Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Hélas, quelle que soit la terminologie employée, il ne s’agit toujours que de lieux d’exploitation ! Autoriser la réouverture de tels établissements, sous le prétexte fallacieux de garantir aux personnes prostituées de meilleures conditions d’exercice, c’est renoncer par avance à mettre un terme aux violences dont les femmes sont victimes. Quelle aubaine pour le business de la prostitution, extrêmement lucratif, comme chacun sait, qui ne cesse de réclamer la réglementation du travail sexuel en France. Voilà la solution qu’on voudrait nous faire accepter, cahin-caha !

Le groupe CRC-SPG est convaincu que tout doit être mis en œuvre pour faire reculer la prostitution jusqu’à son abolition. C’est pourquoi j’ai déposé, le 8 février dernier, une nouvelle proposition de loi relative à l’exploitation sexuelle et à la protection de ses victimes, qui vise notamment à abroger l’article 225-10-1 du code pénal instaurant le délit de racolage passif.

En effet, il est temps de sortir de la seule approche répressive dirigée contre les personnes prostituées, pour rechercher et sanctionner en priorité les responsables de réseaux qui organisent la traite des êtres humains. Cette mesure, attendue par l’immense majorité des associations, a récemment fait l’objet d’une recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits », comme y invite d’ailleurs l’article 6 du protocole de Palerme. C’est pourquoi il nous semble très important d’abroger le délit de racolage, tant actif que passif.

Par ailleurs, la possibilité prévue par la loi actuelle d’accorder un titre de séjour temporaire aux personnes prostituées en situation irrégulière qui dénonceraient leurs proxénètes ne nous semble pas acceptable. Avec cette mesure, la loi conditionne, pour la première fois, un droit fondamental, celui à la sécurité juridique, à la participation à une enquête judiciaire. Là encore, dans son avis de décembre 2009, la CNCDH recommande de « délivrer de plein droit à tout étranger, y compris les ressortissants communautaires soumis à un régime transitoire, à l’égard duquel des éléments concordants (récit circonstancié de la personne, suivi par une association spécialisée ou un syndicat, indices recueillis par les autorités ou tout autre élément disponible) laissent présumer qu’il est victime de traite ou d’exploitation ». C’est ce que prévoit la proposition de loi que j’ai déposée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de conclure cette intervention en évoquant ce qui nous semble constituer une priorité pour faire reculer durablement la prostitution, à savoir la prévention et l’éducation. Il est de notre responsabilité de réaffirmer ici, et partout où cela est possible, que la situation prostitutionnelle est contraire à ce qu’il est légitime de revendiquer au nom de la liberté individuelle, à savoir une sexualité libre et choisie, fondée sur le désir partagé. Oui, la prostitution est une violence exercée à l’encontre des femmes et des hommes prostitués.

De la même manière, au rebours des politiques menées ces dernières années et tournées vers la répression des personnes prostituées, nous souhaiterions qu’émerge une véritable politique de prévention et de responsabilisation des clients. Ils doivent avoir conscience de la portée de leurs actes et du fait que, en achetant des services sexuels, ils perpétuent une forme de domination assise d’abord et avant tout sur l’argent. Les personnes prostituées sont les victimes de la marchandisation d’une activité qui ne relève pas du domaine marchand mais est néanmoins très lucrative, puisque l’exploitation sexuelle d’une personne rapporterait entre 75 000 et 150 000 euros par an.

Tel est le sens des dispositions que j’ai inscrites dans ma proposition de loi. Le client est un acteur à part entière du système prostitutionnel, on ne peut l’ignorer. S’il ne paraît pas aujourd’hui opportun de pénaliser le client de personnes prostituées majeures – cela pourrait même être contre-productif –, il me semble indispensable de se donner les moyens de changer le regard de la société sur la prostitution, ainsi que, plus largement, sur les rapports de genres.

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