Intervention de Charles Revet

Réunion du 11 mai 2010 à 22h15
Bilan d'application de la loi portant réforme portuaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Charles RevetCharles Revet, pour la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, auteur de la question :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 4 juillet 2008 fut promulguée la loi portant réforme portuaire. Comme vous le savez, j’avais eu l’honneur d’être désigné rapporteur de ce texte, qui a sonné l’heure de la relance de nos grands ports maritimes.

Personne ici n’ignore les difficultés que traversent nos ports depuis une vingtaine d’années. Je le rappelle, le tonnage cumulé de tous nos ports français atteignait péniblement 307 millions de tonnes en 2008, contre 421 millions de tonnes pour le seul port de Rotterdam, premier port d’Europe. Et si l’on se penche sur le trafic de conteneurs, segment le plus dynamique et le plus riche en termes de valeur ajoutée, là encore les comparaisons européennes ne sont guère flatteuses pour nous : alors que le port du Havre, premier port français, et de très loin, pour les conteneurs, a enregistré en 2008 un trafic de 2, 44 millions d’équivalents vingt pieds, ou EVP, celui des ports de Rotterdam et de Hambourg culminait aux alentours de 10 millions de boîtes. Sur la façade méditerranéenne aussi, la situation est inquiétante : le port de Marseille a connu un trafic de 850 000 EVP en 2008, contre 2, 5 millions pour Barcelone.

Nos performances sont loin d’être à la hauteur de nos ambitions et de notre potentiel. En effet, notre pays, idéalement ouvert sur le bassin méditerranéen comme sur l’océan, bénéficie d’une situation enviable, au carrefour de l’Europe. Notre positionnement stratégique devrait nous permettre de rivaliser avec les grands ports européens et de créer des dizaines de milliers d’emplois.

Mais pour cela, il nous faut changer de braquet, renouveler nos modèles, briser les torpeurs et remédier aux lourdeurs. Certes, comparaison n’est pas raison, mais l’exemple chinois doit nous inciter à accélérer la réalisation de nos grands projets. La pesanteur de nos procédures allonge d’une manière inacceptable nos délais et conduit quelquefois à constater que, lors de son aboutissement, un projet a parfois perdu sa pertinence économique. À titre d’exemple, le port pétrolier d’Antifer, conçu pour abriter des navires de 500 000 tonnes, n’en a accueilli qu’un seul, le Batilus, le jour de son inauguration. C’est dire combien ces lourdeurs, sources de nombreux retards, peuvent avoir de fâcheuses conséquences.

Nous devons tous nourrir une nouvelle ambition pour nos ports. C’est tout le sens de mon engagement en faveur de leur développement, que j’ai eu l’occasion à maintes reprises d’exprimer dans cette enceinte. Mon ambition constante est de mobiliser les volontés des décideurs politiques pour dynamiser nos ports.

Depuis 2007, je dois avouer que les choses me paraissent aller dans le bon sens.

Sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, un plan de relance des ports a été élaboré par le Gouvernement, comprenant, outre la loi qui nous occupe aujourd’hui, un volet financier.

Cette loi ambitieuse nous permettra, je l’espère, d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement. Elle comprend quatre grands axes.

Premièrement, les missions des ports autonomes métropolitains, désormais appelés « grands ports maritimes », sont recentrées sur trois missions principales : une mission d’autorité publique pour garantir l’accès maritime, la police portuaire, la sécurité et la sûreté ; une mission d’aménageur du domaine portuaire, grâce à la propriété quasiment entière de leur domaine et à la gestion des dessertes fluviales et terrestres dans leur circonscription ; une mission d’élaboration de la politique tarifaire.

Deuxièmement, l’organisation de la manutention portuaire est simplifiée et rationalisée. S’inspirant du modèle du « port propriétaire », la loi préconise la mise en place d’opérateurs intégrés de terminaux, responsables de l’ensemble des opérations de manutention et exerçant sur cette activité une autorité réelle et permanente. Dans ce cadre, les grands ports maritimes cessent, sauf cas exceptionnels, de détenir ou d’exploiter des outillages de manutention et les transfèrent à des opérateurs.

Troisièmement, la gouvernance des grands ports maritimes est modernisée et calquée sur celle des grandes entreprises privées. En effet, le conseil d’administration est remplacé par un conseil de surveillance doté de davantage de pouvoirs, dans lequel l’État et les collectivités territoriales auront plus de poids. Ce conseil exercera le contrôle du directoire. Un conseil de développement, consultatif, permettra quant à lui de mieux associer les différents acteurs locaux concernés par le fonctionnement du port.

Quatrièmement, enfin, la coordination entre ports d’une même façade maritime ou situés sur un même axe fluvial peut être engagée par décret du ministre, ce que le Gouvernement a fait pour l’axe séquanien.

J’ai la faiblesse de penser que le travail que nous avons réalisé au Sénat était de bonne facture – je le dis devant le président Emorine, qui m’a beaucoup accompagné dans cette démarche –, car l’Assemblée nationale a voté conforme notre texte.

En outre, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a été aussi réactif et diligent que le Parlement, qui, je le rappelle, a voté le texte en moins de six mois, dans la mesure où les décrets d’application, à une exception près, ont tous été pris moins de trois mois après la promulgation de la loi. Cela est suffisamment exceptionnel pour être souligné. Voilà pourquoi, à l’instar de la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, je voudrais vous féliciter, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir eu le courage de vous atteler à la réforme des ports, trop longtemps retardée.

Cela étant, qu’en est-il aujourd’hui, concrètement, sur le terrain ?

Tous les grands ports maritimes ont désormais leurs nouvelles structures de gouvernance. Les conseils de surveillance ont été mis en place entre janvier et février 2009, les conseils de développement entre janvier et mars 2009. Surtout, l’ensemble des projets stratégiques sont désormais adoptés. Ainsi, les sept grands ports maritimes – Dunkerque, Rouen, Le Havre, Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux et Marseille – bénéficient enfin d’une feuille de route à moyen terme.

Monsieur le secrétaire d’État, ma première question est donc la suivante : pouvez-vous rappeler succinctement les grandes lignes de ces projets stratégiques, en mettant l’accent sur les ports de Marseille et du Havre, tout en montrant leur conformité avec les engagements du Grenelle de l’environnement ?

En effet, je le rappelle, notre pays s’est assigné un double but : faire évoluer la part du fret non routier et non aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 ; atteindre, d’ici à 2012, une croissance de 25 % de ladite part modale. En outre, concernant plus particulièrement les places portuaires, un objectif ambitieux est posé : doubler la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015.

S’agissant des transferts d’outillages, la Commission nationale d’évaluation des cessions d’outillages portuaires a émis des avis sur le prix de vente des outillages que souhaitent proposer les autorités portuaires. Ainsi, les grues, portiques et autres bâtiments seront vendus à un juste prix, afin de protéger les deniers publics. Mais, pour l’heure, aucune vente n’a été réalisée.

D’où ma deuxième question : quand ces outillages seront-ils effectivement vendus ? Pour certains ports, la commission nationale précitée a émis des avis favorables sous réserve de constitution de sociétés ad hoc : où en est-on aujourd’hui, notamment sur le terminal de Mourepiane à Marseille, sur le quai Freycinet 11 de Dunkerque, à Nantes-Saint-Nazaire, ou encore sur le terminal minéralier du Havre ? Cette question de la vente des outillages est essentielle, car c’est elle qui conditionne ensuite le transfert de personnel. Faut-il le rappeler, l’un des objectifs de la loi de 2008 était d’assurer un commandement unique sur tous les terminaux et de mettre fin à une exception française : la séparation artificielle de la manutention horizontale et de la manutention verticale, cas unique en Europe.

Ma troisième question, monsieur le secrétaire d’État, est relative au Conseil de coordination interportuaire de la Seine, réunissant le port autonome fluvial de Paris et les grands ports maritimes de Rouen et du Havre. Cet organisme, mis en place depuis le 15 octobre 2009, est présidé par M. Claude Gressier, un homme qui connaît bien le monde portuaire et a vocation à faire naître des synergies entre ces trois ports pour mettre davantage en valeur l’axe de la Seine.

Mais, concrètement, quels objectifs ce conseil s’est-il fixés ? Ne pourrait-on pas, à terme, imaginer un élargissement de son périmètre, afin de prendre en compte la problématique du futur canal Seine-Nord Europe ? En effet, le développement des ports normands dépendra étroitement de leur capacité à tirer profit de cette formidable infrastructure. Le canal les condamne à réussir leur révolution en interne, sauf à risquer d’être définitivement marginalisés dans la compétition européenne.

Je voudrais maintenant aborder la question de l’extension de la réforme portuaire à d’autres ports ; je pense en particulier aux ports fluviaux de Paris et de Strasbourg, ainsi qu’aux ports autonomes d’outre-mer.

La Cour des comptes partage les préoccupations que j’avais exprimées dans mon rapport parlementaire en mai 2008. En effet, le port de Paris souffre également de certains maux communs aux anciens ports autonomes. D’où mon interrogation : quels changements le Gouvernement souhaite-t-il voir opérer dans le port de Paris, notamment au regard de l’examen du projet de loi Grenelle II à l’Assemblée nationale ? De même, quels sont vos projets pour les ports ultramarins, et quelles suites concrètes réservez-vous aux conclusions de la mission administrative de septembre 2009 ?

Permettez-moi de rappeler que l’Autorité de la concurrence, dans un avis en date du 8 septembre 2009, a déploré l’importance des surcoûts salariaux supportés par les entreprises de manutention, surcoûts intégralement répercutés ensuite sur les consommateurs finals. Or nos collègues sénateurs ultramarins, notamment Serge Larcher, qui a présidé la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer en 2009, sont particulièrement vigilants sur la formation des prix dans les DOM.

Avant de conclure, je souhaiterais élargir mon propos au projet du Grand Paris.

La Haute-Normandie et la Basse-Normandie doivent être reliées à la capitale par un train à grande vitesse et un réseau orienté vers le fret qui soit fiable. La mise en place d’une ligne à grande vitesse Paris-Le Havre, qui desservirait Caen, constitue un enjeu majeur pour l’aménagement de l’axe de la Seine, à condition qu’elle puisse se réaliser rapidement et soit étroitement interconnectée avec les réseaux franciliens. Il est essentiel à mes yeux que cette future ligne à grande vitesse soit mixte et assure tant le transport des voyageurs que celui des marchandises. N’oubliez pas, mes chers collègues, que les lignes TGV actuelles ne permettent malheureusement pas le transport de fret pour des raisons techniques, comme l’a rappelé le président de la SCNF, M. Pepy, lors de son audition devant la commission spéciale sur le Grand Paris.

Lors de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris, le mois dernier au Sénat, j’ai présenté un amendement, qui a été accepté par le rapporteur, M. Jean-Pierre Fourcade, et par la commission spéciale, destiné à alimenter la réflexion sur les possibilités de développer l’axe de la Seine.

Ainsi, ce projet de loi prévoit désormais, en son article 2, qu’un rapport au Parlement devra présenter « les possibilités de construire de nouvelles installations portuaires le long de la Seine afin de permettre une meilleure desserte du Grand Paris ». L’avenir du port du Havre et la recherche de nouveaux terrains se décident dès maintenant, car les projets en cours, comme la réhabilitation du vieux port ou le repositionnement de l’écluse François Ier, ne concernent que la période 2010-2020.

Il est essentiel d’ouvrir la capitale vers la Manche et l’Atlantique. Les entités portuaires situées sur cet axe fluvial, du fait de leur positionnement géographique, disposent d’atouts exceptionnels leur permettant de rivaliser en termes de potentiel avec l’ensemble des grands ports de l’Europe du Nord.

Le Grand Port maritime du Havre, situé à l’ouverture de l’estuaire, peut accueillir, avec Port 2000, les plus gros porte-conteneurs existant actuellement dans le monde. Il est idéalement situé pour le transbordement de conteneurs et l’éclatement vers d’autres ports. En revanche, cette situation à la pointe de l’estuaire pose un problème quant à l’acheminement, en particulier par voies ferroviaires et fluviales. Des travaux sont prévus pour améliorer ces dessertes.

Confronté à un problème identique pour son développement, le port de Hambourg a choisi de remonter l’Elbe en approfondissant le chenal du fleuve. Une démarche identique pourrait être engagée sur l’axe de la Seine pour permettre la création d’une nouvelle entité portuaire en aval et en amont du pont de Tancarville jusqu’au droit de Norville. Cela nécessiterait un approfondissement du chenal et un aménagement des rives.

L’intérêt d’un tel projet serait multiple. L’activité pourrait se développer de part et d’autre du fleuve, des espaces très importants permettant d’aménager des bassins, des terre-pleins et des zones logistiques. L’accès au réseau ferroviaire est facile des deux côtés du fleuve ; barges et péniches pourraient également accoster sans problème. L’axe de la Seine pourrait ainsi disposer des meilleurs atouts dans la perspective de l’ouverture du canal Seine-Nord Europe.

Bien évidemment, ces aménagements en aval de la Seine devraient se faire dans le respect des normes environnementales, mais sans zèle excessif. Je déplore que les zonages du réseau Natura 2000 aboutissent bien souvent à geler tout projet de développement économique en France, alors que les autres ports européens ont une lecture moins restrictive des directives communautaires en matière d’environnement.

À cet égard, comme l’indique dans son édition d’hier le journal Les Échos, la commission Attali, mandatée par la chambre de commerce et d’industrie du Havre, dans un ouvrage qui paraîtra demain, regrette elle aussi les « hypothèques écologiques » qui ralentissent le développement de certains territoires de la vallée de Seine.

D’ailleurs, la commission de l’économie pourrait utilement examiner, dans les mois qui viennent, les cinquante propositions de ce rapport et voir en quoi elles permettraient de relancer l’activité portuaire tout en assurant le développement du Grand Paris.

Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les interrogations et les observations que je voulais formuler quant au suivi de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire. Ce texte doit sonner le renouveau de nos ports afin de rattraper et, espérons-le, de dépasser, à terme, les ports du nord de l’Europe. C’est un très beau défi que nous pouvons remporter si nous en avons la volonté.

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