Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a déposé une proposition de résolution visant à déclarer le fret ferroviaire d’intérêt général. Je suis heureux de m’exprimer au nom du groupe La République En Marche en ce dernier jour des Assises de la mobilité, grand moment de concertation lancé en septembre dernier sur les mobilités futures et les besoins des Français en la matière.
Nous sommes tous originaires de territoires variés, mais nous connaissons tous la réalité des transports de poids lourds en France, les nuisances occasionnées au regard de la santé comme de l’économie – le bruit, la pollution, la congestion, la dégradation des chaussées –, qui ne cessent d’augmenter.
Parallèlement, le secteur du fret a perdu un tiers de son trafic en quinze ans et la dette de SNCF Réseau, qui atteint 45 milliards d’euros, continue à augmenter de trois milliards d’euros par an.
Telle est la réalité, que nous ne pouvons pas nier. Toutefois, si je partage aisément le diagnostic et l’idée qui sous-tend cette proposition de résolution, je n’en partage ni la philosophie ni le remède, face à la réalité économique, légale et sociétale.
Tout d’abord, ce texte du groupe CRCE est en contradiction avec le mouvement d’ouverture à la concurrence de nombreux secteurs d’activité. Je pense notamment à la téléphonie, à l’énergie et aux transports.
Je prendrai l’exemple du domaine de l’énergie, avec la création de RTE et la séparation d’EDF et d’ERDF : la production, le transport et la distribution doivent être séparés parce que le monopole n’est pas la solution la plus efficace pour le consommateur citoyen.
Le monopole est une rente : les services proposés étant plus chers et moins performants, il bloque l’innovation et crée de fait des barrières de marché. En s’appuyant sur le droit de la concurrence, le groupe la République En Marche est favorable à des services moins chers et plus efficaces.
Le modèle français est donc en train d’évoluer au contact du droit européen. En ce qui concerne le ferroviaire, l’ouverture des réseaux ferroviaires nationaux à la concurrence a débuté en 1999, touchant le réseau international de fret en 2006, puis le transport interne de marchandises en 2007 et, enfin, le transport international de passagers en 2010.
Je tiens ici à préciser que l’ouverture à la concurrence ne signifie pas la loi de la jungle. C’est tout le contraire, puisque les grands services publics n’auront jamais été autant contrôlés pour éviter les abus. Tel est le rôle de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Cela ne signifie pas non plus l’abandon de l’État. Depuis 1993, la question est définitivement réglée. Je vous invite, mes chers collègues, à relire la décision de la Cour de justice des communautés européennes de 1993, l’arrêt Corbeau, qui concerne la poste belge et autorise les compensations entre activités rentables et non rentables pour assurer la couverture de l’ensemble du territoire. Vous pouvez également vous plonger dans la décision de 1997, qui concerne la France, et qui précise bien qu’un État peut restreindre la concurrence, notamment pour des motifs d’aménagement du territoire.
Je crois que nous partageons ces objectifs. Je crois que le modèle français doit évoluer. Je vous invite, mes chers collègues, à le comparer au modèle allemand : son activité est identique à celle de la SNCF, avec moitié moins de personnels. Le train est-il en crise en Allemagne ? Les passagers bloqués en gare Montparnasse le 3 décembre dernier auraient-ils aimé avoir davantage de possibilités de transport à un moindre coût ? Sans doute !
Mes chers collègues, nous voilà face à une différence profonde entre nos deux groupes. Relisons l’histoire. Les premières lois antitrusts, qui remontent au XIXe siècle, nous viennent des États-Unis. Le droit de la concurrence a aussi donné naissance à l’école de Fribourg, qui est bien loin de l’image diabolique qu’on a voulu lui donner : pas d’interventionnisme économique, mais un État de droit économique, un libre accès au marché selon les mérites. Égalités, mérites : des valeurs très républicaines qu’il s’agit de faire vivre et non pas d’invoquer sans cesse sans substance.
Si nous contestons la philosophie du texte et les moyens préconisés, nous vous rejoignons sur un objectif : celui de favoriser le report modal de la route vers le rail, pour désengorger nos routes, diminuer les émissions des gaz à effet de serre, conformément à nos engagements internationaux, et contribuer à une mobilité durable.
Écouter le terrain, diagnostiquer, évaluer et proposer : tel est l’objectif des Assises de la mobilité qui se sont déroulées pendant plusieurs mois sur l’ensemble du territoire.
Parallèlement aux ateliers qui se sont tenus, la ministre chargée des transports a missionné Jean-Cyril Spinetta pour proposer une refondation de notre modèle ferroviaire. Il s’agit également de définir des actions à mettre en œuvre pour assurer une remise à plat coordonnée du modèle économique de la gestion du réseau, aujourd’hui structurellement déficitaire, qu’il s’agisse d’ailleurs du transport de voyageurs ou du fret.
En janvier prochain, nous connaîtrons les conclusions de ce rapport, qui enrichiront la prochaine loi d’orientation en proposant une stratégie et un calendrier soutenables des actions à mener dans les prochaines décennies. Ce sera alors l’occasion d’inscrire, au sein de notre hémicycle, le sujet du fret ferroviaire dans un débat plus large relatif à la mobilité.
Parce que cette proposition de résolution est loin de notre philosophie et de la feuille de route du Gouvernement, le groupe la République En Marche votera contre.