Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 11 mai 2010 à 22h15
Bilan d'application de la loi portant réforme portuaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Vous arguez même que les ports français auraient mieux résisté que les autres. Monsieur le secrétaire d'État, si tel est le cas, c’est parce qu’il subsiste encore une notion d’intérêt général liée à leur activité et que leur libéralisation n’a pas été menée jusqu’au bout, contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des ports étrangers.

Ainsi, à l’évidence, la crise que nous traversons devrait nous inciter à plus de prudence dans cette course à la libéralisation. La période n’est pas propice à une telle politique : ne privons pas davantage l’État de leviers d’action dans un secteur économique clé, qui peut d’ailleurs contribuer à la relance.

Sur le fond, une telle absence de résultats positifs était prévisible puisque les objectifs de cette réforme étaient non pas économiques mais bien politiques. Il s’agissait en effet de compléter, dans la droite ligne de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, la privatisation de l’outillage public au sein des ports. Selon l’Institut supérieur d’économie maritime de Nantes–Saint-Nazaire, « la réforme s’affiche comme une nouvelle étape dans la vision française du secteur portuaire : l’État veut laisser la part belle aux opérateurs privés ».

Ainsi, une nouvelle fois, monsieur le secrétaire d’État, vous avez apporté les mauvaises réponses à une bonne question, celle du renforcement de la compétitivité des ports français.

La réforme de 1992 était déjà censée résoudre ce problème. Le gouvernement de l’époque annonçait la reconquête des parts de marché par les ports français, ainsi que la création de milliers d’emplois. Aujourd’hui, les résultats sont loin d’être ceux qui avaient été annoncés ! Les effectifs des dockers ont été divisés par deux et les gains en termes de tonnage sont ridiculement faibles. Pourtant, vous avez persévéré dans la même voie, avec des résultats tout aussi peu probants.

En effet, je le répète, ce qui manque à nos ports, c’est bien un investissement public considérable, à l’image d’ailleurs de celui qui a été réalisé en Europe du Nord, notamment à Anvers. Ainsi, quand les pouvoirs publics belges investissent 600 millions d’euros dans cette ville, la France offre 174 millions d’euros à ses ports. Vous voyez là l’étendue du manque à gagner !

Où sont les 30 000 emplois annoncés en 2008 ? Quant aux fameux projets stratégiques, ils ont tous été revus à la baisse.

Mes chers collègues, voilà les quelques éléments que je souhaitais partager avec vous en préambule.

Je reprendrai à présent trois éléments de bilan qui me semblent importants.

Tout d’abord, s’agissant de la gouvernance, la loi a permis d’appliquer aux ports un modèle issu du privé, en transformant le conseil d’administration en conseil de surveillance et en directoire. Cette nouvelle gouvernance a déséquilibré la représentation entre l’État, les collectivités, et les représentants du personnel des GPM, les grands ports maritimes, ce que nous regrettons.

Nous déplorons également que, dans le conseil de surveillance – la véritable instance décisionnaire – puissent siéger des personnalités qualifiées qui sont dépourvues, ou presque, de lien avec l’activité portuaire, tandis que, à l’inverse, les membres du conseil de développement, aux pouvoirs simplement consultatifs, soient, eux, directement impliqués dans la vie des ports.

Au final, le rôle des GPM se trouve réduit aux activités régaliennes et aux fonctions d’aménageur du domaine portuaire, indépendamment de toute notion de politique industrielle. De gérants d’exploitation, ils deviennent les aménageurs d’un espace économique. Cette évolution ne correspond pas à notre volonté de renforcement de l’intervention publique dans l’espace portuaire, notamment au regard des nouveaux enjeux portés par le Grenelle de la mer ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

Monsieur le secrétaire d’État, pour finir sur cette question, je regrette également que, au cours du bilan réalisé le 27 avril dernier, vous ayez annoncé la création de deux conseils de coordination, l’un pour la Seine, l’autre pour l’Atlantique.

Certes, il est nécessaire de créer de telles structures, et les axes définis ne sont pas sans intérêt. Pour autant, au regard des objectifs qui sont assignés à ces conseils – la réalisation d’économies d’échelle et la coordination de la politique commerciale des ports de ces façades –, vous êtes une nouvelle fois pris dans vos contradictions. Sous couvert de dynamiser les ports, vous prenez seulement en compte la dimension commerciale, en dehors de toute considération de politique industrielle.

Concernant la privatisation de l’outillage sous la dénomination de « commandement unique », malgré la qualité de l’accord-cadre national signé le 30 octobre 2008, qui prévoit le refus de tout licenciement et le « cousu main » afin de « permettre une application intelligente de la loi en fonction des spécificités de chaque place portuaire », nous continuons de penser que cette démarche emporte de forts risques de précarisation des travailleurs portuaires.

En effet, il est difficile d’apprécier aujourd’hui la bonne foi du Gouvernement dans les déclinaisons locales de cet accord, s’agissant notamment du respect de ce « cousu main ». Par exemple, l’accord signé à Nantes a été « retoqué » par l’État, entraînant la démission du directeur du port.

Dès lors, comment ne pas voir que ce prétendu « cousu main » correspond dans les faits à un droit de veto de l’État ?

Par ailleurs, il est intéressant de constater que les opérateurs se sont très souvent positionnés sur les terminaux qu’ils exploitaient déjà auparavant. En outre, il existe de forts risques de création de monopoles privés, comme à Bordeaux, où l’ensemble du site et des outillages ont été regroupés dans un lot unique.

Sur cette question, je me dois de vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État, sur les suites données à la décision de la Commission européenne du 8 avril 2009. En effet, cette institution a estimé que le « mécanisme de transfert des activités de manutention portuaire vers les opérateurs privés ainsi que le dispositif fiscal applicable aux équipements transférés pourraient contenir des aides d’État incompatibles avec le marché commun ». Nous souhaitons obtenir sur ce sujet des informations précises.

Pour finir sur ce point, je souhaite également vous interpeller sur le champ d’application de la convention collective unique des personnels portuaires et de la manutention.

Les syndicats vous demandent l’application uniforme de cette convention aux ports de pêche, aux ports de commerce et aux ports fluviaux. Dans le cadre du Grand Paris, notamment sur le secteur du canal Seine-Nord Europe, l’intérêt tout particulier d’une telle uniformisation apparaît clairement. Cet élargissement du champ d’application serait d’autant plus pertinent que, aujourd’hui, les ports fluviaux disposent de grandes capacités en termes de conteneurs. Vous vous êtes engagé, monsieur le secrétaire d’État, à appliquer cette convention aux ports autonomes de Paris et Strasbourg. Toutefois, nous persistons à penser qu’il faut aller encore plus loin !

J’en viens maintenant au troisième et dernier point de ce bilan : le renforcement de l’intermodalité au sein des GPM.

En effet, lors de la discussion de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, le Sénat avait réaffirmé la nécessité de renforcer la desserte ferroviaire et fluviale des GPM. Qu’en est-il au juste ?

Nous avons entendu de nombreuses annonces. Selon le Gouvernement, l’engagement national pour le fret lancé par l’État en septembre 2009 et doté en principe d’une enveloppe de 7 milliards d’euros devait contribuer à un renforcement sensible de la desserte ferroviaire des ports français. Qu’en est-il dès lors que ces projets n’ont pas reçu de traduction budgétaire ?

Charles Revet évoquait tout à l’heure la Seine-Maritime. Qu’il me soit permis de parler de la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen, qui est menacée alors qu’elle irrigue les terminaux du port de Rouen. Comment ces derniers fonctionneront-ils demain, et combien de salariés seront encore licenciés ?

De même, quelles seront, pour tout le secteur portuaire, les conséquences de la politique de casse du fret ferroviaire et du wagon isolé ? Nous estimons que, loin de permettre un renforcement du transport combiné, de telles mesures ne peuvent s’interpréter que comme un désengagement de la puissance publique, en totale contradiction avec les objectifs affichés par le Grenelle de l’environnement et par la réforme portuaire.

À ce titre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interpeller également sur une question de sécurité liée à la propriété et à l’exploitation des voies ferrées des ports. En effet, il existe autour de cette question un vide juridique, source d’insécurité et de confusion.

Pour notre part, nous estimons qu’il faudrait confier à l’EPSF, l’établissement public de sécurité ferroviaire, un droit de regard sur l’exploitation de ces voies. Celles-ci ne peuvent être séparées du reste du réseau en matière de sécurité, car le domaine portuaire reste, je vous le rappelle, un domaine public.

Nous sommes également au regret de constater que la route conserve, grâce à une législation favorable, un avantage concurrentiel sur le rail et le maritime. Pourtant, je vous rappelle que les enjeux sont ici considérables : le désengorgement du réseau routier, visant à permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, objectif fixé dans le cadre du Grenelle, est impératif et ne peut se résumer à la création d’autoroutes ferroviaires sur l’axe Le Havre-Marseille.

Ces développements me permettent de faire très naturellement le lien avec l’incidence du Grenelle de la mer sur l’évaluation de cette réforme portuaire.

À ce titre, je vous rappelle que, dans le livre des engagements de négociation, il est prévu un audit de la réforme portuaire pour apprécier la conformité de cette dernière à la nouvelle politique maritime du Grenelle de la mer. Nous demandons donc que, dans le prolongement de ce débat, un véritable audit soit engagé.

Au final, ce que je retiens de ces travaux se résume en deux idées.

Premièrement, penser de manière durable le développement des grands ports maritimes induit un gisement d’emplois et d’activités nouvelles. Je pense notamment à la possibilité de créer une filière de préservation et de gestion nouvelle de l’écosystème marin. Nous pourrions également favoriser la création d’une filière de déconstruction et de recyclage des navires civils et militaires en fin de vie. Voilà, pour la politique maritime nationale et pour nos ports, un véritable défi qui serait facteur de relance. Qu’en pensez-vous?

Deuxièmement, le Grenelle de la mer comme le Grenelle de l’environnement, par la définition d’enjeux nouveaux, ont très clairement pointé l’immense responsabilité des pouvoirs publics pour infléchir, en termes d’interventions réglementaires et d’investissements, les logiques marchandes de concurrence, qui n’ont pas fait preuve de leur pertinence.

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