Le 20 décembre, notre commission des affaires sociales examinera le projet de loi ratifiant les ordonnances relatives au renforcement du dialogue social, qui sera discuté en séance publique le 23 janvier.
La loi d'habilitation a été promulguée le 15 septembre 2017. Le 22 septembre 2017, le Gouvernement a publié cinq ordonnances, dont certaines dispositions sont entrées en vigueur le lendemain, quand l'application des autres nécessite un décret d'application ou est différée jusqu'en 2020.
Nous avons récemment appris qu'un projet de sixième ordonnance corrigeant les coquilles des cinq premières a été transmis aux organisations syndicales. Ce texte de vingt pages devrait être présenté en Conseil des ministres le 20 décembre. L'instabilité législative est donc toujours de mise, malgré les annonces du Gouvernement : notre assemblée n'a même pas encore examiné les cinq premières ordonnances ! Nous devons poursuivre notre réflexion sur la façon de mieux légiférer car la précipitation crée un contexte anxiogène pour les entreprises, qui doivent en permanence s'adapter à un cadre légal instable. Il faut rompre avec ces méthodes !
Le projet de loi de ratification comportait initialement un article unique prévoyant la ratification des cinq ordonnances. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a divisé cet article unique, afin que chaque ordonnance puisse faire l'objet d'une discussion spécifique. Saluons cette démarche qui favorise un vrai débat, dans le cadre déjà contraint de la législation par ordonnances.
Sans me substituer au rapporteur au fond de notre commission des affaires sociales, M. Alain Milon, je souhaite évoquer quelques sujets déjà abordés par notre délégation, notamment lorsque j'avais présenté les grandes lignes du projet de loi d'habilitation.
L'ordonnance n° 2017-1386 instaure une nouvelle organisation du dialogue social dans l'entreprise en créant, dans les entreprises d'au moins 11 salariés, un comité social et économique, issu de la fusion de trois instances de représentation du personnel : délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les attributions de cette instance varient selon qu'il y a plus ou moins que 50 salariés.
L'ordonnance n° 2017-1385 renforce la négociation collective en appliquant par défaut un principe de subsidiarité, selon lequel le niveau le plus adapté de fixation de la norme en matière de droit du travail est celui de l'entreprise. La prééminence des accords d'entreprise sur les accords de branche est affirmée dans les domaines ne figurant pas dans la liste réservée expressément aux accords de branche.
Notre délégation avait fait adopter un amendement par le Sénat afin que les accords de branche prévoient des dispositions spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés. Nous nous réjouissons que cette mesure soit bien reprise à l'article 2 de l'ordonnance : le nouvel article L.2261-23-1 conditionne l'extension d'un accord de branche à l'existence de telles dispositions ! Celles-ci peuvent prendre la forme d'accords-types indiquant les différents choix laissés à l'employeur.
Nous avions par ailleurs souhaité que les accords collectifs puissent déterminer la périodicité et le contenu des consultations obligatoires. Or le nouvel article L.2222-3 du code du travail oblige les partenaires sociaux à conclure un accord de méthode qui doit préciser le calendrier des négociations, ainsi que les modalités de prise en compte des demandes des organisations syndicales de salariés représentatives. Par ailleurs, il existe toujours les obligations d'ordre public, qui imposent des négociations au moins une fois tous les quatre ou cinq ans selon les thèmes - par exemple les salaires, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou la révision des classifications.
Enfin, notre proposition de modulation dans le temps des effets de ses décisions par le juge est consacrée. Certes, elle est circonscrite aux annulations d'accords ou de conventions collectives, alors que notre amendement, adopté par le Sénat lors de l'examen du projet de loi Travail, concernait l'ensemble du droit social. Mais nous pouvons nous réjouir de ce que cette bonne idée ait finalement convaincu les rédacteurs des ordonnances et trouve sa place dans un nouvel article L. 2262-15. Cet article permet la modulation lorsque les effets sont de nature à « emporter des conséquences manifestement excessives ». L'appréciation des conséquences économiques n'est donc pas expressément visée.
La généralisation des accords majoritaires est avancée au 1er mai 2018, alors que la loi Travail l'avait précédemment fixée au 1er janvier 2019.
Nous avions souhaité, à l'issue des travaux de notre collègue Annick Billon, faciliter le referendum d'entreprise. L'article 10 de l'ordonnance, conformément à la loi d'habilitation, autorise l'employeur à organiser une consultation des salariés en vue d'entériner un accord minoritaire, sauf opposition des organisations représentant au moins 30 % des suffrages. Par ailleurs l'article 8 assouplit les règles de conclusion des accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Pour les entreprises de moins de 11 salariés, ou de moins de 20 salariés dépourvues également de membre élu de la délégation du personnel du CSE, tout projet d'accord de l'employeur est validé s'il est ratifié par au moins deux tiers des salariés. L'obligation de mandatement, que nous critiquions, est supprimée pour les plus petites entreprises. Pour les entreprises employant entre 11 et 50 salariés et pourvues d'un CSE mais sans délégué syndical, l'employeur peut négocier soit avec un salarié mandaté, avec ensuite approbation de la majorité des salariés, soit avec des membres de la délégation du personnel du CSE, mandatés ou non. Enfin, pour les entreprises de plus de 50 salariés, la négociation peut se faire avec des membres de la délégation du personnel du CSE mandatés ou non ou avec un salarié non élu mais mandaté.
Enfin cette ordonnance crée un observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation, qui ne découle pas d'une habilitation précise de la loi du 15 septembre 2007.
L'ordonnance n° 2017-1387 renforce la prévisibilité du droit du travail. Je regrette que la Gouvernement ait campé sur ses positions initiales sans reprendre notre proposition, adoptée au Sénat, d'instaurer un véritable rescrit social. L'article 1er de l'ordonnance se borne à créer un « code du travail numérique » qui « permet, en réponse à une demande d'un employeur ou d'un salarié sur sa situation juridique, l'accès aux dispositions législatives et réglementaires ainsi qu'aux stipulations conventionnelles qui lui sont applicables ». Je crains que cela n'aide guère les intéressés à sécuriser leur situation. Mais nous pourrons rouvrir le débat à la faveur de l'examen du projet de loi « pour un État au service d'une société de confiance », précédemment désigné sous l'appellation « droit à l'erreur ».
Je note avec satisfaction que, pour sécuriser les relations de travail, et offrir aux salariés et aux entreprises - notamment aux TPE-PME - davantage de prévisibilité, la mise en place d'un barème de dommages et intérêts versés par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est bien confirmée, comme nous le souhaitions ardemment. Il s'agit bien d'un barème impératif encadré par un plancher - qui varie en fonction de l'ancienneté dans les entreprises de moins de 11 salariés - et un plafond - allant de 1 à 20 mois de salaire brut.
Il est également intéressant de relever que l'ordonnance offre un cadre juridique stabilisé aux plans de départs volontaires, sous la forme d'un accord collectif portant rupture conventionnelle collective.
Plusieurs dispositions simplifient la procédure extrêmement complexe du licenciement pour motif économique. Ainsi, le périmètre d'appréciation des difficultés économiques, tout comme celui des obligations de reclassement, ont-ils été limités au territoire national. Enfin, le mécanisme dérogatoire favorisant la reprise d'entreprise sans reprendre l'ensemble des contrats de travail - en élargissant la possibilité de procéder à des licenciements en amont d'un projet de reprise - , jusqu'alors limité aux entreprises de plus de 1 000 salariés, a été généralisé dans le cadre de cette ordonnance.
Le recours au télétravail est favorisé par l'article 21. Les articles 22 et suivants, sans simplifier le paysage des types de CCD obéissant à des règles différentes - CDD pour accroissement temporaire d'activité, contrat de professionnalisation... - permettent à une convention ou un accord de branche de fixer la durée totale et le nombre maximal de renouvellements d'un CDD. Le recours au CDI de chantier, qui s'était développé dans le secteur du BTP depuis la loi de 1986 relative aux procédures de licenciement, peut être étendu par accord de branche et celui-ci peut devenir un CDI d'opération. Enfin, le Gouvernement a suivi notre préconisation en abrogeant les contrats de génération. C'était la dernière disposition de la proposition de loi relative à l'apprentissage, issue des travaux de notre collègue Michel Forissier. L'article 9 de l'ordonnance n°1387 nous donne donc raison, tout en prévoyant que les aides déjà engagées continueront d'être versées.
L'ordonnance n° 2017-1388 se compose principalement de mesures techniques, n'appelant pas de remarque particulière.
Enfin, l'ordonnance n° 2017-1389 rend opérationnelle la prise en compte des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, alors que le dispositif de compte de prévention de la pénibilité s'était heurté à d'importantes difficultés de mise en oeuvre que nous n'avons cessé de dénoncer.
La principale mesure réside dans la réforme du compte professionnel de prévention de la pénibilité (C3P), qui poursuit un double objectif : la simplification des démarches des employeurs, la préservation des droits des salariés en matière de prévention et de compensation de leur exposition aux facteurs de risques professionnels. Devenu compte professionnel de prévention (C2P), le dispositif permet toujours aux salariés d'acquérir des droits en matière de formation professionnelle, d'aménagement du temps de travail ou de départ anticipé à la retraite, en cas d'exposition à un ou à plusieurs des six facteurs de risques entrant dans le champ du compte - contre dix auparavant. Les quatre autres facteurs - charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques -, difficilement mesurables, ne feront plus l'objet d'une obligation de déclaration par l'employeur mais d'un traitement spécifique au sein du dispositif de départ en retraite anticipée pour incapacité. Ces quatre critères étaient les plus décriés par les dirigeants d'entreprises, qui les jugeaient inapplicables en l'état, car il est difficile de les mesurer. Enfin le transfert de la gestion et de la charge financière de la pénibilité, qui se traduisait par des cotisations patronales, à la branche accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale est extrêmement rassurant pour nos entreprises. Avec le nouvel article L.4163-14 du code du travail, les employeurs n'auront plus à supporter cette charge.
Nous suivrons les travaux de la commission des affaires sociales sur ces textes. Nous pourrons envisager de déposer des amendements avant le débat en séance prévu en janvier.