Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 11 mai 2010 à 14h30
Situation des personnes prostituées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours difficile de s’exprimer sur cette question sans tabou ni hypocrisie et sans risquer de se faire accuser par les contrôleurs de l’ordre moral, ou même, parfois, par des féministes traditionnelles, qui enferment la prostitution dans certains clichés !

Néanmoins, pour étudier un tel problème, le respect du principe de réalité et le courage politique sont d’une nécessité absolue. Aussi permettez-moi de vous tenir ces propos en toute franchise.

Le fait de se prostituer est considéré en France, depuis longtemps, comme relevant de la liberté individuelle. Notre droit, à cet égard, a toujours considéré la prostitution comme une activité légale.

En marge de cette pétition de principe, il existe des exceptions, dont la liste s’est allongée ces dernières années, de telle manière que la prostitution est devenue un champ du droit pénal à elle seule.

On constate en effet, depuis plusieurs années, une criminalisation accrue des prostituées, qui a connu son âge d’or avec la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003.

Ce texte traduit toute l’ambiguïté de l’approche de la question prostitutionnelle par les pouvoirs publics. Si la légalité de la prostitution est confirmée, son exercice se trouve entravé par un ensemble de dispositions répressives visant, en réalité, à rendre cette activité impossible. En fait, l’objectif de cette loi était de gêner, voire d’abolir, la pratique de la prostitution, tout en validant son existence et, partant, sa légalité.

Ce texte a fourni à la police un outil extraordinaire de répression des prostituées, en organisant une criminalisation rampante de leur activité. Ne pouvant interdire la prostitution, la loi pour la sécurité intérieure est venue la contrarier, par le biais de dispositions pénales dont l’application a précipité les prostituées dans la clandestinité et l’insécurité, très exactement là où elles sont le plus à la merci des réseaux de proxénétisme.

Cette loi repose sur une complète hypocrisie : alors qu’elle était censée lutter contre le proxénétisme, elle est devenue une arme contre les personnes prostituées elles-mêmes.

D’ailleurs, qu’a apporté ce texte sur le terrain de la lutte contre le proxénétisme ? De quels chiffres disposons-nous ? Combien de proxénètes ont été arrêtés et condamnés ? Nous l’ignorons !

À ce jour, aucun rapport n’a été établi sur cette question ; il faut bien l’admettre, les délits de proxénétisme sont plus souvent appliqués aux personnes prostituées qui s’entraident qu’aux tiers qui tirent bénéfice de leur activité.

Telle est la réalité quotidienne des prostituées, qui sont des personnes libres, soit, mais sous un régime de liberté surveillée !

Interdites d’exercice sur les trottoirs, en raison du délit de racolage, interdites d’exercice dans les hôtels, et même dans leurs studios personnels – en raison de la législation sur le proxénétisme, les propriétaires ne veulent plus leur louer de logements –, interdites d’exercice dans des camionnettes en raison des poursuites possibles, les personnes prostituées sont peu à peu reléguées dans les arrière-cours, dans des bois où leur sécurité n’est plus assurée et où leur vie, chaque jour, se trouve mise en danger.

Là est l’atteinte à la dignité de ces femmes et de ces hommes qui ont décidé d’exercer cette activité : ils en sont réduits à travailler dans des lieux insalubres ; la loi qui, prétendument, devait les protéger a précipité leur mise en danger. L’activité prostitutionnelle est devenue clandestine, sans même être interdite, du fait d’une radicalisation pénale, d’une répression accrue pour diverses raisons.

Je n’évoquerai même pas les conditions sanitaires dans lesquelles les personnes prostituées sont aujourd’hui contraintes de travailler. Je me contenterai de rendre hommage aux associations qui œuvrent tous les jours contre cette précarité sanitaire et sociale : je pense, en particulier, au Bus des femmes ou au Lotus Bus, qui accomplissent un excellent travail.

Finalement, quelle incohérence ! On réprime la prostitution sans pour autant la déclarer illégale, on poursuit pénalement les personnes prostituées alors même qu’on les considère comme des victimes…

Le délit de racolage, par exemple, est utilisé pour diverses raisons, étrangères d’ailleurs à la prostitution elle-même.

Tout d’abord, c’est le nettoyage des quartiers qui est visé, ce qui permet de soustraire au regard des habitants une activité qui est devenue gênante, pour ne pas dire offensante, aux yeux de certains. On se donne alors bonne conscience en refusant de voir une réalité qui dérange !

Ce délit est également un outil privilégié pour mettre en œuvre la politique de lutte contre l’immigration, qui trouve là des proies toutes prêtes. Arrêtées pour racolage, des personnes sont ensuite reconduites à la frontière en raison de leur situation administrative.

À cet égard, la protection que l’on avait promise aux personnes prostituées étrangères victimes de réseaux de proxénétisme est restée lettre morte ! Le dispositif d’octroi de titres de séjour à celles qui dénoncent leur proxénète est en panne…

Monsieur le ministre, nous sommes bien conscients qu’il faut lutter contre le proxénétisme. Toutefois, n’existe-t-il pas d’autres moyens pour ce faire que de s’en prendre à ces femmes et à ces hommes directement ?

Depuis plusieurs mois, le décret portant création de la mission de coordination nationale sur la traite des êtres humains est prêt ; il n’est toujours pas paru ! Pourtant, cette instance permettrait d’améliorer la prise en charge des victimes, tout en garantissant une poursuite efficace des auteurs de la traite des êtres humains, notamment des proxénètes. Monsieur le ministre, pourquoi ce décret n’a-t-il pas encore été pris ?

Commençons par lutter efficacement contre la traite des êtres humains et laissons les personnes prostituées exercer leur activité, sans les harceler. En effet, il faut mettre un terme à l’amalgame entre prostitution et trafics, ou à la confusion entre prostitution et racolage : ce sont des choses différentes !

On ne peut présumer une personne prostituée coupable de racolage tant que des éléments probants ne sont pas réunis ! D’ailleurs, je le rappelle, la Cour de cassation donne une interprétation très stricte des éléments constitutifs de ce délit.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je ne vous demanderai pas d’harmoniser par circulaire cette interprétation des textes : nous devons garder à l’esprit le principe de réalité et supprimer le délit de racolage, qui est la porte ouverte à la criminalisation de la prostitution.

Peut-être devrions-nous avoir le courage d’engager un débat avec les personnes prostituées, afin de reconnaître leur activité, si elles le souhaitent naturellement, ainsi que leurs droits sociaux, sachant qu’elles aussi acquittent des taxes et des impôts. Pour plus de sécurité et plus de garanties, nous devons réglementer.

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