caractère impératif.

Surtout, au-delà des objections juridiques, cette proposition ne nous paraît pas tirer les leçons de l’expérience.

Son postulat est que la polprox n’a pas produit tous ses effets positifs uniquement par manque de moyens et de durée. Cette analyse est trop courte ; elle risque de conduire à la reproduction des erreurs du passé.

Notre commission a souhaité sortir de l’opposition idéologique entre police répressive et police préventive.

Or votre texte se fonde sur cette opposition, laissant penser que toutes les difficultés actuelles viennent de la faiblesse de la fonction préventive.

Ainsi, il assigne aux agents de police de proximité l’objectif principal d’anticiper et prévenir les troubles à l’ordre public, avec des missions allant jusqu’à l’organisation d’opérations culturelles et sportives. Je ne parle pas des modes de locomotion qu’ils doivent utiliser : la bicyclette et les rollers…

Il faut surtout, ce me semble, ne pas sortir les policiers, déjà trop peu nombreux, de leur cœur de métier.

Le retour d’expérience sur la polprox nous éclaire. La priorité affichée de la politique de proximité était de lutter contre le sentiment d’insécurité par une présence diurne plus voyante et moins répressive. Comme si ce sentiment était fantasmé par la population ; comme s’il ne s’appuyait pas sur une réalité de la délinquance !

Or cette expérience a souvent été contre-productive.

En effet, la priorité à la prévention a même conduit des policiers à limiter leurs interventions et leurs interpellations, de manière à apaiser les tensions dans les secteurs les plus difficiles. Résultat : une augmentation de la réalité de la délinquance et donc du sentiment d’insécurité !

Les statistiques de la délinquance le confirment. La délinquance générale pendant cette période a progressé de 5 % et les violences aux personnes, de 32 %. La délinquance juvénile n’a jamais autant progressé que lors de la généralisation de la police de proximité, pourtant entièrement disposée à ce dialogue que vous demandez, chère collègue.

Qui plus est, la mise en œuvre de la polprox a conduit à renforcer les effectifs de police au cours de la journée, au détriment de la présence nocturne. Or l’essentiel de la délinquance se produit le soir et la nuit.

D’ailleurs, madame la ministre, ce problème devra impérativement être traité dans le cadre de la future PSQ. La police est chroniquement en sous-effectif de nuit. Cela s’explique par une séparation rigide des équipes diurnes et nocturnes, ainsi que par un trop faible avantage financier consenti aux « nuitiers », avantage inférieur à un euro par heure…

La restauration d’un sentiment de sécurité requiert une politique ferme de lutte contre l’impunité. La réponse pénale est indispensable et elle manque souvent aujourd’hui.

La première des préventions doit être la présence sur le terrain de policiers potentiellement répressifs, et sûrement si nécessaire, puis d’une réponse pénale certaine en cas de violation de la loi.

L’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, et l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l’IHESI, dans leur rapport de 2001, relevaient ainsi, s’agissant des quartiers les plus difficiles, où la police de proximité avait été implantée, que « faute de réponse judiciaire ferme, » – vous l’oubliez – « il est constaté que le redéploiement des policiers non accompagné de réponses durables aux problèmes de la délinquance accroît les risques d’affrontements, d’outrages et de rébellions ».

Les auteurs du rapport poursuivaient : « Le sentiment d’impunité fait ressortir et amplifie le sentiment d’insécurité et la confiance accrue que la population avait investie au démarrage du dispositif est déçue ».

Ils en concluaient que « l’option préventive, coûteuse en moyens humains par définition, ne produit pas de sécurité si elle n’est validée par une répression ultime ».

Aussi, une polprox ne peut pas être conçue sans une coordination avec l’ensemble des autres maillons de la chaîne pénale, des services d’investigation et de l’autorité judiciaire elle-même.

À cet égard, nous regrettons que le présent texte, en prévoyant la création d’un statut spécifique pour les agents de police de proximité et d’une direction générale indépendante, envisage et organise la polprox comme une fonction distincte des autres missions de la police nationale. C’est cloisonner quand il faut coopérer ; c’est renforcer la verticalité quand il faut de l’horizontalité.

Plutôt que de juxtaposer de nouvelles forces à celles existantes, il faut réorganiser l’ensemble des forces de manière intégrée et coordonnée.

Il est impossible pour la police nationale de porter, à elle seule, la responsabilité de la conduite de la politique de sécurité sur notre territoire, surtout pour le volet de la prévention.

La prévention part en amont de la protection maternelle et infantile ; elle se poursuit avec l’éducation nationale et l’action sociale, culturelle et sportive. En aval, avant la délinquance, existe l’éducation spécialisée.

Les policiers ne sauraient se substituer aux autres professionnels de la prévention, même si un travail concerté entre tous est souhaitable.

Enfin, il s’agit d’une politique difficile à mettre en place dans le contexte budgétaire actuel.

La polprox des années quatre-vingt-dix a pâti du manque de moyens ; nous serons au moins d’accord sur ce point. Certes, l’expérimentation, avec des moyens accrus, avait donné des résultats probants. Mais la généralisation à moyens constants avait été contre-productive.

Dans certains territoires, la polprox avait effectivement permis la collecte d’informations auprès des acteurs de terrain ou de la population. Or ces renseignements ont été d’autant moins traités que le déploiement de la polprox s’était fait au détriment des unités d’investigation et d’intervention. Il est d’ailleurs significatif de constater que l’amendement déposé par votre groupe, madame Assassi, lors de l’examen du projet de loi de finances, visait à donner des moyens à la polprox en les prenant sur le budget de la police nationale.

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