Intervention de Muguette Dini

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a complété et durci l’arsenal législatif répressif concernant la prostitution.

Le législateur a voulu répondre à une attente sociale, celle de la lutte contre l’insécurité, qui apparaît au premier rang des préoccupations des citoyens.

À toute époque, la prostitution a constitué un phénomène social, engendrant des préoccupations essentiellement liées à la sauvegarde de l’ordre public.

Pour le code justinien, la prostituée était une femme qui se donnait publiquement pour de l’argent. L’ancien droit français n’a rien gardé des différents éléments de cette définition. Le côté « mercenaire » n’apparaissait pas comme le cœur du délit, ni même comme une motivation, la rétribution constituant un élément secondaire.

En revanche, la notion de notoriété, liée à celle de scandale public, tenait une place considérable et occupe encore de nos jours une position dominante.

En effet, la prostitution se manifeste, le plus souvent, par le bruit public et le témoignage du voisinage. Si la sexualité relève du domaine de la liberté, l’exercice de celle-ci exige cependant une certaine discrétion. Le législateur a donc abordé la prostitution sous l’angle de la protection du citoyen, qui doit pouvoir se déplacer sans que sa pudeur soit offensée. L’objectif politique reste de rendre invisible la prostitution la plus visible, qui s’avère aussi être la moins présentable. L’enjeu, c’est la paix dans l’espace public, plutôt que le sort des prostituées.

C’est ce souci de la tranquillité du citoyen qui a engendré la nouvelle incrimination de racolage public.

Auparavant, le racolage, passible d’une amende, relevait d’une contravention de cinquième classe. Désormais, c’est un délit punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Surtout, l’article 50 de la loi du 18 mars 2003 réhabilite le délit de racolage passif. Il convient de rappeler que c’est l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui avait créé les contraventions de racolage passif et de racolage actif.

Le racolage passif est défini comme une attitude sur la voie publique – lentes déambulations, regards insistants, stationnement sur le trottoir, tenue vestimentaire suggestive – de nature à inviter à la débauche.

Le racolage actif est, quant à lui, l’invitation faite, en un lieu public, par une personne à une autre personne, à commettre avec elle des actes de débauche.

Toujours dans cette optique de maintien de l’ordre public, le législateur de 2003 a également voulu une répression plus dure.

Ainsi, la loi accorde aux policiers des pouvoirs élargis en leur offrant des outils de contrôle nouveaux.

Elle octroie aussi aux autorités de poursuite des pouvoirs d’enquête élargis. Les investigations matérielles sont facilitées, en particulier dans le cadre des visites de véhicules susceptibles d’abriter des amours tarifées et dans celui des perquisitions dans les systèmes informatiques.

Elle étend les contrôles d’identité. À la place de l’indice qui fait « présumer », ce sont « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qui servent de référence justificative aux contrôles, les personnes prostituées en étant une cible privilégiée.

L’article 21 de la loi du 18 mars 2003 permet aussi de ficher les personnes prostituées.

Cette même loi a manifestement rendu plus difficiles et plus dangereuses les conditions de vie des personnes prostituées, en particulier celles des femmes. Toutes les associations qui leur viennent en aide déplorent l’application d’un texte qui a eu pour conséquence de les condamner à la clandestinité et à l’insécurité, les amenant à solliciter les services d’un quelconque protecteur, si cela n’avait déjà été fait auparavant.

Les hommes et les femmes qui travaillaient à l’orée des bois se cachent maintenant à l’intérieur de ceux-ci. Certains accrochent des sacs plastiques aux branches des arbres pour signaler leur présence ! Celles et ceux qui étaient sur les boulevards ont été refoulés en périphérie des grandes villes, en banlieue ou en rase campagne.

Pour les associations, le pire est de perdre la trace de ces personnes en fuite alors qu’elles encourent des risques terribles, aussi bien pour leur santé que pour leur sécurité personnelle.

« Des policiers ont interpellé des personnes prostituées à la sortie de nos bus de prévention », s’insurgeait dans la presse la directrice de l’association lyonnaise Cabiria. « Nous avons dû suspendre nos tournées nocturnes. Nous continuons à distribuer des préservatifs en voiture banalisée mais nous ne pouvons ni donner de boissons chaudes, ni offrir l’écoute dont ces personnes ont absolument besoin. »

Le dernier débat législatif se caractérisait par une approche de la prostitution essentiellement centrée sur les étrangers en proie aux réseaux mafieux. Les liens entre prostitution et précarité sociale ne sont donc pas seulement oubliés, mais complément niés.

La prostitution doit être appréhendée comme une des manifestations les plus extrêmes des rapports économiques et sociaux. C’est en regard de la fermeture du marché du travail à une fraction de la population, la plus démunie économiquement et culturellement, que la prostitution prend son sens. Vendre son corps pour un usage sexuel reste un des derniers recours possibles lorsque le travail ou même les prestations d’aide sociale demeurent inaccessibles.

L’engagement dans une sexualité vénale n’est jamais un acte volontaire et délibéré. Il résulte toujours d’une contrainte ou, au mieux, d’une adaptation résignée face à la détresse ou à la violence. La frustration sociale constitue une importante logique d’entrée et surtout de maintien dans le marché du sexe.

Dans l’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, on pouvait déjà lire, avant la Révolution, que la prostitution était « un malheur inévitable pour empêcher de plus grands ».

Dans toutes ces remarques et considérations, du client il n’est nulle part question, comme s’il n’existait pas, ce qui est d’une hypocrisie inimaginable. Il y a les proxénètes, P-DG d’entreprises souterraines, les personnes prostituées, vendeuses et vendeurs, la marchandise – le corps des vendeurs – et… pas d’acheteurs ! Arrêtons de faire semblant ! S’il y a des vendeurs, il y a des clients. C’est une vraie activité, qui doit être reconnue et considérée comme telle, et ce quelles que soient nos positions morales ou humanistes sur la prostitution.

Il n’est plus acceptable que les personnes prostituées soient dépourvues de protection sociale. Dois-je rappeler que l’activité des personnes prostituées n’est pas prohibée, qu’elles peuvent être amenées à payer l’impôt sur le revenu, toujours revu à la hausse par l’administration fiscale ? Cette profession pourrait avoir des représentants dialoguant avec les autorités, ce qui diminuerait le poids des P-DG proxénètes et affaiblirait leur influence.

La voie de la répression à tout prix doit être abandonnée. Les personnes prostituées doivent être respectées si elles exercent ce métier par choix personnel – souvent illusoire –, protégées si elles sont contraintes à le pratiquer.

Mes questions sont les mêmes que celles qui ont été posées par les orateurs qui m’ont précédée, et je n’y reviendrai donc pas.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, arrêtons de stigmatiser des personnes qui sont d’abord les victimes de notre hypocrisie et réglementons cette activité afin de la rendre plus digne et moins dangereuse.

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