Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 11 mai 2010 à 22h15
Bilan d'application de la loi portant réforme portuaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis près de cinq siècles, notre pays est une des principales puissances maritimes mondiales, tant par le respect qu’ont toujours inspiré notre marine et ses infrastructures portuaires que par l’immensité de notre littoral, de la métropole à l’outre-mer.

Dans la compétition sans merci à laquelle se sont longtemps livrés les États marins de l’Europe, la France a toujours su s’appuyer sur des ports suffisamment puissants et organisés pour participer efficacement aux échanges maritimes sur l’ensemble des mers et des océans.

Forts de leur histoire, nos ports étaient confrontés depuis quelques années à des difficultés majeures rendant nécessaire une modernisation structurelle, mais aussi à une concurrence de plus en plus effrénée de pays nouvellement émergents. Dès lors, il devenait urgent de leur redonner un nouveau souffle afin de maintenir et de pérenniser la place qui est historiquement la leur.

Qu’il s’agisse de l’entretien, de l’exploitation des accès maritimes ou bien de la modernisation et de l’extension des ports, les investissements ont été le parent pauvre des infrastructures de transport. La compétitivité des ports ne dépend pas uniquement de leur positionnement géographique ou de leur niveau d’équipement, elle est également fortement liée à la performance de leurs dessertes terrestres, qui déterminent l’étendue réelle de leur hinterland.

À titre d’exemple, la plateforme portuaire de Rotterdam bénéficie de 12 milliards d’euros sur la période 2008-2012 ; la Belgique a investi 600 millions d’euros pour quatre grands ports entre 2000 et 2008, alors que le gouvernement français annonce un doublement des contributions des contrats de plan État-région, soit 174 millions d’euros, abondés des 50 millions d’euros du plan de relance.

Les moyens engagés ne semblent pas à la hauteur des objectifs annoncés.

La loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est une réforme de caractère global qui s’inscrit dans une stratégie de réappropriation des activités portuaires alliant développement économique, respect de l’environnement et promotion d’une politique de transport multimodale.

Moins de deux ans après sa promulgation, nous voici appelés à dresser un premier bilan de son application. Bien entendu, il n’est pas question de contester le bien-fondé de ce texte : la modernisation d’infrastructures vieillissantes s’imposait d’autant plus que les acteurs concernés la réclamaient. En outre, il est toujours réjouissant d’encourager le partenariat entre les grands ports maritimes et les collectivités qui les abritent, la multiplication des échanges entre gestionnaires et élus locaux ne pouvant déboucher que sur un accroissement des responsabilités et une amélioration des services portuaires.

Mais, sur ce sujet, je tiens à évoquer deux points.

Le transfert de certaines activités aux opérateurs privés – et l’histoire récente nous le démontre tous les jours – ne renforcera pas nécessairement la compétitivité des ports français. Le risque de monopolisation de l’activité de manutention existe.

Quant au second point, c’est celui du rôle de l’État dans les conseils de surveillance. Avec cinq représentants, l’État en reste l’acteur principal. Il serait donc légitime que son engagement financier soit à la hauteur de sa responsabilité dans les conseils de surveillance. En effet, dans la gouvernance des ports, la place des collectivités territoriales reste très marginale en termes de pouvoir, alors que l’appel au financement de ces mêmes collectivités a augmenté de façon importante.

Toutefois, la réforme initiée en 2008 comporte un volet important, mais socialement dangereux, qui est celui de la simplification et de la rationalisation de la manutention portuaire. Ces dispositions, complétées par un accord-cadre du 30 octobre 2008, prévoient le transfert à des entreprises privées de la détention et de l’exploitation des outillages et matériels de manutention.

Ce dispositif a provoqué, on s’en souvient, un vaste mouvement de contestation nationale, notamment par toute une série de blocus sur les principaux ports concernés. Ce mouvement social était d’autant plus justifié que les nouvelles dispositions risquaient – et risquent toujours – de fragiliser une catégorie de personnels particulièrement vulnérables au profit d’entreprises privées qui n’hésiteront pas à utiliser l’arme facile de la main-d’œuvre étrangère à bon marché sur notre propre territoire.

Même si l’accord prévoit la reprise automatique des personnels de manutention, rien n’empêche de faire appel à des sous-traitants permanents ou périodiques non soumis au droit français. Les conséquences économiques et sociales sont trop importantes pour les personnels, mais aussi pour la qualité des prestations, pour être passées sous silence.

Était-il réellement nécessaire de briser une logique historique qui a toujours fait la preuve de son efficacité pour imposer une logique strictement concurrentielle et ouverte à tous les excès ? Je ne le crois pas.

Depuis deux ans, le dispositif d’ouverture à la concurrence des opérations de manutention a créé un profond sentiment d’injustice auprès de personnes le plus souvent peu ou mal rémunérées. Loin d’atténuer les risques de conflits sociaux, la réforme portuaire de 2008 porte en son sein les germes de la contestation, qui peut éclater à tout moment.

De plus, monsieur le secrétaire d'État, je tiens à souligner l’aspect incomplet de la loi du 4 juillet 2008, qui a délaissé les ports de plaisance.

Permettez-moi de rappeler en quelques chiffres ce que représente la plaisance.

On dénombre environ 370 ports de plaisance pour un parc plaisancier, en France métropolitaine uniquement, de près de 900 000 unités. Selon les services de l’État, chaque année, plus de 25 000 nouveaux navires sont immatriculés. En hausse constante et régulière, les activités liées à la plaisance permettent à la France d’être l’un des trois premiers constructeurs mondiaux de navires de loisir. En y ajoutant les prestations portuaires, ainsi que les services liés à l’usage de la mer, le secteur de la plaisance représente des milliers d’emplois et a un impact financier de plusieurs centaines de millions d’euros.

Or les ports de plaisance, fluviaux comme maritimes, qui font le charme de nos territoires tout en participant pleinement à la vie économique de nombreuses collectivités marines, sont confrontés à de lourdes difficultés liées au manque de place.

Ici encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour 900 000 navires, il n’existe que 163 000 anneaux portuaires disponibles. En d’autres termes, seules deux unités sur dix environ pourront bénéficier de places de mouillage. Cet état de fait, qui empire d’année en année, comporte un certain nombre d’inconvénients, tant pour les plaisanciers que pour les collectivités locales.

D’une part, le manque cruel de place au sein des ports de plaisance représente un réel manque à gagner pour les finances des collectivités locales. D’autre part, pour faire face à la pénurie d’anneaux, certaines collectivités ou établissements publics concessionnaires ont encouragé le système des cales sèches et des mouillages organisés hors zone portuaire. En France, ces derniers sont au nombre d’environ 60 000, ce qui est bien peu au regard des besoins.

Il en résulte ainsi des conséquences écologiques dramatiques en termes de pollution domestique. Conformément à une législation et à une réglementation très strictes, de nombreux efforts ont été entrepris ces dernières années par les gestionnaires de ports pour la collecte et le tri des déchets dus à la plaisance.

Monsieur le secrétaire d’État, la réforme portuaire de 2008 s’attachait à encourager et à pérenniser les valeurs environnementales. Pourtant, vous n’ignorez pas que, après le transfert aux grands ports maritimes de la gestion globale des espaces portuaires, l’inquiétude des associations de défense de l’environnement, au sujet des espaces naturels protégés et des écosystèmes situés dans le périmètre couvert par les grands ports, ne cesse de s’accentuer.

Certes, il existe au sein du code de l’environnement un certain nombre de dispositifs tendant à renforcer les devoirs des gestionnaires portuaires dans la lutte contre les pollutions marines. En revanche, rien n’a jamais été prévu pour empêcher à la source les nuisances liées aux « macrodéchets » dans le prolongement des ports, à savoir les zones de mouillage.

Lancé il y a près d’un an, le Grenelle de la mer doit être l’occasion de dresser un bilan complet des activités de plaisance et de mettre en place des mesures réglementaires fortes pour lutter contre les déchets qui en sont issus. Le Grenelle de la mer, à condition qu’il ne devienne pas une coquille vide, est l’occasion unique de combler les lacunes de la réforme portuaire de 2008. Nous y serons très attentifs.

Après le défi politique en 2008, le défi social en 2009 et en 2010, c’est maintenant le défi économique qui doit être relevé. Et sans un engagement fort et massif de l’État, les objectifs affichés par cette réforme portuaire ne seront certainement pas atteints.

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