Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 13 décembre 2017 à 21h00
Le retour des djihadistes en france — Débat organisé à la demande du groupe la république en marche

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme M. Marchand l’a souligné à l’instant, l’émergence de Daech a entraîné des conséquences majeures, aussi bien à titre individuel que du point de vue sociétal.

J’insisterai, dans ce propos introductif, sur la prise en charge judiciaire des « revenants » de la zone irako-syrienne. Elle diffère selon que les individus concernés sont majeurs ou mineurs.

Concernant les « revenants » majeurs, ils font l’objet, d’une part, d’une judiciarisation systématique, et, d’autre part, d’un suivi très individualisé.

La judiciarisation est désormais systématique pour les majeurs revenant de la zone irako-syrienne, et ce dès leur arrivée sur le territoire national. En effet, la politique pénale menée à l’égard des adultes qui reviennent des terrains de combat prévoit désormais une telle judiciarisation systématique dès lors qu’ont été recueillis suffisamment d’éléments permettant d’établir que ces individus se sont rendus sur zone pour rejoindre un groupe islamiste combattant.

En pratique, cela signifie que, dès leur arrivée sur le territoire français, tous les majeurs « revenants » – hommes ou femmes – font l’objet d’une mesure de garde à vue, suivie d’une mise en examen du chef d’association de malfaiteurs terroristes. Ils font par ailleurs l’objet, dans la grande majorité des cas, d’un placement en détention provisoire ou, plus rarement, de mesures de contrôle judiciaire.

La situation que je vous décris là est le fruit d’une évolution. En effet, jusqu’à la fin de l’année 2015, le parquet requérait la mise en examen et le renvoi de ces individus du chef d’association de malfaiteurs terroristes délictuelle. Ceux-ci avaient alors vocation, à l’issue de l’information judiciaire, à être jugés par la seizième chambre du tribunal correctionnel de Paris, devant laquelle ils encouraient une peine d’emprisonnement de dix années.

Mais, depuis la fin de l’année 2015, la politique pénale du parquet de Paris a évolué, de manière pragmatique, sans intervention d’un texte législatif, afin de faire coïncider les incriminations pratiquées avec l’activité réelle des organisations terroristes dont la commission quotidienne de crimes d’atteinte aux personnes sur zone ne fait plus aucun doute. Il est donc désormais requis par le parquet de Paris la mise en examen des « revenants » adultes du chef d’association de malfaiteurs terroristes criminelle, et non plus simplement délictuelle, ce qui les expose à une peine de réclusion autrement plus sévère devant la cour d’assises spéciale de Paris, pouvant aller jusqu’à vingt ans pour les faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016 et jusqu’à trente ans pour les faits commis après elle.

Les investigations judiciaires menées par les magistrats spécialisés parisiens sont tournées vers la démonstration que l’intéressé a effectivement participé sur zone, quel qu’ait été son rôle, au fonctionnement d’une organisation terroriste qui s’est livrée à des exactions ou à des actes de nature criminelle au préjudice de la population locale.

À ce jour, 244 majeurs sont recensés par les services de renseignement comme étant rentrés sur le territoire national après avoir séjourné en zone irako-syrienne, dont 178 hommes et 66 femmes. Parmi eux, 175 ont été « judiciarisés ». Les 69 restants font tous l’objet d’un « suivi administratif » par les services de renseignement, c’est-à-dire par la DGSI.

Il convient, concernant ce suivi administratif, de distinguer deux catégories.

Une première catégorie regroupe un peu moins d’une quarantaine d’individus qui, après avoir fait l’objet d’une enquête judiciaire, n’ont pas été poursuivis faute, pour les enquêteurs, d’avoir réuni suffisamment d’indices de commission d’une infraction terroriste, tels que la preuve d’un séjour en Syrie ou en Irak ou de l’existence d’un contact avec des organisations terroristes. Dans cette hypothèse, après classement sans suite de la procédure, ces personnes continuent toutefois à être suivies par les services de renseignement afin de prévenir toute éventuelle menace. Il s’agit le plus souvent de femmes ayant séjourné peu de temps sur zone, et généralement au début du phénomène des filières irako-syriennes.

La seconde catégorie correspond à des individus qui n’ont pas encore été « judiciarisés », mais qui pourront l’être dans un futur proche lorsque les éléments recueillis par les services de renseignement le permettront. Il s’agit, en général, de retours anciens, intervenus à l’époque où la judiciarisation n’était pas systématique. Les services de renseignement procèdent alors à des enquêtes pour déterminer ce qu’il en est réellement.

Il convient d’observer que, parmi ces 69 individus faisant actuellement l’objet d’un « suivi administratif », deux ont vocation à être prochainement interpellés dans le cadre de procédures judiciaires.

Bien entendu, toutes ces personnes, hommes ou femmes, suivies par les services administratifs ont vocation à être « judiciarisées » à tout moment, dans l’hypothèse où elles apparaîtraient comme représentant une menace.

Les « revenants » majeurs font l’objet, outre d’une judiciarisation systématique depuis 2015, d’un suivi individualisé. J’évoquerai maintenant leur prise en charge par l’administration pénitentiaire et par les juges d’application des peines spécialisés.

Comme toutes les personnes détenues en lien avec le terrorisme islamiste, les majeurs « revenants » ont vocation, à leur arrivée en détention, à être orientés vers des quartiers d’évaluation de la radicalisation, les QER, afin que leur dangerosité puisse être appréciée.

Sur la base de cette évaluation, qui dure au maximum quatre mois, l’administration choisit ensuite le régime de détention le plus adapté au profil de l’individu au sein de l’un des soixante-dix-huit établissements retenus pour accueillir ce type de détenus. Ces personnes ont vocation à faire l’objet de mesures de suivi particulières de la part des services du renseignement pénitentiaire. Ceux-ci existent désormais dans chaque établissement pénitentiaire et font l’objet d’une centralisation au sein du bureau central du renseignement pénitentiaire, le BCRP.

La montée en puissance du renseignement pénitentiaire depuis sa création récente s’est accompagnée d’un renforcement de ses effectifs. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2018 prévoit de créer trente-cinq emplois supplémentaires pour le renseignement pénitentiaire, emplois destinés à renforcer le premier niveau de renseignement dans les établissements les plus sensibles, notamment en région parisienne.

Un autre aspect fondamental du renforcement du renseignement pénitentiaire tient à la professionnalisation de ses agents, notamment par des actions de formation spécifiques, et à l’acquisition d’une autonomie technique par rapport aux autres services de renseignement, grâce à l’achat de son propre matériel.

Je dirai maintenant quelques mots sur le dispositif de suivi post-incarcération qui attend les détenus revenant des terrains de combat à leur sortie de détention, qui interviendra nécessairement un jour ou l’autre, une fois qu’ils auront purgé leur peine. Il ne faut donc pas négliger cet aspect de la question.

Depuis le début de l’année, tous les détenus radicalisés quittant la détention, que ce soit à l’issue d’une peine ou d’une mesure de détention provisoire, font systématiquement l’objet d’une « note de signalement » très détaillée – j’ai pu en voir plusieurs – rédigée par l’administration pénitentiaire. Cette note est diffusée par le BCRP à tous les services de renseignement partenaires, ainsi qu’à la gendarmerie de l’endroit où réside la personne après sa sortie de prison. Le cas échéant, cette fiche est également envoyée aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, si les individus sortants font l’objet d’une peine en milieu ouvert.

Par ailleurs, les détenus sortant à l’issue d’une peine font l’objet d’un suivi judiciaire spécifique par deux juges d’application des peines spécialisés en matière de terrorisme, ou JAPAT. Ces magistrats disposent d’une compétence nationale et exclusive pour suivre les personnes condamnées par les juridictions spécialisées parisiennes, et ce quel que soit leur lieu de détention ou de résidence. Cette spécialisation de la fonction garantit une unité et une continuité de jurisprudence.

J’évoquerai enfin la prise en charge des mineurs revenant des terrains de combat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion