Intervention de Claude Nougein

Réunion du 20 décembre 2017 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2017 — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Claude NougeinClaude Nougein :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, l’examen du second projet de loi de finances rectificative pour 2017 en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale devait être fructueux pour le Sénat.

D’après nos informations, un grand nombre de nos propositions devaient être reprises par les députés. Néanmoins, sous la pression du Gouvernement, tout a été balayé en séance ! Monsieur le secrétaire d’État, nous ne comprenons pas du tout cette attitude !

Il est vrai qu’à notre grand regret une mesure n’aurait pas pu faire l’objet d’un compromis : il s’agit du dispositif de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, qui prévoit que les tiers collecteurs soient les employeurs. Sur ce point précis, nous ne comprenons pas, là encore, l’obstination du Gouvernement, qui n’a rien de constructif ni de pragmatique ! Alors que Emmanuel Macron a fait campagne sur un discours très favorable aux entreprises, désignant même la simplification des obligations administratives qui pèse sur la vie des entreprises, notamment des plus petites, comme un volet prioritaire, voilà qu’il a fait le choix de reprendre une mesure mise en place par son prédécesseur, laquelle va représenter une charge notamment pour les plus petites entreprises, en termes de temps et de coût, évaluée entre 300 millions d’euros et 1, 2 milliard d’euros !

Aurait-on dû comprendre que la refonte des rapports entre les entreprises et l’administration était en réalité une opération de délestage des tâches de l’administration sur le dos des entreprises ? Nous ne comprenons vraiment pas ce choix.

Nous proposons d’aider le Gouvernement en lui retirant cette épine du pied avec une solution alternative tout à fait viable, mais la main tendue est refusée. Où est donc ce « nouveau monde » promis par Emmanuel Macron ? Où est l’esprit constructif tellement vanté par la communication de La République En Marche ?

Selon les audits commandés par Bercy à l’IGF, cette réforme devrait coûter entre 300 et 420 millions d’euros aux entreprises concernées, entre le paramétrage des logiciels, la formation des utilisateurs et la pédagogie à déployer auprès des salariés. Selon l’étude du cabinet Deloitte pour la délégation aux entreprises du Sénat, la facture pour les entreprises pourrait s’élever à 1, 2 milliard d’euros la première année.

Environ 75 % du coût total de la mesure reposera sur les très petites entreprises par l’effet de multiplication d’un coût fixe faible par un très grand nombre d’entreprises. La moitié du coût de la mesure correspondra au paiement des experts-comptables et des éditeurs de logiciels notamment. Ces prestataires de gestion de paye devraient en effet accroître le prix de leurs services rendus en raison des coûts de la mise en conformité de leurs outils. Pour eux, il s’agira vraiment d’un effet d’aubaine !

L’autre moitié du coût correspondra à un accroissement des coûts salariaux des entreprises. Cela est lié au temps supplémentaire consacré à communiquer auprès des salariés et à répondre aux différentes questions à la suite de la mise en œuvre de la mesure. Cela comprend également la nécessité, dans certains cas, de demander un rescrit à l’administration fiscale pour confirmer le caractère imposable ou non de certains éléments de rémunération au titre de l’année de transition, sans compter les éléments de rémunération exceptionnels. Enfin, l’accroissement du temps de traitement des problèmes particuliers posés par les employés en situation de mobilité internationale doit aussi être pris en compte.

Pour les entreprises se pose également le problème de l’engagement de la responsabilité juridique de l’entreprise. Un problème de plus, me direz-vous ! Au point où on en est ce n’est pas très grave. Dès lors que l’employeur devient le collecteur de l’impôt, il devient en même temps dépositaire du secret fiscal. Sa responsabilité pourrait également être mise en cause s’il n’appliquait pas le bon taux, s’il ne s’acquittait pas en temps et en heure de ses nouvelles obligations déclaratives, s’il ne respectait pas le délai de règlement ou l’obligation de confidentialité. Ce risque serait encore accru pour les entreprises embauchant des salariés en contrat à durée déterminée ou des saisonniers.

Par ailleurs, quid de la perte de confidentialité pour les salariés ?

Aujourd’hui, le montant de l’impôt du salarié n’est connu que de la seule administration fiscale. Cela étant, même avec l’administration fiscale, des fuites peuvent se produire, comme on l’a vu en début d’année !

Demain, ce sont le chef d’entreprise et la direction des ressources humaines qui connaîtront le taux de l’impôt et les autres revenus éventuels du salarié, mais aussi de ceux du conjoint, ses revenus fonciers, ses revenus immobiliers, etc. Connues de la direction du personnel et des ressources humaines, ces informations pourraient avoir des conséquences néfastes lors des négociations salariales. Les principales victimes de la réforme pourraient être les femmes dont le conjoint perçoit une rémunération confortable.

S’il est prévu la possibilité pour le salarié contribuable de rendre anonyme son impôt en recourant au taux forfaitaire neutre, ce choix pourrait néanmoins faire peser sur lui une sorte de suspicion.

L’étude du cabinet Deloitte a fait part de cette très forte inquiétude des chefs d’entreprise, qui, pour 70 % d’entre eux, craignent une dégradation des relations sociales au sein de leur entreprise.

Les employeurs craignent également de se retrouver impliqués dans le contentieux fiscal lié à la mise en œuvre du crédit d’impôt de modernisation du recouvrement : 80 % d’entre eux redoutent que leurs salariés ne les mettent en cause en cas de non-obtention de ce crédit d’impôt.

Enfin, se pose la question des particuliers employeurs, déjà soulevée par l’un de mes collègues en première lecture.

Les particuliers employeurs ne sauraient être assimilés à des entreprises. Leur moyenne d’âge, mis à part pour les gardes d’enfants, est de 65 ans. Beaucoup n’ont pas la maîtrise d’un ordinateur, ou ne résident pas dans une zone couverte par Internet.

Des systèmes de chèques emploi service ont été conçus à leur intention. L’obligation, pour les intéressés, de prélever l’impôt sur le revenu à la source anéantirait la simplification ainsi réalisée.

Le rapport d’audit de l’IGF a décrit les graves difficultés prévisibles. Notamment, le particulier employeur devrait déclarer le salaire de chaque mois huit à dix jours avant de l’avoir versé, alors que, le plus souvent, le nombre d’heures de travail effectuées durant ce mois n’est pas encore connu.

De surcroît, les employeurs qui omettraient de verser au Trésor l’impôt retenu sur le salaire encourraient des sanctions. La crainte de celles-ci, de la part de personnes âgées mal équipées, ne peut qu’amplifier le recours au travail au noir. C’est d’ailleurs la conclusion de l’IGF.

La solution proposée en première lecture par notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier, que notre groupe Les Républicains tient à féliciter vivement pour le travail considérable qu’il a effectué sur ce sujet, …

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