Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 18 décembre 2017 à 15h00
Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler improprement la loi GEMAPI pour « gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations » s’est voulu la réponse à un constat : celui de la nécessité pour notre pays, qui manque d’une politique globale de prévention de l’inondation sur l’ensemble du territoire, à l’exception des plans Grands Fleuves, de se contenter d’un assemblage mal coordonné de dispositifs sectoriels, financés trop souvent de manière aléatoire et parfois en concurrence.

Relativement développé au-dessus de la Loire, le dispositif se limitait au sud, pourtant exposé aux redoutables aléas climatiques « cévenols », à quelques initiatives locales. Le législateur a bien sûr intégré cet aspect des choses dans sa loi MAPTAM, contrairement à ce que j’ai pu entendre.

Deux raisons essentielles expliquaient la situation : l’absence d’une gouvernance clairement identifiée de la compétence « prévention de l’inondation » et l’absence de financement pérenne d’une politique de prévention. C’est à ces deux lacunes que la loi a voulu répondre.

Pour ce faire, elle a tout d’abord prévu un financement pérenne de la politique de prévention par une taxe affectée, même si tout le monde n’est visiblement pas encore au courant, de même que certains ne semblent pas au courant que l’assiette de cette taxe est beaucoup plus large que celle de la taxe d’habitation. Ma foi…

La loi a ensuite attribué la compétence GEMAPI aux EPCI à fiscalité propre, premier échelon territorial de proximité de taille suffisante pour agir et désormais présents sur l’ensemble du territoire national. Mais tenant compte du fait que l’échelon pertinent de l’action était le bassin-versant, qui incluait souvent plusieurs EPCI – la loi n’a donc pas non plus oublié cette réalité –, la loi a prévu la possibilité de déléguer à un établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau, un EPAGE, la mise en œuvre de la compétence. Dans les grands bassins hydrographiques, il a été décidé que des EPTB assureraient la coordination entre les EPAGE. En outre, en tant que syndicats mixtes, départements et régions pouvaient en être membres.

Il est donc faux de prétendre, comme le fait l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, que la loi a « confié à titre exclusif » aux EPCI à fiscalité propre la prévention de l’inondation, laissant entendre par là que tous les anciens acteurs en étaient exclus. Les articles prévoyant que départements et régions et, d’une façon générale, tous les acteurs actuels de la prévention des inondations peuvent « continuer » à exercer cette mission me semblent donc sans objet. Sauf si on entend par là que ces collectivités continueront à agir seules dans leur coin et non dans le nouveau cadre des EPAGE !

Vu la complexité du problème, vu la diversité des domaines et des paramètres à prendre en compte, une gouvernance unique et clairement définie est pourtant la première condition de l’efficacité. Remettre cela en cause, comme le fait la proposition de loi sous prétexte qu’existent déjà des syndicats, des EPTB, des départements ou des régions en charge d’une partie seulement de la compétence, constituerait une évidente régression. Cela n’a rien à voir avec le respect des libertés locales ou la confiance faite aux collectivités de s’organiser.

Voilà l’origine du lobbying mené pour que rien ne change dès la discussion de la loi. Si vous voulez des détails, mes chers collègues, je vous en donnerai ! La présente proposition de loi est le dernier épisode de cette offensive. Rien d’étonnant que ce soit « une demande forte exprimée par plusieurs collectivités territoriales », pour reprendre l’exposé des motifs et comme cela a été amplement rappelé ici même. Jusqu’ici, le résultat s’est limité à un report de la mise en œuvre de la loi de 2016 à 2018. L’échéance échue, sous prétexte d’une insuffisante préparation, on nous propose rien moins que de supprimer l’un de ses apports essentiels : une gouvernance clairement identifiée en charge de la prévention et de protection contre les inondations, dans sa globalité.

Est-ce à dire, pour autant, que le texte issu de la loi MAPTAM serait intouchable ? Certainement pas ! C’est ce que montre l’article 9, introduit par notre commission, qui vise à inclure le ruissellement dans le champ de la GEMAPI. Il s’agit d’une question essentielle pour les zones urbaines – ne dit-on pas que « la ville inonde la ville » ? – et pour le sud du pays. S’y opposer pour d’obscures raisons politico-juridiques, c’est clairement condamner à l’échec toute politique de prévention des inondations dans de nombreuses villes et la moitié du pays.

Si j’ai déposé un amendement au texte de la commission, c’est seulement parce que, dans sa rédaction actuelle, il me paraît rompre l’unité de la gouvernance en matière de prévention de l’inondation. Je l’ai déjà amplement indiqué.

Pour conclure, je me contenterai de rappeler que, contrairement à ce que pourraient laisser supposer le jour et l’heure d’examen d’un texte aussi lourd de conséquences, la procédure expéditive utilisée, les effectifs clairsemés que je vois dans l’hémicycle, la présentation qu’a faite Mme la ministre de cette proposition de loi devenue un simple texte de répartition des compétences, nous ne traitons pas d’une question anodine, mais de vies humaines et de dégâts considérables. En 2010, nous avons comptabilisé soixante-dix-huit morts et deux disparus entre les victimes de la tempête Xynthia et des inondations varoises ; en 2011, six morts ; en 2012, deux morts ; en 2014, dix morts ; en 2015, vingt morts en région parisienne ; en 2016, cinq morts !

Outre le coût humain, la facture est énorme. En moyenne, ces dernières années, elle s’élève à près de 1 milliard d’euros par an, la moitié seulement étant indemnisée au titre des catastrophes naturelles. En attendant mieux, un rapport de l’OCDE estime que la prochaine grande inondation de l’Île-de-France coûtera 40 milliards d’euros. Ces dix dernières années, 50 % des communes françaises ont été affectées par les inondations : il s’agit bien d’un problème général !

À part ça, l’urgent est de neutraliser les quelques outils innovants fournis par la loi GEMAPI. La République est peut-être en marche, mais, en l’espèce, c’est à reculons ! Et puisque j’aperçois notre collègue Didier Guillaume sur ces travées, je vous rappellerai ce qu’il nous a dit lors de l’examen de la loi : « Chacun prendra ses responsabilités » !

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