Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 18 décembre 2017 à 15h00
Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de notre collègue Pierre-Yves Collombat, qu’il y a lieu de saluer, l’article 56 de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 a attribué au bloc communal une nouvelle compétence, relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, poétiquement appelée compétence GEMAPI. Cette initiative est venue répondre au besoin de gestion intégrée d’une compétence, à la suite de la multiplication des phénomènes d’inondations, notamment dans le Var, à Vaison-la-Romaine, dans l’Aude ou en Bretagne, et de phénomènes extraordinaires, comme la tempête Xynthia, qui ont causé non seulement des pertes humaines, mais également des désastres économiques considérables. Rien que pour les catastrophes survenues dans le Var en 2010 et 2011, on a déploré vingt-sept morts, près de 2 milliards d’euros de dégâts matériels et 35 000 sinistrés, ainsi que 2 000 entreprises et de nombreuses exploitations agricoles touchées.

Lors des débats de la loi MAPTAM, il avait été indiqué que ces catastrophes naturelles provoquaient en moyenne plus de 1 milliard d’euros de dégâts en France. Or nous savons bien que de tels phénomènes sont malheureusement appelés à se reproduire, avec le réchauffement climatique et la poussée de l’urbanisation, en particulier sur les territoires littoraux où la densité de construction était, en 2010, quatre fois supérieure à la moyenne nationale. Le Centre européen de prévention du risque d’inondation estime à 4 milliards d’euros le coût annuel moyen des dommages qui résulteront des inondations côtières en France à la fin du siècle en cours et à 12 milliards d’euros celui qui résultera des inondations fluviales.

Au regard de ces enjeux majeurs, il paraissait indispensable de définir une compétence ciblée en matière de protection contre les inondations ; une compétence qui permette, d’une part, de clarifier et de coordonner des niveaux de responsabilités jusque-là éclatées – sur 9 000 kilomètres de digues, on dénombre plus de 1 000 gestionnaires différents – et, d’autre part, d’associer deux compétences en une pour une vision plus stratégique des politiques publiques de protection des personnes et des biens, de préservation de la qualité de l’environnement et de maîtrise de l’urbanisation. De fait, avec la loi MAPTAM, l’EPCI à fiscalité propre devient l’acteur incontournable dans la démarche de prévention des risques d’inondation et de submersion, en cohérence avec les actions d’aménagement qu’il mène par ailleurs, comme le PLUI et le SCOT.

Pour autant, comme il a déjà été souligné, cette compétence demeure techniquement complexe, et de nombreuses interrogations et inquiétudes émanent des élus locaux. Elles révèlent la difficulté à organiser une structuration institutionnelle adéquate dans les délais réglementaires. En effet, en septembre 2017, dans le cadre d’un sondage réalisé par l’Assemblée des communautés de France, plus de 50 % des présidents de communauté et métropole ont déclaré souhaiter que cette compétence soit clarifiée et ses échéances de mise en place revues.

À la veille de l’inscription de la compétence GEMAPI dans les statuts des intercommunalités, la proposition de loi soumise à notre examen offre donc des clarifications et des assouplissements nécessaires, mais pas anodins, sans que les problèmes centraux soient pour autant complètement résolus. En effet, dans des délais proches de l’urgence, la proposition de loi présente des dispositions qui rassurent les élus locaux et répondent à des problèmes opérationnels.

Les principales mesures ont déjà été exposées par les orateurs précédents, en particulier par le rapporteur : la possibilité pour les départements et les régions de pérenniser leur engagement, qui était, je crois, une demande essentielle des élus locaux ; l’extension de l’assistance technique des départements à la prévention du risque d’inondation au titre de la solidarité et de l’aménagement du territoire, ce qui démontre, de manière plus générale, l’importance de la collectivité départementale en la matière ; l’assouplissement des modalités de transfert ou de délégation de la part des communes ou des EPCI aux syndicats mixtes de droit commun, aux EPTB et aux EPAGE, notamment en termes de sécabilité interne, externe et géographique. Cet assouplissement donnera plus de libertés aux territoires pour définir l’organisation institutionnelle qu’ils jugeront la plus adéquate. Il convient néanmoins de prévenir un émiettement de la compétence, qui nuirait à la cohérence des actions conduites et à l’identification d’un opérateur responsable.

Enfin, d’autres mesures, comme la possibilité pour un syndicat mixte ouvert d’adhérer à un autre syndicat mixte ouvert, représentent, selon nous, des avancées. C’est le cas aussi de la clarification du régime des responsabilités, qui demeure néanmoins imparfaite. L’extension, dans le texte de la commission, de l’affectation de la taxe GEMAPI aux actions de ruissellement est une autre avancée, qui nous paraît également nécessaire.

Sur ce dernier point, l’introduction de cette nouvelle disposition met en exergue l’incomplétude de la loi, notamment sur le financement de la compétence et l’articulation de celle-ci avec l’ensemble des compétences relevant du cycle de l’eau.

Restent des insuffisances auxquelles il faudra répondre ultérieurement. En effet, au-delà de l’intérêt de cette proposition de loi, et quand bien même elle s’attelle au plus urgent, plusieurs problèmes demeurent, dont certains sont assez fondamentaux.

Je pense au traitement des grands corridors fluviaux et des problématiques spécifiques des territoires littoraux, qui ne relèvent pas d’une logique de bassin-versant, comme le risque de submersion marine et la lutte contre l’érosion du trait de côte. Je pense aussi à l’articulation avec les compétences « eau et assainissement ». Nous savons en effet que les eaux de ruissellement et l’érosion des sols ont un impact sur les risques d’inondation.

De même, la responsabilité des gestionnaires d’ouvrages est encore traitée de manière imparfaite, qui plus est dans un contexte où les missions d’appui technique n’ont manifestement pas mené à terme tous leurs travaux.

Quant au financement de la GEMAPI, il ne fait l’objet que d’un rapport du Gouvernement au Parlement, ce qui n’engage pas à grand-chose… Par ailleurs, le financement en investissement peut parfois être entravé par la limitation des dépenses de fonctionnement des membres des syndicats mixtes, alors qu’il y va de la sécurité des territoires.

À ce sujet, nous restons convaincus que le financement proposé n’est pas à la hauteur des enjeux de vulnérabilité des populations évoqués dans mon propos introductif, quand bien même les dispositifs de financement tels que le fonds Barnier perdurent. Une remise à plat du financement du cycle de l’eau s’avère nécessaire pour évoluer vers des logiques de bassin et des solidarités territoriales amont-aval, d’autant plus compte tenu des fortes contraintes financières qui pèsent sur les collectivités territoriales et leurs partenaires, comme les agences de l’eau.

À titre indicatif, le Centre européen de prévention du risque d’inondation observe que les travaux réalisés aujourd’hui par les collectivités engagées dans des programmes de travaux, comme les programmes d’action pour la prévention des inondations ou ceux réalisés dans le cadre du plan Submersions rapides, coûtent un peu plus de 1 million d’euros par kilomètre pour ce qui concerne le confortement d’ouvrage, voire 1, 7 million d’euros par kilomètre pour l’augmentation du niveau de protection des digues. On recense aujourd’hui 9 000 kilomètres de digues en France métropolitaine.

Pour ce qui concerne l’EPCI que je présidais encore il y a quelques semaines – une intercommunalité qui comprend quarante kilomètres de littoral et trois bassins versants –, le montant approximatif des investissements dédiés à la compétence GEMAPI oscillerait entre 45 millions et 70 millions d’euros, en sachant que la capacité totale d’investissement de cet EPCI s’élève à 25 millions d’euros en moyenne par an. C’est dire l’importance de la compétence GEMAPI.

Malgré ces insuffisances, nous ne souhaitons pas remettre en question l’adoption de cette proposition de loi, car elle permet de répondre pour partie aux interrogations et aux inquiétudes légitimes des élus locaux, sur les épaules desquels repose cette importante responsabilité. Parce que nous souhaitons que la mise en œuvre de cette compétence se fasse dans des conditions plus sereines et plus durables pour les territoires, nous voterons en faveur de ce texte tout en regrettant, comme d’autres, le délai de réflexion laissé au législateur qui, pour le coup, ne favorise pas – c’est un euphémisme ! – la tranquillité des échanges et ne permet pas d’aborder l’ensemble des problèmes soulevés localement, alors que le risque d’inondation constitue un risque majeur.

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