Peut-être ! Là aussi, je pense que le président Guérini est extrêmement serein.
Pour faire accepter politiquement, économiquement et socialement votre projet, à l’époque, vous aviez fait référence, dans l’exposé des motifs, à la nécessité pour les ports français de regagner les parts de marché perdues.
Alors que l’on souhaitait du concret, du courage et des innovations, le projet se bornait finalement à organiser le transfert au secteur privé de l’outillage et des personnels des ports autonomes, voyant en cela un moyen de renforcer la compétitivité des ports français !
Mais vous n’avez pas pris la mesure des besoins des ports de France. Une politique portuaire doit se situer à la croisée des chemins entre une politique maritime et une politique d’aménagement du territoire.
Certes, monsieur le secrétaire d'État, la réforme a ouvert des pistes de modernisation des ports dans un contexte de mondialisation, mais on a oublié l’essentiel : la définition d’une véritable politique nationale portuaire. Et je ne parle pas du traitement de la question du personnel...
La situation des ports français traduit d’abord, comme tous les observateurs le soulignent, une regrettable absence d’anticipation et de stratégie lisible en matière de politique maritime et portuaire. Je n’invente rien : cette analyse a été développée par la Cour des comptes dans son rapport d’octobre 2009 sur la décentralisation.
Pour calmer les esprits critiques, il a été décidé de rebaptiser les ports maritimes en « grands ports maritimes », avec l’espoir que la réalité suive la sémantique.
La réussite des ports européens par rapport aux nôtres tient sans doute à l’efficacité de leur organisation technique ou commerciale, à leur capacité de s’adapter rapidement face à la croissance des nouveaux modes d’échange. Ils ont su associer intelligemment investissement privé et investissement public.
Dois-je rappeler ici que la compétitivité d’un port dépend non pas uniquement de son positionnement géographique, de ses qualités nautiques, du niveau de ses équipements ou même de l’efficacité de son exploitation, mais aussi de la performance de sa desserte terrestre, qui détermine l’étendue réelle de son hinterland ?
J’enfonce là une porte ouverte, me direz-vous peut-être ; mais cela ne semble pas si évident puisque, à ce jour, le projet stratégique du Grand Port maritime de Marseille reste totalement insuffisant sur le développement du ferroviaire, dont la desserte est pourtant essentielle, et sur le multimodal.
La part des transports terrestres est très importante dans la composition du coût de l’acheminement de la marchandise et sera de plus en plus déterminante.
Sur ce terrain, le retard des ports français est massif et deux chiffres permettent de le mesurer : 50 % de la desserte terrestre des ports du Benelux est assurée par voie fluviale ou ferroviaire ; 80 % de la desserte du port de Marseille est assurée par la route, tandis que les bassins de Fos n’ont toujours pas d’accès autoroutiers. L’autoroute n’existe que jusqu’à Martigues et il faut emprunter ensuite les réseaux national et départemental pour rejoindre le bassin de Fos !
Cette situation tient largement à la faiblesse du soutien financier de l’État au développement des infrastructures des ports français et à l’absence d’investissements permettant d’améliorer leur desserte.
Par ailleurs, le déficit d’investissement est criant si l’on s’intéresse au seul trafic des conteneurs. « Fos 2XL », le premier investissement significatif décidé pour le port de Marseille depuis plus de quinze ans, représente une enveloppe de 206 millions d’euros en termes d’infrastructures.
Cette somme peut paraître dérisoire lorsqu’on la compare avec celles qui ont été débloquées pour les terminaux à conteneurs d’autres ports européens : 600 millions d’euros à Anvers, 2, 9 milliards d’euros à Rotterdam, 1, 1 milliard d’euros à Hambourg. Et nous faisons bien pâle figure face aux ports du sud de l’Europe : 300 millions d’euros à Gênes et à La Spezia, 520 millions d’euros à Barcelone, 450 millions d’euros à Algésiras.
Parlementons tant que nous voulons sur le bilan de la réforme, mais, avant toute chose, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, reconnaissons que cette séance semble aujourd’hui un peu superfétatoire tant le bilan de la réforme paraît, en termes d’investissements, d’analyse économique et de stratégie commerciale, pour le moins imprécis.
Pourtant, les organisations syndicales de salariés, l’Union nationale des industries de la manutention et l’Union des ports de France ont cru à cette réforme. Leurs espoirs en termes de développement de l’emploi – promesse des 30 000 emplois directs et indirects, développement des journées dockers – et de l’activité – promesse de l’augmentation du trafic de conteneurs de 3, 5 millions à 10 millions avant 2015 – étaient tels que les unes et les autres ont tenu à respecter le calendrier fixé par le Gouvernement pour organiser les modalités de transfert au secteur privé de certains personnels du Grand Port de Marseille.
Ils se sont impliqués, allant jusqu’à organiser pas moins de cinquante-trois réunions pour conclure l’accord-cadre interbranche tripartite du 30 octobre 2008, assorti de conditions sociales avantageuses et exorbitantes du droit commun, et ont adopté une convention collective nationale unifiée « Ports et manutention », le 30 juin dernier.
En outre, un travail commun mené sur la notion de cessation anticipée d’activité pour pénibilité a abouti, mais le financement des mesures envisagées reste encore épineux.
Monsieur le secrétaire d'État, il n’est plus possible de nier les difficultés, et l’ensemble des protagonistes attend des réponses concrètes du Gouvernement.
La déception est réelle de part et d’autre, et le personnel est légitimement sur la défensive. D’ailleurs – on peut le regretter –, l’activité de marchandises des grands ports français a été à l’arrêt à de multiples reprises : les 6 et 16 novembre dernier, ainsi que les 4 et 11 janvier 2010. Ce fut aussi le cas du port de Marseille-Fos, à l’arrêt – vrac et conteneurs – avec seize navires à quai.
À Marseille, sur le site de Graveleau, le plan de cession des outillages des terminaux et du transfert du personnel a été rejeté par la Commission nationale d’évaluation. Le Grand Port maritime de Marseille doit donc lancer de nouveau un appel à candidatures.
Souvenons-nous que, en 1992, on nous présentait déjà l’intégration des dockers au sein des entreprises de manutention comme LA réforme.
On aurait souhaité, comme notre collègue Jean-Noël Guérini vous l’avait déjà demandé lors du débat en 2008, que la nouvelle réforme de la manutention soit précédée d’une évaluation précise des effets de la précédente, de son coût, de ses apports en termes de productivité, voire de ses échecs en termes de trafic et donc d’emploi.
Vous allez une fois de plus objecter que la réforme de 1992 n’est pas allée au terme de sa logique et que celle de 2008 l’a achevée.
Je crois plutôt que la réforme de 1992, comme celle de 2008, a souffert de ne porter que sur l’un des facteurs de la productivité des ports en oubliant de s’inscrire durablement dans une stratégie de développement.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant de conclure, je tiens à remercier tout particulièrement les efforts consentis par l’ensemble des protagonistes de la réforme portuaire à Marseille.
Les ambitions marseillaises ont certes été revues à la baisse, mais il faut bien admettre que la direction du port, dans un contexte de crise aiguë, a été freinée dans ses initiatives. « À l’impossible nul n’est tenu », dit-on…
Je terminerai mon intervention sur une note d’optimisme en rappelant que Marseille-Fos reste le premier port français, le premier port de Méditerranée et le troisième port pétrolier mondial, ce dont nous sommes fiers. Qui plus est, les atouts – fleuve, fer, route, pipeline – dont il bénéficie et l’ambition des uns et des autres pour le rayonnement économique de notre département permettent d’envisager un avenir plus ensoleillé pour le Grand Port maritime de Marseille.