Intervention de Maryvonne Blondin

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Maryvonne BlondinMaryvonne Blondin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, évoquer la situation des personnes prostituées en France, c’est d’emblée faire le lien avec les enjeux internationaux qui la sous-tendent : rappelons que la prostitution constitue le troisième trafic mondial, après la drogue et les armes ! Selon le rapport pour 2009 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 79 % des victimes recensées de la traite sont destinées à l’exploitation sexuelle.

En tant que membre de la Délégation française aux assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe, au côté de mes collègues Gisèle Gautier et Bernard Fournier, j’ai récemment rappelé, à Strasbourg, la nécessité, pour l’ensemble des États membres, de ratifier la convention du 16 mai 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains. Cette convention est le premier instrument international juridiquement contraignant établissant que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine.

Dans le même temps, la voix des pays réglementaristes se fait de plus en plus forte à l’échelle européenne. Réglementer la prostitution serait ainsi le moyen d’institutionnaliser la prostitution, considérée comme librement consentie, tout en luttant plus efficacement contre la traite ou les réseaux criminels. Or nous voyons bien que ces pays réglementaristes deviennent les destinations privilégiées de ces réseaux : l’offre se dirige vers les territoires où la demande est forte !

On nous objectera que ces personnes prostituées doivent être en situation régulière pour pouvoir « exercer ». Mais on sait très bien que les réseaux criminels ne manquent pas de ressources pour obtenir visas et faux papiers, et passer ainsi plus facilement les contrôles.

La question est alors de savoir si la grande pauvreté doit forcément être exploitée à travers un sexe marchand légalisé et institutionnalisé par les pays les plus industrialisés…

Ma collègue Michèle André a bien mis en lumière les effets catastrophiques de l’application de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées en France. Les pressions policières, la répression et la multiplication des gardes à vue les forcent à exercer dans une clandestinité accrue et des conditions de sécurité dégradées. Comme elle, je rappelle la nécessité d’abroger l’article 50 de cette loi.

Mais débattre de la situation des personnes prostituées, c’est également avoir l’honnêteté d’évoquer la réalité du phénomène prostitutionnel, notamment la question du choix. Ce que nous devons dénoncer, c’est à la fois la violence immanente du proxénétisme et le fait qu’une prostitution, même dite libre, est toujours le résultat d’une contrainte sociale, économique ou encore familiale.

Comprenez-moi bien : je ne remets pas en cause la parole d’une minorité de personnes qui défendent une prostitution assumée, revendiquée comme métier, mais elle ne doit pas masquer le silence et la réalité de la situation de l’immense majorité des prostituées, celles qui ne peuvent ou ne souhaitent pas s’exprimer, et qui souffrent.

Malika Nor, dans son ouvrage La prostitution, idées reçues, souligne qu’en France 80 % des personnes prostituées qui s’adressent à des services sociaux ont été victimes de maltraitances et/ou de violences sexuelles dans l’enfance. Pour ces femmes et ces hommes – ces derniers représentent environ 30 % des personnes prostituées –, le « choix » de se prostituer reste souvent tributaire d’une série de cassures diverses.

Il existe, en fait, une sorte de complaisance collective à l’égard de la prostitution, qui permet à la société de se donner bonne conscience…

Non, la prostitution n’est pas glamour ! La violence en est malheureusement partie intégrante. Il est d’autant plus important de le souligner que l’hyper-sexualisation et les dérives mercantilistes que connaît notre société font courir le danger d’une banalisation de la prostitution, y compris chez les populations jeunes, notamment avec la montée inquiétante de la prostitution étudiante.

Face à ce phénomène, il est donc primordial d’informer les jeunes sur les risques prostitutionnels en les sensibilisant, notamment, sur les rapports entre les hommes et les femmes, l’éducation à la sexualité, les attitudes de responsabilité, de prévention et de protection, de soi comme de l’autre.

Pour conclure, je citerai ces propos de l’anthropologue Rose Dufour : « Le choix de se prostituer n’est pas un choix individuel, c’est un choix de société car accepter qu’une catégorie de femmes soit mise au service sexuel des hommes, c’est rendre prostituables toutes les femmes et tous les autres êtres humains. »

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