Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la présidente Éliane Assassi, permettez-moi tout d’abord d’excuser Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, qui préside en ce moment même la clôture des Assises nationales de la mobilité.
Permettez-moi également, madame la présidente, de remercier le groupe CRCE de cette proposition de résolution qui me donne l’occasion d’exposer, devant vous, les actions du Gouvernement en faveur du fret ferroviaire.
En effet, le fret ferroviaire est indéniablement un secteur important de notre politique de transports, mais il connaît aussi – vous le mentionnez dans votre texte, madame la sénatrice, et cela a été rappelé dans chaque intervention – de réelles difficultés.
Le ministre d’État Nicolas Hulot l’a dit : le transfert du transport routier vers le ferroviaire est une condition nécessaire à la tenue de nos engagements climatiques, lesquels sont rappelés dans le plan Climat de juillet dernier, et l’ont été hier encore lors du sommet pour la planète présidé par le chef de l’État, Emmanuel Macron.
Accroître la part du ferroviaire dans les transports de marchandises a en effet un double impact positif : d’une part – ceci a été souligné, mais je le redis, c’est mon rôle – sur l’environnement, grâce à une réduction des émissions de polluants, et, d’autre part, sur la sécurité et la congestion routières, par la diminution induite du trafic de poids lourds sur les routes.
Pour autant, le poids du ferroviaire dans l’ensemble des transports de marchandises n’a cessé de décliner. J’ai noté des chiffres très différents d’une intervention à l’autre, mais le mouvement est là. Je vous donne les chiffres du Gouvernement : la part du ferroviaire est passée de plus de 16 % en 2000 à 10 % en 2016, soit une chute de six points.
Sachez néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette part modale s’est stabilisée autour de 10 % depuis 2011, grâce notamment aux efforts de l’État pour soutenir ce mode de transport.
Comment a-t-on procédé ? En fléchant notamment des projets d’investissement dans les budgets de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France – ainsi d’un projet régional normand, la désormais célèbre ligne Serqueux-Gisors.
Pour autant, la situation n’est pas satisfaisante, et les difficultés du fret sont encore trop nombreuses.
Trois facteurs externes doivent être pris en compte pour expliquer ces difficultés : premièrement, la faible densité industrielle – elle est en France trois fois moindre qu’en Allemagne – et la répartition inégale des sites industriels sur notre territoire ; deuxièmement, la moindre compétitivité des ports français par rapport à leurs concurrents européens et l’insuffisance de la desserte ferroviaire de leur hinterland ; troisièmement, la crise économique de 2008, qui a malheureusement entraîné une contraction de la demande de transport de fret et accéléré la désindustrialisation dans de nombreux secteurs industriels particulièrement utilisateurs du mode ferroviaire.
Parallèlement, l’activité de fret ferroviaire connaît, depuis une dizaine d’années, des difficultés d’adaptation face à la très forte concurrence du mode routier.
Force est de constater que c’est bien le transport routier, largement dominant – vous l’avez rappelé, madame Assassi –, qui fixe les standards en termes de prix et de qualité de service, et notamment pour les dessertes fines des territoires.
Le transport routier a en effet su s’adapter à une économie de flux tendus et a su, par là même, prendre une place essentielle dans le transport de marchandises.
J’aimerais revenir, à ce stade de mon propos, sur deux points importants que vous soulevez dans votre proposition de résolution concernant le transport routier.
Premier point : nous vous rejoignons sur le déficit de compétitivité dont souffre le pavillon français dans un cadre européen de concurrence exacerbée. En effet, sur les longues distances, la part du pavillon étranger n’a cessé de croître depuis le début des années 2000.
C’est pourquoi, dans le cadre des négociations sur le paquet routier, le Gouvernement s’attache à promouvoir les conditions d’une concurrence saine et équilibrée intégrant les impératifs sociaux, environnementaux et, naturellement, de sécurité routière.
Je rappelle que la lutte contre le dumping social participe d’une plus grande reconnaissance du juste prix du transport et permet de favoriser le report modal vers le ferroviaire.
Second point : madame Assassi, vous évoquez la circulation des poids lourds de 44 tonnes sur le territoire national. Sachez que cette circulation a été assortie de nombreuses conditions techniques supplémentaires s’appliquant aux véhicules, telles que l’abaissement des charges à l’essieu, l’obligation des suspensions pneumatiques ou encore le respect de la norme Euro.
Ces actions du Gouvernement, visant à promouvoir les conditions d’une concurrence plus équilibrée, sont évidemment nécessaires. Mais elles doivent être couplées à un véritable plan d’action pour permettre au fret ferroviaire de regagner des parts de marché.
C’est pourquoi le Gouvernement œuvre actuellement pour améliorer l’attractivité du fret ferroviaire en France.
Plusieurs actions ont déjà été menées. Je souhaite mentionner deux d’entre elles.
Premièrement, les entreprises ferroviaires ont mis en œuvre des politiques commerciales et de propositions d’offres correspondant enfin aux attentes des chargeurs.
Ainsi, en plus des offres « train massif » ou « train entier », qui sont naturellement les plus demandées, je tiens à souligner – un certain nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, y ont fait allusion – que l’offre « wagon isolé » est bien maintenue en France, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays européens.
Ce maintien répond à un besoin avéré des chargeurs. En effet, des secteurs d’activité structurants de l’économie française, utilisant fréquemment le mode ferroviaire, comme la sidérurgie, ont fait part de leur souhait de disposer, en France et en Europe, d’un service d’acheminement de wagons isolés performant et compétitif.
C’est pourquoi Fret SNCF n’a pas abandonné ce segment de marché et a procédé, à partir de 2010, vous le savez, à la mise en œuvre d’une offre appelée « multi-lots multi-clients », s’appuyant sur une nouvelle organisation des acheminements de wagons isolés.
Deuxièmement, une rénovation de haut niveau du cadre social a été engagée.
C’est tout le sens des négociations sociales qui se sont tenues au premier semestre de l’année 2016. Elles ont permis de poser un nouveau cadre social commun à l’ensemble du secteur ferroviaire, propice à créer les conditions d’une concurrence loyale entre les différents opérateurs.
Que faisons-nous, aujourd’hui, concrètement, pour le fret ferroviaire ?
Conscient de ses difficultés, mais aussi de ses atouts – ils ont été largement rappelés –, le Gouvernement mène actuellement, et parallèlement aux assises de la mobilité, une réflexion globale sur le fret ferroviaire, afin de le rendre plus compétitif et plus performant.
Cette réflexion s’appuiera notamment sur les conclusions de la mission confiée à Jean-Cyril Spinetta par Édouard Philippe, Premier ministre, sur le modèle économique du transport ferroviaire.
Pour relancer le fret ferroviaire, nous allons devoir relever plusieurs défis, dont, en premier lieu, celui de la disponibilité et de la qualité des sillons, qui restent deux conditions préalables à l’amélioration de sa fiabilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens aux objectifs que le Gouvernement s’est fixés.
Premier objectif : garantir une bonne irrigation des territoires, problème soulevé par un certain nombre d’entre vous, notamment par les membres du groupe dont émane cette proposition de résolution.
L’irrigation ferroviaire de tous les territoires, qui reste un facteur essentiel pour leur économie, s’appuie sur une démarche de pérennisation des lignes capillaires de fret.
Une approche locale, impliquant l’ensemble des contributeurs potentiels, régions, autres collectivités locales, chargeurs, État, a été privilégiée.
Sur la période 2015-2017, l’État s’est ainsi engagé, via une dotation de l’AFITF, sur un montant de 30 millions d’euros, soit 10 millions d’euros par an, ce qui a permis de traiter près de 800 kilomètres de lignes sur cette période.
Afin de poursuivre cette dynamique positive, l’État maintiendra, sur la période 2018-2020, le principe de sa contribution annuelle à hauteur de 10 millions d’euros par an, pour accompagner les collectivités locales et les acteurs économiques.
Parallèlement, et afin de favoriser un recours plus important au mode ferroviaire, l’État a engagé des démarches auprès de la Commission européenne afin notamment d’obtenir la possibilité de mettre en place des dispositifs d’aides publiques à la création, ou encore la remise en état et la modernisation des secondes parties d’installations terminales embranchées, connues sous le nom d’ITE.
Deuxième objectif du Gouvernement : améliorer la performance dans l’intermodalité.
Dans le cadre de la politique de report modal, le développement du transport combiné demeure une priorité absolue. Celui-ci constitue, dans la chaîne logistique globale, un segment important, en matière notamment d’attractivité des ports et des nœuds logistiques.
Une mission confiée au CGEDD, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, a confirmé la nécessité de poursuivre le soutien au transport combiné au-delà de 2018. Un nouveau dispositif, plus performant, est en cours d’élaboration et sera bientôt notifié à la Commission européenne.
Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que le Gouvernement est également mobilisé en faveur du développement du ferroutage sur les grands axes de trafic, afin de diversifier les solutions de transports massifiés et les autoroutes ferroviaires.
Troisième objectif : développer la compétitivité de nos ports maritimes – un certain nombre d’entre vous y avez fait référence.
Cet objectif est bien entendu lié à celui d’une amélioration de l’intermodalité.
En ce qui concerne les grands ports maritimes, un des objectifs de la stratégie nationale portuaire est de renforcer la compétitivité et la durabilité des modes massifiés, en développant le report modal, notamment à partir des points d’entrée maritimes. Le Gouvernement promeut donc un certain nombre de mesures en faveur du développement du fret ferroviaire en vue de desservir les grands ports maritimes français.
Quatrième objectif : accompagner les innovations technologiques adaptées au transport de marchandises.
Parmi les principales mesures, l’État accompagne les acteurs du secteur du fret ferroviaire dans des actions de réduction des nuisances sonores liées au fret ferroviaire, s’inscrivant ainsi dans une politique européenne volontariste en la matière.
Par ailleurs, la mise en circulation de convois ferroviaires de fret plus longs et plus lourds a été identifiée depuis longtemps comme un facteur de progrès pour le fret ferroviaire. Cela permet en effet d’optimiser l’usage du réseau et des sillons disponibles et d’améliorer les recettes des opérateurs pour chaque train.
La France peut être considérée comme à l’avant-garde à l’échelon européen sur ce sujet. En effet, une partie des axes majeurs de fret sont d’ores et déjà adaptés à la circulation de trains de 850 mètres – je pense aux axes Paris-Marseille-Perpignan, Paris-Le Havre, Dourges-Paris ou encore frontière luxembourgeoise-Perpignan –, alors que le standard des 750 mètres constitue encore une cible au niveau européen.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous aurez pu le comprendre, améliorer la performance du fret ferroviaire est le défi que nous devons relever pour assurer son développement. Les entreprises ferroviaires et le gestionnaire d’infrastructures se mobilisent afin de permettre aux chargeurs d’orienter leurs choix vers ce mode de transport plus vertueux en matière environnementale. Le Gouvernement prend également toute sa part à cet effort en confirmant son soutien au fret ferroviaire et en agissant pour lui redonner toute sa place dans l’ensemble du transport de marchandises, qui est, je le rappelle, un maillon essentiel de l’attractivité de notre économie.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur la présente proposition de résolution, tout en remerciant ses auteurs de l’avoir déposée, ce qui lui a permis d’exposer devant vous les grands axes de sa stratégie en la matière pour les mois et les années à venir.