Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 22 janvier 2008 à 22h15
Réduction et exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Madame la présidente, mes chers collègues, force est de constater que, depuis maintenant plusieurs années, le Parlement s'est doté de nouveaux outils pour appréhender le financement de la sécurité sociale.

L'implication de l'impôt dans le financement de la sécurité sociale a poussé le législateur à séparer le budget de la sécurité sociale du budget général et la réforme constitutionnelle du 22 février 1996 a permis au Parlement de disposer d'un droit de regard sur l'équilibre financier de la sécurité sociale.

L'adoption, en 2001, de la loi organique relative aux lois de finances a conduit à un changement des mentalités dans la conduite des politiques budgétaires de l'État. Ainsi a vu le jour la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, promulguée en août 2005.

Vous connaissez l'attachement du groupe socialiste à une approche des comptes sociaux fondée sur la complémentarité du rôle du Parlement et du jeu de la démocratie sociale.

À l'évidence, si la réforme de 1996 allait dans le sens d'un meilleur contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif et d'une organisation plus transparente du débat sur l'action publique, la réforme de 2005 nous est apparue inachevée, confuse et ambiguë.

Si la volonté du Gouvernement était de rendre plus lisible la présentation des comptes sociaux et s'il a souhaité proposer des dispositions pour améliorer la gestion de la sécurité sociale, il est paradoxal de le voir organiser sa faillite par les déficits, faillite dans laquelle il la laisse, depuis, se débattre !

Il est paradoxal de prétendre renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes publics alors qu'aujourd'hui encore le Gouvernement s'applique à masquer la situation financière dans laquelle notre protection sociale s'enfonce !

L'un des débats récurrents du financement de la sécurité sociale - mon collègue Alain Vasselle ne me démentira pas - est celui de la compensation par l'État des exonérations de charges sociales.

La compensation intégrale des exonérations sociales n'a pas été retenue dans le cadre de la loi de 2005.

Dès lors, il est curieux de prétendre assumer la sanctuarisation des finances de la sécurité sociale alors même que l'on s'en est affranchi en grande partie.

La sonnette d'alarme est tirée depuis fort longtemps, par nous et par d'autres. Nous reconnaissons votre persistance et votre constance dans ce domaine, monsieur Vasselle. Ne pas le faire ne serait pas vous rendre justice ! La MECSS a très largement relayé cette préoccupation.

La plaie est toujours à vif, la Cour des comptes y mettant dans son dernier rapport un peu de sel pour la rendre encore plus douloureuse. Dans ce même rapport, elle dénombre au total 46 mesures d'exonération de cotisations et de réduction d'assiette des cotisations de sécurité sociale au 1er septembre 2005.

« Il y a à la fois inflation des propositions et absence de maîtrise de la décision conduisant à la création de mesures nouvelles », relèvent les magistrats. Et d'ajouter que, « depuis le 1er janvier 2005, 36 mesures ont été envisagées dont 17 sans même que le ministère en charge de la sécurité sociale en soit informé », soulignant en outre que « ces mesures présentées sans la moindre évaluation ou analyse d'impact ne font que traduire la tendance générale, elles posent le problème de l'équité du financement de la protection sociale ».

Aujourd'hui, un rapport du Gouvernement sur l'évaluation des pertes d'assiette liées à l'existence des niches sociales nous révèle que 41 milliards d'euros échappent aux cotisations sociales.

Faut-il rappeler qu'aujourd'hui les niches sociales représentent un enjeu aussi important que les niches fiscales ? Vous venez vous-même de le souligner, monsieur le ministre.

Décidées par l'État, ces politiques traduisent le plus souvent une perte de recettes non compensées pour les régimes obligatoires de sécurité sociale, ce qui nous laisse d'ailleurs à penser que, si l'État décidait de compenser intégralement ces exonérations, la résorption du déficit de la sécurité sociale ne soulèverait guère de difficultés.

Cette démarche est logique : le législateur ne doit pas en permanence être mis devant le fait accompli.

Il est normal que l'on puisse maîtriser les allégements généraux, comme la kyrielle de petits aménagements de charges ciblés qui émaillent de nombreux textes sans que la commission des affaires sociales en soit préalablement saisie.

Et puis, à l'évidence, le bien-fondé de ces allégements doit être examiné. Produisent-ils toujours les effets escomptés ?

Le dispositif proposé aujourd'hui sera-t-il efficace ?

L'approche mécanique que vous préconisez, monsieur Vasselle, appelle quelques objections et sur le plan technique et sur le plan des principes.

Vous suggérez une reconduction annuelle des autorisations d'exonération. Mais les entrepreneurs embaucheront-ils durablement s'ils savent que les exonérations dont ils bénéficient sont révocables annuellement ? M. le ministre a également formulé cette interrogation.

Vous avancez le principe d'efficacité de la politique économique. Cependant, si la politique fiscale est amputée par des mécanismes contraignants, quelle sera la portée de l'action gouvernementale ?

Les prélèvements sociaux ne sont pas dissociables par nature des autres prélèvements obligatoires et les choix économiques doivent y demeurer applicables.

Dans une économie mondialisée et compte tenu des règles européennes d'aide économique qui s'imposent à nous, les prélèvements sociaux sont un outil légitime des politiques de l'emploi. Cela ne doit bien évidemment pas nous empêcher d'être plus scrupuleux quant au ciblage des exonérations sociales qui concernent souvent des secteurs peu ou pas exposés à la concurrence internationale.

L'imbrication des politiques économiques et des politiques sociales est un fait que nous ne songeons pas à contester. L'abus n'exclut pas l'usage.

On peut aussi penser que votre proposition laisse augurer le passage d'une logique d'objectifs de dépenses, qui fonde la loi de financement de la sécurité sociale, à une logique de normes de dépenses, qui préfigure une forme de régulation comptable sous égide parlementaire.

Cette logique correspond-elle vraiment à notre système de couverture sociale ? Ne revient-elle pas à en finir avec ce système fondé sur un droit de tirage en fonction des besoins des personnes ? Cette perspective n'est-elle pas trop étatiste, alors que la France a opté pour une gouvernance plurielle des régimes sociaux, une tentative d'équilibre entre Gouvernement, Parlement et partenaires sociaux ?

Plus fondamentalement, il n'y a guère de miracle à attendre du dispositif que vous nous soumettez compte tenu de la nature de notre régime politique et du fonctionnement unilatéral des institutions.

Par votre méthode, vous feignez de croire que le Parlement aurait la force suffisante pour revenir sur des annonces gouvernementales. Vision idyllique ! Imagine-t-on l'Assemblée nationale se soulevant contre les décisions du gouvernement que soutient sa majorité ?

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