Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je reconnais volontiers que cette proposition de loi qui, disons-le d’emblée, ne recueille pas le soutien du Gouvernement, a le mérite de faire débattre votre assemblée d’un sujet majeur. Elle me donne l’occasion aujourd’hui d’évoquer les travaux qui sont en cours pour bâtir la future police de sécurité du quotidien.
Avant toute chose, je tiens à dire que nous partageons, non pas tous, mais une large partie des éléments de constat dont font état les auteurs de cette proposition de loi. C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement travaille à une réforme d’ampleur de la sécurité publique dans notre pays.
Ainsi, nous partageons l’ambition générale de renforcer l’efficacité de nos forces de sécurité, tout comme leurs liens avec la population, ce qui implique une plus grande autonomie accordée aux services et aux unités sur le terrain, mais aussi une meilleure prise en compte des spécificités de l’environnement local. J’y reviendrai.
Sur le constat, d’abord.
Il est évident que les forces de sécurité ne disposent pas, aujourd’hui, des outils leur permettant d’être pleinement efficaces face à l’insécurité à laquelle sont exposés nos concitoyens.
La complexité des procédures pèse sur leurs capacités d’action et nos policiers et gendarmes sont souvent dépourvus de réponse immédiate face à l’insécurité dite « de basse intensité », c’est-à-dire du quotidien.
Or ces infractions sont fortement ressenties par la population, qui s’inquiète autant de la menace terroriste que des infractions subies au quotidien. Toutes les études d’opinion le montrent. Tous les élus de terrain que nous sommes le savent parfaitement.
Les atteintes répétées à la tranquillité publique, les nuisances de tous ordres, dans les quartiers, sur la voie publique, dans les transports en commun, sont une préoccupation majeure pour les habitants.
À toutes les infractions relevées, il faut encore ajouter toutes ces incivilités qui nuisent au vivre-ensemble, mais que l’on ne mesure pas, souvent parce que les gens qui les subissent ne portent pas plainte.
La persistance de cette situation, malgré l’action déterminée et l’engagement de nos policiers et de nos gendarmes, réduit la confiance de la population en notre capacité à la protéger.
Cette réalité a pu être occultée ces dernières années par la priorité légitimement donnée à la lutte contre le terrorisme. Il faut dire également que, par le passé, elle n’a pas été traitée de manière efficace, du fait souvent d’orientations changeantes, mettant l’accent tantôt sur la prévention, tantôt sur la répression. Or l’expérience enseigne que l’un ne va pas sans l’autre.
De même, la lutte contre la petite et moyenne délinquances ne s’oppose pas à celle contre le terrorisme et la grande criminalité : elle en constitue le socle.
Je ne souhaite pas dresser ici l’inventaire des dispositifs déployés par le passé pour faire reculer l’insécurité dans notre pays.
Vous l’avez rappelé, ils ont été nombreux : îlotage, police de proximité, unités territoriales de quartier, ou UTEQ, brigades spécialisées de terrain, ou BST, zones de sécurité prioritaires, ou ZSP. Tout cela a existé et l’efficacité n’a pas toujours été au rendez-vous, alors même que les intentions de départ étaient parfaitement louables.
Il faut simplement souligner aujourd’hui que les réductions d’effectifs, la complexification des procédures, les impératifs de sécurisation conduisent nos policiers et nos gendarmes à être moins présents sur le terrain, moins souvent au contact des habitants, et à faire prévaloir une logique d’intervention, ce qui pèse à la fois sur leur efficacité au quotidien et sur la qualité de leurs relations avec la population.
Il faut rééquilibrer cette situation. Cela demande des moyens supplémentaires, mais, au-delà, il faut passer par un retour aux fondamentaux et par un changement de paradigme et d’organisation.
C’est ce à quoi entend s’employer le Gouvernement avec la police de sécurité du quotidien. Cela va au-delà de ce que préconise la proposition de loi et se décline en modalités différentes.
Sur le projet de police de sécurité du quotidien, le Président de la République a présenté les grandes orientations de ce projet lors de son discours devant les forces de sécurité du pays, le 18 octobre dernier.
Le ministre de l’intérieur a ensuite, sur cette base, ouvert une large séquence de consultations, qui se poursuit jusqu’à la fin de l’année et qui est d’une ampleur inédite.
Tous les acteurs concernés y sont associés : les policiers et les gendarmes ainsi que leurs représentants, les élus locaux, les représentants des policiers municipaux et des professionnels de la sécurité privée et des transports. Des chercheurs, spécialistes des sujets de sécurité, sont également consultés.
Les consultations conduites au niveau national ont été déclinées, en parallèle, dans chaque département, sous la responsabilité des préfets. Les premiers rapports de synthèse de cette consultation locale commencent à nous parvenir.
En complément, tous les policiers et tous les gendarmes ont été invités, pendant plus de trois semaines, à faire part directement de leurs propositions via une consultation en ligne. Les résultats de cette consultation sont désormais en cours de traitement.
Vous le voyez, s’agissant de cette réforme, les attentes sont fortes, ce qui est bien légitime, et la concertation a été très large.
Trois orientations principales sont poursuivies.
Le premier objectif est de donner aux forces de sécurité les moyens d’agir plus efficacement sur le terrain et, pour cela, de les recentrer sur leur cœur de métier.
Bien sûr, la question des moyens est essentielle. Ces moyens leur seront donnés sur la durée du quinquennat. En effet, pour retrouver des marges de manœuvre et mieux lutter contre les délits, les nuisances, les incivilités ressenties au quotidien, il faut des moyens humains, matériels et technologiques qui soient à la hauteur.
Le Gouvernement a annoncé le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires au cours des cinq prochaines années. Cet effort, dans un contexte budgétaire contraint, est majeur.
La modernisation des outils de travail sera, par ailleurs, amplifiée. En la matière, nous savons que les équipements les plus élémentaires ne sont pas toujours garantis. Les locaux et les véhicules feront l’objet d’une attention prioritaire. Le déploiement de nouveaux outils numériques sera également poursuivi.
Au-delà, d’autres leviers doivent permettre de renforcer le potentiel opérationnel et la présence sur la voie publique. Le cadre d’action des policiers et des gendarmes doit être renouvelé.
D’une part, nos forces de l’ordre doivent pouvoir disposer de moyens juridiques plus adaptés au traitement des infractions de la vie quotidienne. Il y va de la crédibilité de leur action, trop souvent entravée par la lourdeur et la complexité des procédures.
Sur ce point, la réflexion est conduite avec le ministère de la justice, dont les travaux en matière de simplification de la procédure pénale concernent directement la sécurité du quotidien.
D’autre part, il faudra rationaliser le périmètre des missions confiées à nos forces de sécurité – le transfert des tâches périphériques sera engagé et il faudra également faire jouer davantage la complémentarité avec l’ensemble des acteurs locaux de la sécurité.
L’ensemble de ces efforts doit permettre de renforcer le temps opérationnel des forces de sécurité sur le terrain.
Le deuxième objectif vise à une meilleure adaptation de l’action des forces aux difficultés propres à leur territoire.
Cela implique plusieurs évolutions fondamentales.
Il faudra, demain, être capable de mieux mesurer sur chaque territoire l’intensité de l’insécurité réelle et ressentie, pour en tirer ensuite des conséquences sur le plan opérationnel.
À cet égard, la mesure statistique de la délinquance, récemment refondue, est précieuse, mais elle s’avère insuffisante. D’ailleurs, les récentes études montrent que le sentiment d’insécurité n’est pas exclusivement lié à l’évolution de la délinquance enregistrée. Il touche également au ressenti, à l’expérience vécue, à la qualité de la relation entretenue avec les forces de sécurité, que nos concitoyens rencontrent, ou pas.
Il faut ensuite être en mesure de traduire sur le plan opérationnel ce qu’on a mieux mesuré. Cela implique de renforcer l’autonomie des services territoriaux et les partenariats avec les acteurs locaux. Les réponses opérationnelles doivent être conçues au plus près des réalités du terrain.
La méthode partenariale éprouvée ces dernières années, notamment au sein des zones de sécurité prioritaires, a montré sa pertinence. Son efficacité reste toutefois tributaire du niveau de mobilisation de l’ensemble des acteurs associés. Elle pâtit également de l’enchevêtrement de nombreux dispositifs. Nous ferons évoluer ce cadre.
Enfin, avec la police de sécurité du quotidien, la PSQ, nous cherchons à renforcer la confiance mutuelle entre les forces de sécurité et la population.
L’insécurité du quotidien ne sera pas efficacement combattue si la police et la gendarmerie ne sont pas parfaitement intégrées à leur territoire, accessibles aux habitants et au fait de leurs préoccupations.
Renforcer le lien avec la population n’est pas seulement souhaitable dans un souci d’apaisement ; c’est la condition de l’efficacité, pour prévenir et réprimer la délinquance du quotidien.
De nouveaux leviers seront actionnés pour faciliter l’accès de la population aux services de police et aux unités de gendarmerie, et pour que ceux-ci rendent davantage compte de leur action au quotidien.
La participation citoyenne devra également être davantage développée. La sécurité doit être l’affaire de tous.
Certains de ces chantiers sont d’ampleur et touchent aux fondamentaux de l’action, de la formation et de l’organisation de nos forces de sécurité. Ils demanderont une mise en œuvre progressive. Il convient donc de les engager sans attendre.
Une doctrine nouvelle, qui régira l’action de nos forces de sécurité pour les prochaines années, sera établie.
Par ailleurs, un plan d’action précis sera annoncé en début d’année prochaine pour engager ces évolutions. Sur ces trois grandes orientations, nous avons recueilli de très nombreuses propositions dans le cadre de la concertation, que les services sont en train d’expertiser.
Certaines mesures pourront être déployées rapidement ; d’autres nécessiteront probablement l’adoption de textes nouveaux ou, parce qu’elles sont d’ampleur, seront déployées progressivement sur la durée du quinquennat.
Par ailleurs, de nouveaux outils et méthodes de travail seront expérimentés, à partir de l’année prochaine, sur une sélection de territoires. Ceux-ci ne sont pas encore déterminés, madame la présidente Assassi ; ils le seront à l’issue de la phase actuelle de consultation. J’ajoute que la PSQ aura vocation, à terme, à être déclinée sur l’ensemble du territoire français.
J’en viens à la position défavorable du Gouvernement sur la proposition de loi.
Vous le voyez, notre projet est d’ampleur et c’est pourquoi le Gouvernement n’apporte pas son soutien à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Au-delà du fait que, sur la forme, nous partageons l’analyse selon laquelle les mesures proposées ne relèvent pas du domaine législatif, nous pensons, sur le fond, que la réponse proposée est à la fois incomplète et paradoxale.
Elle est incomplète, car une réforme efficace doit prendre en compte l’ensemble du territoire national, et non les seules zones de compétence de la police nationale ou ses seuls services. L’ensemble des forces et des métiers de la police et de la gendarmerie nationales sont concernés au premier chef, et plus largement tous les acteurs de la sécurité : les polices municipales, les sociétés privées de sécurité, les agents de sécurité des transports en commun, ainsi que leurs partenaires associatifs et sociaux qui œuvrent au quotidien à la sécurité de nos territoires.
Elle est paradoxale, car nous pensons que l’autonomie et le contact relèvent du cœur de métier des policiers et des gendarmes, et ne sauraient être l’apanage d’une direction générale ou de services coupés du reste de la police pour s’y consacrer.
La PSQ concernera la totalité des forces et du territoire. Ses orientations seront transversales, mais ses modalités seront diverses, adaptées aux problématiques spécifiques à chaque territoire. Il ne s’agit donc pas de généraliser un dispositif unique.
Le Gouvernement est donc défavorable à cette proposition de loi et donne rendez-vous au début de l’année prochaine pour présenter les principes et les mesures, issus de la large concertation conduite cet automne, qui donneront corps à la future police de sécurité du quotidien.