Intervention de René Danesi

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2017 à 8h35
Politique de coopération — Partenariat oriental : communication de mm. rené danesi pierre médevielle et andré reichardt

Photo de René DanesiRené Danesi :

Le Partenariat oriental trouve son origine dans la politique européenne de voisinage (PEV), lancée en 2004, dont il constitue l'un des deux piliers - l'autre étant l'Union pour la Méditerranée. L'objet de la PEV était la création d'un cercle de pays situés aux marches de l'Union européenne, partageant ses valeurs et ses objectifs fondamentaux, et décidés à s'engager avec elle dans une relation plus étroite, impliquant un haut niveau d'intégration économique et politique. Romano Prodi résumait cette politique ainsi : « créer un cercle d'amis », qui « mettent en commun tout, sauf les institutions ».

L'objectif était surtout de combler les lignes de faille entre l'Union récemment élargie à l'Est et ses nouveaux voisins - la Biélorussie, la Moldavie, l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan - en aidant ces pays à trouver le chemin de la prospérité économique, de la stabilité politique et de la sécurité pour tous.

La première idée sous-jacente était bien celle d'un progrès démocratique et économique continu vers l'Est, qui effacerait pas à pas et sur le long terme des différences encore criantes entre l'Est et l'Ouest. En ce sens, le Partenariat oriental était et reste un acte de foi dans l'avènement d'une Europe totalement réunifiée et prospère.

La deuxième idée sous-jacente reposait sur l'espoir qu'une politique dédiée aux pays situés à l'Est de l'Union européenne récemment élargie permettrait de manifester l'intérêt de l'Europe communautaire pour cette région et, à terme, de renforcer sa normalisation après 70 ans d'antagonismes idéologiques et de constant appauvrissement.

Ces objectifs étaient généreux, ambitieux et pour tout dire trop audacieux.

En effet, ces pays sont dans une zone tampon, cour mitoyenne pour l'Union européenne, arrière-cour pour la Russie. Une zone où les frontières ont souvent changé, où les populations ont été déplacées de manière autoritaire et brutale, où les individus ont parfois changé de nationalité plusieurs fois - comme les Alsaciens... -, où cohabitent des minorités antagonistes ; une zone, enfin où les États veulent jouir d'une souveraineté récemment retrouvée.

En somme, le Partenariat oriental est une tentative de réponse à la longue et difficile histoire des relations Est/Ouest. Il a pour ancêtre l'Ostpolitik lancée par le chancelier Willy Brandt, qui a conduit à la normalisation des relations entre la RFA et l'URSS, puis progressivement avec l'ensemble de ses satellites. L'Ostpolitik a atteint son point culminant avec la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et la signature des Accords d'Helsinki le 1er avril 1975. On peut donc qualifier le Partenariat oriental « d'Ostpolitik de l'Union européenne », peut-être plus affirmée dans sa forme que ne l'était son modèle, mais dépourvue d'une vision aussi claire.

Le fait que le même commissaire européen, actuellement Johannes Hahn, soit compétent pour la politique d'élargissement et la politique de voisinage rend cette dernière ambiguë, car elle laisse espérer aux six pays concernés une possible adhésion à l'Union européenne ; d'autant qu'il leur est demandé d'adopter 80 % de l'acquis communautaire. Certains y ont vu une première étape avant une demande d'adhésion. Il n'en est rien, mais la confusion s'est introduite et deux écoles cohabitent officieusement au sein de l'Union : celle pour laquelle ces six pays ont une vocation à adhérer, et celle qui ne veut pas l'évoquer, sans pourtant préjuger de l'avenir. Le récent sommet de Bruxelles dont André Reichardt vous présentera les conclusions donne plutôt raison à la seconde école.

Les véritables fondateurs du Partenariat oriental sont la Suède et la Pologne. Depuis 1989, la politique extérieure polonaise repose sur trois idées essentielles : l'acceptation des frontières issues de la Deuxième guerre mondiale, le retour à une complète souveraineté de ses voisins - les pays baltes, la Biélorussie et l'Ukraine - et la nécessité d'établir de bonnes relations entre les pays d'Europe centrale et orientale.

La Suède et la Pologne ont conjointement présenté en 2008 un projet de Partenariat oriental officiellement lancé lors du sommet du 7 mai 2009 à Prague, soit cinq ans après le lancement de la politique européenne de voisinage par Romano Prodi.

Cette initiative vise à promouvoir le renforcement des relations de l'Union européenne avec ses six voisins de l'Est. Elle reprend donc les principes essentiels de la Politique de voisinage déjà exposée, tout en en réaffirmant les axes directeurs : la promotion de l'État de droit et de la bonne gouvernance, l'intégration économique, la libéralisation des échanges et le développement de la mobilité. En un mot, l'Union européenne propose à ses voisins de la suivre dans la libre-entreprise, la démocratie et les droits de l'Homme.

La plus-value essentielle de cette politique est d'offrir aux six pays voisins la perspective attrayante de bénéficier un jour d'un régime sans visa avec l'Union européenne, d'un accord d'association politique et d'un accord de libre-échange approfondi. L'ensemble du processus est conduit selon une logique de différenciation, c'est-à-dire d'adaptation à chacun des partenaires.

Quel bilan peut-on tirer du Partenariat oriental, neuf ans après son lancement et après les cinq sommets de Prague en 2009, Varsovie en 2011, Vilnius en 2013, Riga en 2015 et Bruxelles en 2017 ?

Ce Partenariat a souffert de deux obstacles majeurs depuis sa création : un obstacle interne constitué par les dissensions au sein des 28 membres sur la finalité du Partenariat vu par certains comme une étape préalable à l'adhésion, et un obstacle externe incarné par la Russie.

Celle-ci, pourtant sollicitée pour y participer, a d'emblée pris ombrage du Partenariat oriental, dès lors qu'il était initié par la Pologne et la Suède. Elle continue à soupçonner l'Union européenne de mettre en place une politique et des accords en vue de diminuer son influence sur ses anciens satellites. Aussi n'est-elle pas restée inactive, lançant le projet de l'Union économique eurasienne qui pourrait les regrouper à terme. Mais surtout, elle entretient les conflits dits gelés : Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. La situation en Ukraine, depuis le soulèvement de Donbass et le rattachement de la Crimée à la Russie, commence elle aussi à s'apparenter à un conflit gelé. Cette tension régionale constante nuit naturellement au progrès démocratique et économique de la zone.

Le bilan du Partenariat oriental est par conséquent en demi-teinte. En effet, sur les six accords prévus, seuls quatre ont été signés, avec l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie.

Débarrassé de ses déclarations grandiloquentes initiales, le Partenariat, devenu plus modeste dans ses ambitions, sera un succès s'il fait progresser chaque pays concerné selon son rythme et dans le respect de ses particularités. En outre, je crois que le Partenariat ne peut pleinement réussir que s'il démontre clairement qu'il ne vise ni à contenir ni à concurrencer la Russie, mais à établir des relations apaisées et une collaboration plus confiante avec notre grand voisin. Ainsi l'Arménie, membre de l'Union économique eurasiatique, vient de signer un accord sur mesure avec l'Union européenne. Lors d'une très récente rencontre avec le groupe d'amitié France-Russie, le nouvel ambassadeur russe, Alexeï Mechkov, a estimé que cet accord allait dans le bon sens.

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