Intervention de Gisèle Gautier

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Gisèle GautierGisèle Gautier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’ayons pas peur de le dire : pratique ancienne s’il en est, la prostitution liée à la traite des êtres humains connaît un nouvel essor avec la mondialisation.

Industrialisée, banalisée et diffusée à l’échelle mondiale, la traite est devenue plus que jamais une activé engendrant d’immenses revenus. Il y a peu, l’Organisation internationale du travail, l’OIT, estimait à 35 milliards d’euros le chiffre d’affaires annuel lié au trafic des êtres humains, c’est-à-dire au commerce sexuel.

Il convient de s’interroger sur les raisons structurelles du développement d’une telle industrie. La pauvreté apparaît à bien des égards comme la cause fondamentale, l’instabilité politique favorisant et amplifiant le trafic : les femmes sont en effet, la plupart du temps, les victimes de la paupérisation. Les transformations politiques qu’ont pu connaître certains pays ces vingt dernières années ont notamment provoqué l’aggravation des inégalités entre les sexes au regard de l’accès au marché du travail ou des salaires. Ajoutons que la création de nouvelles frontières difficilement contrôlables – je pense, par exemple, à l’ex-Yougoslavie – a permis l’explosion des trafics en tous genres.

Voilà sept ans maintenant que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, dite LSI, a été votée, introduisant de nouvelles dispositions. Quel bilan pouvons-nous tirer aujourd’hui de son application ?

Nous avions, à l’époque, beaucoup débattu du délit de racolage passif. Il semble bien que cette mesure n’atteigne pas totalement l’objectif visé. Les éléments dont nous pouvons disposer aujourd’hui témoignent des difficultés d’application auxquelles sont confrontés les policiers sur le terrain et les tribunaux. Un flou a été constaté par les avocats et les magistrats, et rapidement confirmé par les premiers jugements.

Il nous faudra peut-être, monsieur le ministre, étudier de plus près ce point, sur lequel vous voudrez bien me donner votre avis.

Cela m’amène naturellement à évoquer le traitement réservé aux proxénètes, voire aux consommateurs, lesquels ne sont presque jamais inquiétés. Si l’on n’y prend garde, le traitement de la prostitution, qui n’est rien d’autre que l’exploitation de l’être humain, avec les violences que cela sous-entend, pourrait s’engager sur une voie répressive faisant passer les prostituées du statut de victimes à celui de délinquantes.

Il est tout de même curieux de constater que si la profession des prostituées est autorisée dans notre pays, sous certaines conditions bien sûr, elle est pénalisée et fiscalisée !

A contrario, des pays nordiques, comme la Suède, suivie en 2009 par la Norvège, appliquent désormais une législation pénalisant très fortement les clients et les trafiquants. L’exemple suédois montre qu’une telle politique produit des effets bénéfiques sur le plan de la traite, les réseaux se détournant d’un pays qui complique leur implantation et leurs activités, ce qui permet d’éviter l’arrivée de trop nombreuses femmes en provenance des pays de l’Est, d’Afrique, voire du Brésil ou de Chine.

Par ailleurs, il faudra se pencher rapidement sur le problème, en pleine expansion lui aussi, du recours à la téléphonie mobile et à internet, qui représente une véritable escalade dans la clandestinité. C’est là un vrai sujet, notamment en ce qui concerne les jeunes femmes mineures : non identifiées, elles ne sont donc pas protégées. À mes yeux, c’est un problème majeur qui mérite des dispositions spécifiques, compte tenu de l’ampleur qu’il prend.

Pour avoir participé récemment à un séminaire organisé à Londres par le Conseil de l’Europe, dont je suis membre, et par l’Union interparlementaire, dont je fais également partie, j’ai pu constater combien la mise en réseau et la mise en commun des actions dans différents pays d’Europe permettent d’obtenir des résultats non négligeables. Monsieur le ministre, vous connaissez beaucoup mieux que moi l’action d’Interpol. De hauts fonctionnaires de la police londonienne ont témoigné de l’efficacité d’une coopération entre les autorités britanniques et roumaines ayant permis de démanteler un réseau de traite, dont on ne pouvait imaginer l’ampleur, la structuration et les ramifications internationales.

En conclusion, pour éradiquer ce fléau croissant, il faut prendre les mesures qui s’imposent, faire preuve de réactivité, s’inspirer des pays novateurs, encourager les gouvernements à coordonner leurs actions, tout en s’assurant de l’efficacité de notre législation.

On le sait, la législation et la réglementation ne suffisent pas toujours, aussi convient-il de les faire non seulement respecter, mais aussi appliquer, dans un souci de protection et de justice, au bénéfice de la société française tout entière.

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