Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 nous a conduits à étudier de façon approfondie la question des niches sociales. Mais, pour notre commission, ce sujet n'était pas nouveau : nous l'avons en effet maintes fois évoqué, la question des exonérations, des allégements et autres réductions de charges sociales étant devenue, au cours des années, un aspect essentiel des finances sociales.
Cela apparaît très nettement à travers l'examen des données chiffrées concernant les trois principales catégories de dispositifs.
Premièrement, les allégements généraux de charges sociales - les allégements Fillon et les allégements au titre des heures supplémentaires - représentent une masse désormais proche de 30 milliards d'euros, masse qui, fort heureusement pour la sécurité sociale, est compensée par l'État grâce au fameux « panier » de recettes fiscales.
Toutefois, mes chers collègues, malgré nos efforts pour l'inscrire dans la loi, nous n'avons pas encore réussi à obtenir la garantie de la compensation à l'euro près, année après année, de ces exonérations. Peut-être y parviendrons-nous un jour ! Il ne faut pas désespérer ! Nous ne perdons pas l'espoir de vous convaincre, vous et vos services, monsieur le ministre. C'est en effet une nécessité compte tenu des montants en jeu.
Comme nous l'avons souvent dit, la sécurité sociale ne doit pas servir à financer la politique de l'emploi.
Deuxièmement, les allégements de charges ciblés sur certains publics, certaines professions ou certaines zones du territoire représentent plus de 3 milliards d'euros de recettes en moins pour la sécurité sociale. Hélas ! ces sommes ne sont que très imparfaitement compensées par des dotations budgétaires, qui pèchent à la fois par leur insuffisance et par leur versement tardif. Mais je ne désespère pas, monsieur le ministre, que vous donniez des instructions aux responsables des programmes concernés pour que ces dotations soient prioritaires dans l'exécution budgétaire, afin que nous n'ayons plus à revenir sur cette question.
Néanmoins, nous restons inquiets. En effet, selon les informations que j'ai recueillies lors du dernier conseil de surveillance - que je préside - de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, institution que connaissent bien vos collaborateurs, monsieur le ministre, il manquerait 1, 5 milliard d'euros au titre de ces allégements pour l'exercice 2007. En l'absence de régularisation rapide de cette somme, c'est une nouvelle dette de l'État envers la sécurité sociale qui va se constituer.
Il serait heureux, monsieur le ministre, que vous puissiez dissiper nos inquiétudes et nous donner quelques précisions à ce sujet. Quelles sont les intentions du ministère des comptes publics en la matière ? Une régularisation aura-t-elle lieu rapidement, au moins au cours de l'exercice 2008 ?
Troisièmement, je parlerai des nombreuses exemptions d'assiette. Un très récent rapport du Gouvernement - que nous attendions depuis plus de quatre ans ! - a évalué à au moins 40 milliards d'euros le montant de cette assiette exonérée, soit 10 % de la masse salariale, qui s'élève à environ 400 milliards d'euros.
Les principaux dispositifs concernés sont la participation, l'intéressement, les diverses aides directes consenties aux salariés, comme les titres-restaurant ou les chèques-vacances, la prévoyance complémentaire, les retraites supplémentaires et les indemnités de licenciement.
Lors de l'examen de l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, monsieur le ministre, vous aviez souhaité maintenir ces exonérations sans aucune compensation. Dès lors, il sera nécessaire de modifier le code de la sécurité sociale, car il faudra bien s'entendre sur le sens du mot « rémunération » lorsqu'on parle d'intéressement et de participation.
Dans son dernier rapport sur la sécurité sociale, la Cour des comptes a consacré un long développement à cette question de l'assiette des prélèvements sociaux. Elle y a vu une possible source de financement supplémentaire pour la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pense pas qu'il soit utile de vous rappeler les observations de la Cour ni les propos du président Seguin sur cette question des niches sociales, en particulier sur les exonérations dont bénéficiaient les stock-options.
De son côté, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, que j'ai l'honneur de présider, a également consacré du temps à cette question. Dans le rapport que je vous ai présenté en octobre dernier, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires, j'ai évoqué plusieurs pistes.
Outre la remise en cause de la pertinence de certaines niches au regard de leur efficacité économique et sociale et du manque à gagner qu'elles entraînent pour la sécurité sociale, nous suggérions que l'on crée une taxe d'un faible niveau sur l'ensemble de ces assiettes exonérées, taxe que nous avions appelée flat tax. Comme vous vous en souvenez certainement, monsieur le ministre, cette proposition avait fait l'objet d'un amendement au projet de loi de financement pour 2008, amendement que nous avions retiré à votre demande. Le Gouvernement, sans en rejeter l'idée, considérait en effet que l'institution d'une telle taxe était prématurée et qu'il convenait de mesurer la pertinence de certaines de ces exonérations avant d'aller plus avant sur ce sujet. C'est, du moins, ce que j'ai cru comprendre.
En effet, l'existence de ces dispositifs d'exonération soulève deux questions.
La première est une question de fond tenant à leur utilité et à leur justification. Nous avions bien pressenti ce débat en déposant, voilà un an, un amendement tendant à la taxation des stock-options, préfigurant ainsi les dispositions adoptées cette année en loi de financement sur l'initiative de notre collègue député Yves Bur, qui n'a fait que reprendre notre proposition.
La seconde question tient à la procédure relative à leurs modalités d'adoption et à leur évaluation par le législateur.
Sur ce dernier aspect, la MECSS a clairement mis en évidence l'insuffisance du contrôle exercé, tant par les ministères sociaux que par les commissions des affaires sociales des deux assemblées, sur les mesures d'exonération de cotisations et de contributions sociales ainsi que sur les modifications qui leur sont apportées.
En effet, mes chers collègues, dans la mesure où ces exonérations ne figurent pas nécessairement en loi de financement et où elles peuvent être insérées dans n'importe quel texte législatif, il est fréquent qu'elles soient adoptées par le Parlement sans avoir été préalablement expertisées. Ainsi, ni vos services, monsieur le ministre, en particulier la direction de la sécurité sociale, ni les commissions des affaires sociales ne sont sollicitées sur ces dispositifs, qui ne sont pas davantage soumis à l'avis du gestionnaire - l'ACOSS et les URSSAF - ou des caisses initialement bénéficiaires de la ressource dont elles seront ensuite privées.
D'après une étude menée par la direction de la sécurité sociale, sur la cinquantaine de mesures d'exonération ou de réduction d'assiette de cotisations sociales votées entre le début de 2005 et le début de 2007, 40 % d'entre elles ne résultaient pas d'un arbitrage interministériel impliquant le ministère des affaires sociales.
Or ces mesures pèsent de plus en plus lourdement sur les comptes sociaux.
C'est pourquoi, afin de corriger cette anomalie, la MECSS a suggéré de donner aux lois de financement un rôle central en matière de contrôle des niches sociales, en en faisant un « passage obligé » de l'ensemble des mesures d'exonération ou d'allégement de charges.
À cet égard, je rappelle que, dans le cadre du projet de loi pour le pouvoir d'achat, examiné il y a quelques jours par l'Assemblée nationale, des mesures d'exonération de cotisations sociales ont été votées sans qu'en soit prévue la compensation.
Cette suggestion fait d'ailleurs écho à une proposition présentée, voici bientôt trois ans, par notre commission à l'occasion de l'examen de la nouvelle loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Une solution identique a également été défendue dans le rapport du printemps dernier de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur l'articulation entre les finances de l'État et les finances de la sécurité sociale.
La présente proposition de loi organique constitue simplement la traduction de cet objectif commun.
Elle vise à ce que la création ou la modification d'exonérations ainsi que les changements apportés aux règles d'assiette puissent continuer d'être décidés dans le cadre des lois ordinaires, mais en n'accordant à ces mesures qu'un caractère provisoire.
En effet, toute prorogation au-delà de l'exercice en cours nécessiterait une approbation en loi de financement. Cela permettrait d'accompagner les dispositifs adoptés d'une première étude d'impact et donnerait aussi au Parlement la possibilité de s'assurer d'un niveau adéquat de compensation.
Il ne s'agit en aucun cas de conférer un monopole à la loi de financement en matière d'exonérations de charges sociales. Celui-ci ne serait en effet pas conforme à la Constitution, car il aurait pour conséquence de remettre en cause le droit d'amendement et d'initiative parlementaire. Il s'agit de donner une sorte d'exclusivité à la loi de financement pour décider de la prorogation d'un dispositif de réduction ou d'allégement de charges.
Cette procédure devrait ainsi interdire - ce qui est, pour nous, essentiel - le contournement, trop souvent constaté, du principe de valeur organique selon lequel il ne peut être dérogé à la règle générale de compensation qu'en loi de financement de la sécurité sociale.
Je précise enfin, et pour m'en féliciter, que ce dispositif a reçu, par avance, l'approbation du Gouvernement. En effet, monsieur le ministre, tant votre collègue Christine Lagarde, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires du 8 novembre dernier, que vous-même, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, en avez approuvé la démarche et souligné tout l'intérêt qui pourrait s'attacher à son adoption. Vous trouverez la retranscription de vos propos d'alors dans mon rapport écrit.
Aussi, mes chers collègues, pour l'ensemble de ces motifs, la commission des affaires sociales vous demande d'adopter le texte de la proposition de loi organique dans les termes que nous vous soumettons.