Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe du RDSE saluent l’initiative de Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a souligné à juste titre que nous parlementaires avons pour devoir de demander des comptes sur les conséquences de l’instauration du délit de racolage passif.
En 2009, 2 315 procédures pour racolage ont été établies, alors que l’on estimait à quelque 12 000 le nombre de personnes prostituées dans la rue.
Au-delà de ces chiffres, nous pouvons dresser un premier bilan, grâce à l’engagement sans faille des réseaux associatifs sur le terrain. Dix-sept d’entre eux se sont unis pour dénoncer les effets pervers dangereux de l’instauration du délit de racolage passif et de la logique du tout-répressif.
Force est de constater aujourd’hui que ces mesures n’ont pas affaibli le système prostitutionnel, bien au contraire. Elles ont, certes, rendu quasiment invisibles une grande partie des personnes prostituées, mais, par réaction, elles ont suscité de nouvelles formes de prostitution, encore plus complexes à appréhender.
Les lieux de prostitution et les formes de racolage ont changé, ce qui a entraîné davantage de clandestinité, le développement de la prostitution dans la sphère privée, l’ouverture massive de pseudo-salons de massage dans toutes les métropoles régionales, le recours à internet et au téléphone portable, en toute impunité, pour racoler les clients sur les nouveaux médias virtuels, au bénéfice d’un proxénétisme qui, lui, n’est pas du tout virtuel.
Il est peut-être temps de s’interroger sur le rôle des médias par rapport à ces publicités à caractère racoleur – c’est le cas de le dire ! –, qu’il s’agisse de la télévision, de la radio, d’internet ou encore des SMS sur téléphone portable.
L’instauration du délit de racolage passif a eu pour conséquence de maintenir les personnes prostituées dans la clandestinité et la misère, dans une plus forte insécurité, doublée d’une précarisation sanitaire et sociale. Elle a ainsi contribué à les stigmatiser davantage et, tout simplement, à les rendre plus vulnérables face aux proxénètes de toute sorte. En disant cela, je pense en particulier aux réseaux de traite des êtres humains, qui prospèrent dans toute l’Europe et au-delà.
Combien peut atteindre le prix de la liberté pour ces jeunes femmes immigrées clandestines, seules face à leurs proxénètes ? Jusqu’à 45 000 euros ! Comment peuvent-elles dès lors s’extraire du cercle vicieux, dans un système fondé sur le tout-répressif ? Leur suivi ne doit pas et ne peut pas se limiter au seul volet sanitaire, non plus qu’à la seule politique de prévention du sida.
Par ailleurs, il est salutaire de s’extraire des clichés sur la prostitution consentante et de considérer les évaluations réalisées par le monde associatif : 80 % des personnes prostituées subissent la prostitution, les 20 % restants regroupant une population plus indépendante, mieux organisée, qui exerce parfois cette activité de façon temporaire.
Ces chiffres font froid dans le dos, tout comme ceux selon lesquels la prostitution concernerait 2 % des étudiantes en France. Ils traduisent malheureusement l’ampleur de la crise que nous traversons et notre incapacité à y apporter une réponse pour les plus démunis.
Qu’en est-il, par ailleurs, du dispositif de répression du proxénétisme ? Qu’en est-il des clients du système prostitutionnel ? Quels moyens sont consacrés par le Gouvernement à la lutte contre ce fléau ? Toutes ces questions restent aujourd’hui sans réponse.
Les associations tirent le signal d’alarme devant l’immobilisme de l’État en la matière. Cette politique, qu’elles qualifient de dangereuse, n’a que trop duré. Elle est d’ailleurs régulièrement montrée du doigt par les instances européennes.
De même, dans un rapport publié en 2008, les experts du Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes recommandent à l’État français de revoir l’obligation faite aux victimes de la traite de porter plainte pour bénéficier d’un titre de séjour ou encore de reconsidérer le délit de racolage passif. Ils demandent une « analyse exhaustive des conséquences de la loi du 18 mars 2003 » et pressent la France de rassembler les données statistiques nécessaires à une meilleure appréhension du phénomène prostitutionnel et de la traite des êtres humains.
En cela, ils rejoignent les préconisations du front associatif, qui invite « les décideurs politiques à la mise en œuvre d’une politique globale et cohérente à la fois respectueuse des personnes prostituées et intransigeante envers ceux qui encouragent ou tirent profit de la prostitution d’autrui ».
Une politique globale de lutte contre la prostitution ne peut en effet se limiter au seul volet répressif, surtout quand celui-ci enferme les personnes prostituées, ses premières victimes, dans des zones de non-droit. Elle doit au contraire comporter un effort de prévention et de protection, soutenu et diversifié.
Pour les prostituées, le volet préventif doit permettre un meilleur accès à l’information et à leurs droits sociaux. Il doit aussi garantir leur prise en charge sanitaire et leur proposer des outils de reconversion, pour les accompagner dans leur émancipation des proxénètes plutôt que pour les maintenir sous le joug de ces derniers !
Pour sensibiliser la société à ces questions, le volet préventif doit mettre l’accent sur la lutte contre les violences faites aux femmes, sur la lutte en faveur de l’égalité des droits entre hommes et femmes ou encore sur l’information des plus jeunes sur ces deux problématiques centrales.
En effet, il faut promouvoir le principe selon lequel le corps humain n’est pas une marchandise : que ce soit celui d’un homme ou d’une femme, qu’il s’agisse de biologie, de procréation ou de pratiques sexuelles, par principe, il ne doit pas faire l’objet d’un marché.
C’est à ces questions de principe, qui motivent notre action au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, que nous renvoient les multiples visages de la prostitution. Elles se posent à notre société dans son ensemble. Notre responsabilité, en tant que parlementaires, est d’y apporter des réponses en adéquation avec notre modèle républicain.
Sommes-nous prêts, en France, à redéployer la répression vers les proxénètes et les clients, plutôt que vers les personnes prostituées ?
Allons-nous augmenter les moyens consacrés par la France à la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains, lutte qui se gagnera d’ailleurs à l’échelle européenne ?
La France peut-elle continuer à mener une politique hypocrite, en acceptant les impôts versés par les personnes prostituées sans pour autant leur garantir leur droit à la dignité humaine?
Doit-on rouvrir les maisons closes pour améliorer les conditions d’exercice de cette pratique d’un point de vue sanitaire ?
Je me refuse à faire mienne cette dernière proposition, pourtant soutenue par 60 % des Français, si l’on en croit de récents sondages. Cette solution confinerait les femmes dans une forme de mise sous tutelle officielle et conforterait l’idée qu’en tant que femmes elles peuvent être consommées comme une marchandise.
Doit-on, pour autant, mettre en place un statut professionnel de travailleur du sexe, comme ont pu le faire certains de nos voisins européens ? Je préférerais que la France suive l’exemple de la Suède. Votée en 1999, une loi y interdit tout achat de service sexuel et pénalise les « clients » sans poursuivre les personnes prostituées, considérées comme des victimes et non comme des coupables. L’un des résultats les plus probants de l’application de cette loi est le recul de la traite des femmes.
C’est pourquoi je veux réaffirmer ici que d’autres solutions existent en dehors d’une clandestinité honteuse, honteuse surtout pour la société qui la tolère ou, pis, l’entretient.
Je privilégie la question des droits, en particulier celle de l’égalité des sexes, et je fais miennes les principales propositions des associations de terrain.
Monsieur le ministre, pouvez-vous prendre l’engagement de supprimer toute forme de répression à l’encontre des personnes prostituées en abrogeant le délit de racolage, passif ou actif, de veiller à l’application réelle de la répression envers toute forme de proxénétisme, de lancer des campagnes de dissuasion des clients « prostitueurs » et, enfin, de mettre en place une véritable politique tripartite d’alternative à la prostitution, entre les personnes prostituées, les associations et les pouvoirs publics, qui soit accessible sans condition de dénonciation ? J’ajoute qu’il est également nécessaire d’inclure le proxénétisme dans la liste des crimes ouvrant droit à indemnisation.
Nous sommes bien obligés de constater que l’application des dispositions de la loi du 18 mars 2003 n’a pas eu l’effet escompté.
Pour conclure, le groupe du RDSE vous demande de tout mettre en œuvre pour renforcer les moyens de fonctionnement des services publics et du secteur associatif qui interviennent auprès des personnes prostituées.