Intervention de Bernadette Bourzai

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de M. Richard Yung.

Il convient tout d’abord de dénoncer les effets néfastes de la pénalisation du racolage passif.

Nous partageons tous, ici, l’objectif de lutter contre les réseaux mafieux de proxénétisme, objectif d’autant plus nécessaire que l’on voit se développer, depuis quelques années, de nouvelles filières.

Pour autant, force est de le constater, le dispositif juridique en vigueur depuis 2003 n’a pas seulement eu pour effet de sanctionner ceux qui exploitent la prostitution d’autrui ; il a aussi gravement précarisé la situation sanitaire, sociale et juridique des prostitués, hommes ou femmes, comme cela a déjà été dit par Mme André.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer combien de réseaux de prostitution ont été démantelés en 2009 et depuis 2003 ? En outre, je souhaiterais savoir combien de personnes prostituées ont été placées en garde à vue en 2009 au titre de l’article 225-10-1 du code pénal.

La politique répressive mise en place par Nicolas Sarkozy alors qu’il était ministre de l’intérieur est fondée sur une méconnaissance de la complexité du phénomène de la prostitution. Sont en effet confondues prostituées victimes de traite ou d’exploitation et prostituées indépendantes.

La pénalisation du racolage passif a fait glisser la France du régime abolitionniste vers le régime prohibitionniste. Il est fort à craindre que la prochaine étape ne soit la mise en cause de la responsabilité des clients. Or, l’exemple suédois prouve que la pénalisation des clients n’est pas toujours une solution aussi efficace que viennent de le dire certaines de nos collègues.

En France, la pénalisation du racolage passif a entraîné une radicalisation de la répression policière, dépassant souvent les limites définies par la loi.

D’après de nombreuses associations – auxquelles je tiens ici à rendre hommage –, une justice policière s’est imposée. De nombreuses personnes prostituées n’ont désormais plus confiance dans les autorités policières et judiciaires et accèdent difficilement au droit et à la justice, y compris lorsqu’elles sont victimes de traite ou d’exploitation.

En outre, la mise en œuvre de la loi pour la sécurité intérieure a eu pour effet de déplacer le phénomène de la prostitution en dehors des villes et de faire émerger des zones de non-droit, dans lesquelles les prostituées sont exposées à des risques accrus.

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, la pénalisation du racolage passif fait l’unanimité contre elle. Le 18 décembre dernier, dans un avis très critique sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, a affirmé que « les personnes prostituées connaissent en France une surveillance exceptionnelle et discriminatoire conduisant à leur stigmatisation, voire leur sanction ou celle de leurs proches ».

La pénalisation du racolage passif méconnaît les engagements internationaux souscrits par la France, notamment la convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.

En outre, les poursuites et les sanctions dont font l’objet les personnes prostituées sont contraires à la convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains, que la France a ratifiée en 2008 et qui prévoit que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte.

Au vu de ces remarques, monsieur le ministre, je vous demande de suivre les recommandations de la CNCDH en abrogeant le délit de racolage public, qu’il soit passif ou actif, et en appliquant le droit commun aux atteintes à la moralité ou à la tranquillité publiques pouvant découler de l’exercice de la prostitution.

En contrepartie, vous devez proposer de développer la coopération européenne afin d’améliorer la lutte contre les réseaux transnationaux. Le manque d’harmonisation des législations nationales est en effet préjudiciable au démantèlement des filières, notamment dans les zones frontalières.

Pour conclure, je souhaite relever l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour protéger les personnes prostituées qui sont victimes de traite et d’exploitation. Ainsi, l’article 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, introduit par la loi LSI, qui prévoit la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire aux victimes de traite ou d’exploitation de la prostitution, n’est malheureusement pas appliqué de façon satisfaisante. De surcroît, des personnes prostituées ayant dénoncé leur proxénète n’ont, pour autant, pas été protégées contre des mesures de rétorsion.

La CNCDH a souligné le fait que seules les victimes de traite ou d’exploitation de la prostitution qui ont obtenu une carte de séjour pour avoir accepté de coopérer avec les autorités policières et judiciaires peuvent bénéficier d’un accompagnement social. Une telle mesure est discriminatoire. Il est regrettable que la délivrance d’un titre de séjour pour des motifs humanitaires reste, en pratique, exceptionnelle.

Monsieur le ministre, il faut rompre avec une politique exclusivement répressive et renforcer les mesures de protection et de prévention.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion